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Tu n'es pas de retour,1 et ton chien se lamente,
Et traîne, au clair de lune, un aboiement de mort..
Et ta mère a pleuré sur les deux berceaux vides.
Et ton père, sans toi, qui n'a que jours arides,2
Qui vit pour toi, pour toi travaille incessamment ;
Ton père, dont ta voix est le délassement;
Ton père a déserté sa charrue avant l'heure :
Tout lui pèse ; il est sombre et maudit sa demeure.
Pendant ce temps, hélas! nos enfants voyageurs
S'étaient bien égarés. Pour comble de1 malheurs,
Ils étaient de partout enveloppés d'orages,
Et déjà, sous leurs pieds, du choc de deux nuages
Que les vents opposés l'un vers l'autre portaient,
Les éclairs et la foudre avec fracas sortaient;
Et leurs pas trébuchant sur la glissante cime,
Ils mesuraient des yeux l'épouvantable abîme.
Ce fut bien pis encor5 quand arriva la nuit :
L'effroi les prit au cœur; tremblant au moindre bruit,
Et, l'oreille aux aguets, suspendant leur haleine,
Serrés l'un contre l'autre, ils existaient à peine.

Mais au creux d'un rocher comme ils s'étaient blottis ... Trouvant avoir assez puni leur imprudence,

Dieu couvrit de sommeil leurs yeux appesantis ;

Et le jour, qui déjà dévoilait la campagne,

Les trouva tous les deux dormant sur la montagne.

Voilà que Petit-Paul s'est senti réveillé.

Qui donc est-ce ?9-L'enfant se retourne effrayé . .
Pauvre enfant, calme-toi ne sais-tu reconnaître
Cette haleine qui rend la chaleur à ton être,

1 de retour, back.

2 arides, for tristes.

3 Tout lui pèse, Everything is a

burden to him.

4 Pour comble de, To complete (crown) their.

5 encor.-See page 24, note 7.

6 trouvant avoir, thinking that He had.

7 les trouva tous les deux, found them both.

8 Voilà que, All at once.

9 Qui donc est-ce? Who can it be?

Cette langue d'ami1 qui vient lécher ta main? . . .
Regarde : c'est ton chien, c'est ton chien qui te flaire,
Qui tourne autour de toi, qui semble se complaire,
Paul, à te caresser, lui qui n'a pas en vain
Cherché son jeune ami jusques2 au lendemain.
Paul à ce dévouement ne peut être insensible :
Il pleure de plaisir, il embrasse son chien,
Qui devant lui se courbe et tend son dos flexible,
Comme pour l'inviter à prendre ce soutien.
Petit-Paul a compris, et fait signe à Césaire,
Qui s'apprête à monter en croupe3 avec son frère :
Mais le chien ne veut pas; car il a souvenir,
Et c'est l'heure où lui seul peut sauver ou punir;
Tant il est vrai que rien n'est si petit au monde
Que l'on n'en puisse avoir besoin dans l'avenir :
Le méchant tremble alors, et l'animal qui gronde
Paraît lui dire: Eus-tu pour moi plus de pitié ?
Mais par grâce pour5 Paul, dont la tendre amitié
Ne veut pas s'éloigner sans ramener son frère,
Le pauvre chien gémit, et laisse enfin Césaire,
Triste et honteux, monter en croupe sur son dos.
A travers les torrents qui s'épandent à flots,"
Et les rochers, débris roulants de la tempête,
C'est ainsi qu'au logis ils reviennent tous trois;
Et le chien protecteur s'annonce de la voix.
Distinguant ses deux fils, et relevant sa tête,
Que pensif il courbait sur sa bêche en repos.
L'heureux père sourit ; et, l'extase au visage,
Et le bonheur empreint dans ses regards ardents,
Leur mère tend les bras, et n'a pas le courage
D'apprêter un reproche à ses fils imprudents.

1 langue d'ami, friendly tongue. 2 jusques, for jusqu', on account of the measure of the verse.[This spelling is also used occasionally in prose, in elevated style.]

3

5

...

en croupe, behind.

4 tant il est vrai, so true it is. par grâce pour, out of favour to (for the sake of). 6 à flots, in streams.

Dans ses petites mains l'un d'eux frappe avec joie,
Et tout honteux encor, craignant qu'on ne le voie,
L'autre derrière lui se tient triste et penché.
Car la bonté du chien l'avait enfin touché.

Or, sachez vous former1 des compagnons d'enfance,
Que vous retrouverez dans vos jours de souffrance ;
De bons amis, plus tard,2 qui soutiendront vos pas :
La route est si pénible à ceux qui n'en ont pas !
Puis, mes pauvres enfants, quand s'entr'ouvre la tombe,
(Il faut bien vous le dire)3 où l'homme arrive et tombe,
Il est si doux encor, sur le lit de douleurs,1
4

De sentir un ami mouiller nos mains de pleurs,
Ami désespéré, que le mourant console !

Il est doux de penser, quand notre âme s'envole,
Qu'un cœur aimé de nous et qui nous aimait bien,
Là, pour nous regretter, va rester en arrière ;
Il est doux de penser que jusqu'au cimetière
Un être nous suivra . ne serait-ce qu'un chien !5
LEON GUERIN.

