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Ah! ne les rends jamais à ce monde profane,
A ce monde de deuil, d'angoisse et de malheur :
Le vent brise et flétrit, le soleil brûle et fane 1
Jeune fille et jeune fleur.

Tu dors, pauvre Élisa, si légère d'années !
Tu ne crains plus du jour le poids et la chaleur.
Elles ont achevé leurs fraîches matinées,

Jeune fille et jeune fleur.

Sur la tombe récente un père qui s'incline
De la vierge expirée a déjà la pâleur :

Vieux chêne! ... le Temps a fauché2 sur ta racine
Jeune fille et jeune fleur.

CHATEAUBRIAND.

LA GRAND'MÈRE.

DORS-TU?... Réveille-toi, mère de notre mère !
D'ordinaire, en dormant, ta bouche remuait;
Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.
Mais ce soir, on dirait la madone de pierre ;3
Ta lèvre est immobile et ton souffle est muet.

Pourquoi courber ton front plus bas que de coutume?
Quel mal avons-nous fait, pour ne plus nous chérir ?4
Vois, la lampe pâlit, l'âtre scintille et fume;

Si tu ne parles pas, le feu qui se consume,

Et la lampe, et nous deux, nous allons tous mourir !
Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte.
Alors, que diras-tu quand tu t'éveilleras?

Tes enfants, à leur tour, seront sourds à ta plainte.
Pour nous rendre la vie, en invoquant ta sainte,
Il faudra bien longtemps nous serrer dans tes bras!

1 fane, causes to fade (fades). 2 fauché, mowed down.

3 on dirait la madone de pierre, one would think you are the stone

madonna [a representation of the Holy Virgin].

4 pour ne plus nous chérir, that you should love us no more.

Mère !... hélas! par degrés s'affaisse la lumière ;
L'ombre joyeuse danse autour du noir foyer;
Les esprits vont peut-être entrer dans la chaumière.
Oh! sors de ton sommeil, interromps ta prière;
Toi qui nous rassurais, veux-tu nous effrayer?

...

Dieu!2 que tes bras sont froids! Rouvre les yeux... Naguère Tu nous parlais d'un monde où nous mènent nos pas,

Et de ciel, et de tombe, et de vie éphémère.

Tu parlais de la mort . . . dis-nous, ô notre mère !
Qu'est-ce donc que la mort ?3... Tu ne nous réponds pas !

Leur gémissante voix longtemps se plaignít seule.
La jeune aube parut sans réveiller l'aïeule.
La cloche frappa l'air de ses funèbres coups;
Et, le soir, un passant, par la porte entr'ouverte,
Vit, devant le saint livre et la couche déserte,
Les deux petits enfants qui priaient à genoux.
VICTOR HUGO.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre :
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore,*
Un jeune malade, à pas lents
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans.

Bois que j'aime! adieu... je succombe;
Votre deuil me prédit mon sort;

1 esprits, spirits.

Dieu! Dear me! (Good Hea

ven !)

5 Qu'est-ce donc que la mort?

What is death, then?

4 à son aurore, in his dawn [at the dawn of his life].

Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Epidaure,1

Tu m'as dit: Les feuilles des bois
A tes yeux jauniront encore:
Mais c'est pour la dernière fois.
L'éternel cyprès t'environne ;
Plus pâle que la pâle automne,2
Tu t'inclines vers le tombeau ;
Ta jeunesse sera flétrie

Avant l'herbe de la prairie,
Avant les pampres du coteau.

Et je meurs. . . De leur froide haleine
M'ont touché les sombresautans;
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps !
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Voile aux yeux ce triste chemin ;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée
Si mon amante désolée

Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par ton léger bruit

Mon ombre un instant consolée !
Il dit, s'éloigne, et sans retour.3
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.
Sous le chêne on creusa sa tombe.
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée ;

1 oracle d'Epidaure; that is, some medical authority who had been consulted.-Epidaurus was a town of Greece in which Æsculapius, the god of medicine in ancient

mythology, had a celebrated temple
and oracle.

2 See page 73, note 2.
3 sans retour, for ever.

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

MILLEVOYE.

MORT DE COLIGNY1

CEPENDANT tout s'apprête, et l'heure est arrivée
Qu'au fatal dénoûment la reine a réservée.
Le signal est donné sans tumulte et sans bruit :
C'était à la faveur 2 des ombres de la nuit.
De ce mois malheureux l'inégale courrière 3
Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière ;
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.4
Soudain 5 de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable.
Il se lève, il regarde; il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités ;

Il voit briller partout les flambeaux et les armes :
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes ;
Ses serviteurs sanglants, dans la flamme étouffés ;
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix : Qu'on n'épargne personne;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne !
Il entend retentir le nom de Coligny :

Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille ;

1 A French protestant admiral, who distinguished himself in the wars between the catholics and protestants of France in the 16th

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6

pavots,... sleep was shedding its poppies over him [a poetical way of saying 'he was under the influence of sleep,' 'he was asleep'].

5 Soudain.-See page 71, note 3. 6 Qu'on n'épargne personne, Let no one be spared.

Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte,
Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux,
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage.
A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect;
Une force inconnue a suspendu leur rage.
Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
Et de mon sang glacé1 souillez ces cheveux blancs,
Que le sort des combats respecta quarante ans.
Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne ;
Ma vie est peu de chose,2 et je vous l'abandonne ;
J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous.
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux:

3

L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes ;
L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes ;
Et de ses assassins ce grand homme entouré,
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups:
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime, et trahir Médicis,
1 glacé; that is, glacé par l'âge.
peu de chose, not much.

2

3 Peusse aimé mieux la perdre, I would rather have lost it.

4 aurait cru faire un crime, et trahir, would have considered that he was committing a crime, and betraying.

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