LES DIX FRANCS D'ALFRED.

CECI n'est point un conte, enfants, c'est une histoire,
Comme la vérité, simple et facile à croire,

Et, rien que d'y songer, qui fait battre le cœur.

Oh! je ne serai pas moraliste sévère :

Car parfois, comme vous, j'ai besoin qu'on m'éclaire,
Et, pour être plus grand," je ne suis pas meilleur.
Parlons donc en 8 amis.—

1 sachez vous former, know how to make for yourselves.

2 plus tard, afterwards (in afterlife).

3 il faut bien vous le dire, you must be told.

4 lit le douleurs (instead of douleur, for the sake of the rhyme),

sick bed.

5 ne serait-ce que, were it only. 6 rien que d'y songer, only to think of it.

7 pour être plus grand, though I am older [than you].

8

en, as.

Alfred était, je pense,

Un enfant tel que vous, ayant huit ou neuf ans,1
Bien, bien riche ! . . . Il avait dans sa bourse dix francs,
Dix francs beaux et tout neufs.-C'était la récompense
Donnée à sa sagesse, à ses petits travaux :

Ce qui faisait encor ces dix francs-là plus beaux.

Mais l'idée arriva d'en chercher la dépense,
Car c'eût été vilain de les garder toujours:
L'argent qui ne sert pas est sans valeur aucune ; 3
Le point est de savoir lui donner un bon cours.4
On avait fait Alfred maître de sa fortune :
Tantôt 5 il la voyait en beau cheval de bois ;
Tantôt c'était un livre . . . Un livre!

Alors sa mère

Souriait de plaisir, sans l'aider toutefois,

Lui laissant tout l'honneur de ce qu'il allait faire.

Sur le livre son choix à la fin se fixa.

Charmant enfant ! combien sa mère l'embrassa!

6

C'est qu'aussi c'était beau, savez-vous ? C'est qu'un livre
C'est tout; c'est là-dedans que l'on apprend à vivre,
A devenir un homme, à penser, à parler;

C'est là, nous, à vos jeux qui venons nous mêler,
Là que nous déposons le travail de notre âme,

Quand le Dieu tout-puissant jette en nous cette flamme
Qui nous rend la candeur et nous fait jusqu'à vous,
Comme à nos premiers jours, remonter purs et doux.
Vous ne comprenez pas, amis?... Mais il faut lire,
Et plus tard vous saurez ce que j'ai voulu dire ; 9
Et puis, lorsque vos cœurs seront bien désolés,
Vous ouvrirez un livre, et serez consolés.

8

1.ayant... ans, being... years

old.

2 ce qui, which.-encor; see page 24, note 7.

3 ne sert pas, is not used.-sans valeur aucune, without any value. 4 lui donner un bon cours, how

to lay it out well.

5 Tantôt, Sometimes.

6 C'est qu'aussi c'était beau, For it was fine (a fine thing to do) too. 7 c'est tout, is everything. 8 plus tard.-See page 91, note ?. 9 J'ai voulu dire, I meant.

C'était un jour d'hiver, quand la neige et le givre
Des arbres effeuillés blanchissent les rameaux,

3

Quand vous, heureux enfants, dans de larges manteaux,
Dans de bons gants fourrés, du froid on vous délivre,
Alfred courait, joyeux, pour acheter son livre.
Mais voici tout à coup qu'il s'arrête surpris..
Deux enfants étaient là, tels, hélas ! qu'à Paris,
Si souvent on en voit sur les ponts de la Seine.2
Dans les bras l'un de l'autre ils étaient enlacés ;
L'un de son petit frère, avec sa froide haleine,
Cherchait à réchauffer les pauvres doigts glacés;
Ils grelottaient bien fort, car leurs habits percés,
Presque à nu, les laissaient étendus sur la pierre.
Tournant vers les passants un regard de prière,
Ensemble ils répétaient: J'ai bien froid! j'ai bien faim!
Mais les riches passaient sans leur donner de pain;
Et leur cœur se gonflait, et puis de grosses larmes
Roulaient dans leur paupière et sillonnaient leur sein.
Certes vous eussiez pris pitié de leurs alarmes,
Et vous ne seriez point passé sur leur chemin,
N'est-ce pas,5 mes amis, sans leur tendre la main,
Sans demander pour eux quelque argent à vos mères ?
Alfred était témoin de leurs larmes amères ;-

4

Maman, vois donc,6 dit-il, comme ils sont là tous deux !
Ils sont bien malheureux !-Oh! oui, bien malheureux !
Lui répondit sa mère, attentive et touchée.

Sur eux pendant qu'Alfred a la vue attachée,
L'un se lève (pour l'autre, il ne se levait pas
Car l'hiver l'avait fait froid comme le trépas);
Saisissant une vielle auprès de lui muette,

1 voici tout à coup qu'il, now all at once he.

2 la Seine;-the river which passes through Paris.

3 bien fort, very much.

naked.

4 à nu,
5 n'est-ce pas, would you.
6 vois donc, do look.

7

pour, as for.

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