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LA ROSE ET LE BUISSON D'ÉPINES.

UNE rose croissait à l'ombre d'un buisson,

Et cette rose, un peu coquette,

Ne s'accommodait point de son humble retraite ;
C'était même, à l'entendre, une horrible prison.
Son gardien lui disait: Patience, ma chère !
Profite de mon ombre, elle t'est salutaire.
C'est peu que du midi je t'épargne les feux,1
Grâces à 2 mes dards épineux,

Des animaux rongeurs tu ne crains nul outrage;
Je te défends encor3 des vents et de l'orage.
Chéris donc ton asile obscur,

Il n'est pas beau, mais il est sûr.

La rose est indignée, elle n'en veut rien croire.
Vivre ainsi, c'est vieillir sans gloire.

Un bûcheron paraît. Accours, dit-elle, ami!
Sois mon libérateur, fais tomber sous la hache
Ce vilain buisson qui me cache.

6

Le manant 4 empressé n'en fait pas à demi;
Il abat le buisson: partant, plus de tutelle.
La rose de s'en réjouir.7

Elle va donc s'épanouir,

5

Charmer tous les regards, attirer autour d'elle
Le folâtre essaim des zéphyrs.

Rose, on va l'appeler des roses la plus belle;
O fortuné destin! ô comble de plaisirs!
Tandis que la jeune orgueilleuse

Rêve ainsi le bonheur, et vit d'enchantements,

1 je t'épargne les feux du midi, I shelter you from the heat of a midday sun.

2 grâces à, for the sake of the measure, by poetical licence, intead of grâce à.

3 encor.-See page 24, note 7. 4 manant, obsolete for paysan (peasant).

5 n'en fait pas à demi, does not do it by halves (does not stop halfway).

6 partant, therefore.-plus de,

no more.

7 La rose de s'en réjouir.-For this construction, see page 42, note 7.

Voilà qu'une chenille affreuse1

A découvert sa tige, y grimpe lentement,
Puis sur son bouton frais se traîne insolemment.
Un escargot plus vil encore
Vient souiller ses appas naissants.
Le soleil, à son tour, de ses rayons ardents
La frappe; elle se décolore.

Dans le chagrin qui la dévore,

Elle songe au buisson; mais regrets superflus!
Ce doux abri n'existe plus.

Qu'arrive-t-il enfin ? La rose

Se fane, tombe et meurt, hélas! à peine éclose!

LE BAILLY.

L'HERMINE, LE CASTOR, ET LE SANGLIER.

UNE hermine, un castor, un jeune sanglier,
Cadets de leur famille, et partant 2 sans fortune,
Dans l'espoir d'en acquérir une,

Quittèrent leur forêt, leur étang, leur hallier.
Après un long voyage, après mainte aventure,
Ils arrivent dans un pays

Où s'offrent à leurs yeux ravis

Tous les trésors de la nature,

Des prés, des eaux, des bois, des vergers pleins de fruits. Nos pèlerins, voyant cette terre chérie,

Éprouvent les mêmes transports

Qu'Énée et ses Troyens en découvrant les bords
Du royaume de Lavinie.1

Mais ce riche pays était de toutes parts
Entouré d'un marais de bourbe,
Où des serpents et des lézards
Se jouait l'effroyable tourbe.

1 Voilà que, Lo and behold!

2

partant, therefore.

3 Énée et ses Troyens, Eneas and his Trojans. 4 Lavinie, Lavinia.

Il fallait le passer; et nos trois voyageurs
S'arrêtent sur le bord, étonnés et rêveurs.
L'hermine la première avance un peu la patte;
Elle la retire aussitôt,

En arrière elle fait un saut,

En disant Mes amis, fuyons en grande hâte !
Ce lieu, tout beau qu'il est,2 ne peut nous convenir :
Pour arriver là-bas il faudrait se salir;

Et moi je suis si délicate,

Qu'une tache me fait mourir.—

Ma sœur, dit le castor, un peu de patience!
On peut, sans se tacher, quelquefois réussir :
Il faut alors du temps et de l'intelligence :
Nous avons tout cela. Pour moi, qui suis maçon,
Je vais en quinze jours vous bâtir un beau pont
Sur lequel nous pourrons, sans craindre les morsures
De ces vilains serpents, sans gâter nos fourrures,
Arriver au milieu de ce charmant vallon.-

Quinze jours! ce terme est bien long,
Répond le sanglier: moi, j'y serai plus vite :
Vous allez voir comment. En prononçant ces mots,
Le voilà qui se précipite 3

4

Au plus fort du bourbier, s'y plonge jusqu'au dos,
A travers les serpents, les lézards, les crapauds;
Marche, pousse à son but, arrive plein de boue;
Et là, tandis qu'il se secoue,

Jetant à ses amis un regard de dédain,
Apprenez, leur dit-il, comme on fait son chemin.

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LE MEUNIER SANS-SOUCI.

SUR le riant coteau par le prince 1 choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.2
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vînt souffler le vent,

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3

y tournait son aile, et s'endormait content.
Fort bien achalandé,5 grâce à son caractère, 6
Le moulin prit le nom de son propriétaire ;
Et des hameaux voisins, les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre ;
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois ?
En cette occasion le roi fut le moins sage;

7

Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait, sans cela, renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins, et masquer l'avenue.

Des bâtimens royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important:

Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne ?—
Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne.
Il vous faut est fort bon. . . mon moulin est à moi...s
Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.—
Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde.—10
Faut-il vous parler clair ?-Oui.-C'est que je le garde :

1 le prince; that is, Frederick II., King of Prussia, called the Great.

2 That is, 'free from care.' 3 vivre au jour le jour, to take no thought for the morrow. This expression more frequently means, to live from hand to mouth.' 4 aile, sail [of a mill].

5 Fort bien achalandé, Having good custom.

6 caractère, temper, disposition. 7 lorgna, coveted.

8 est à moi, belongs to me (is

mine).

9 Allons, Come.

10 prends-y garde, be careful.

Voilà mon dernier mot. Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile ;
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile,
Sans-Souci s'obstinait.-Entendez la raison,
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison:
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C'est mon Potsdam, à moi.1 Je suis tranchant peut-être :
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez,2 mille ducats,
Au bout de vos discours, ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer,3 je l'ai dit, j'y persiste.

Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric, un moment par l'humeur 4 emporté :-
Parbleu de ton moulin c'est bien être entêté ; 5
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre :
Sais-tu que, sans payer, je pourrais bien 7 le prendre?
Je suis le maître.-Vous!... de prendre mon moulin ?
Qui; si nous n'avions pas des juges à Berlin.

8

Le monarque, à ce mot, revint de son caprice. Charmé que sous son règne on crût à la justice, Il rit, et se tournant vers quelques courtisans: Ma foi,9 messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans. Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique.

ANDRIEUX.

LE CHIEN.

A LEUR tête est le chien, aimable autant qu'utile,
Superbe et caressant, courageux, mais docile.

1 mon Potsdam, à moi, my Potsdam.-Potsdam, a town in Prussia, possessing a large palace where the royal family sometimes reside. 2 Tenez, Here.

3 Il faut vous en passer, You must go without it.

4 l'humeur, ill humour.

5 Parbleu de ton moulin c'est bien être entêté, Indeed you are very obstinate about your mill!

6 Je suis bon, It is foolish enough of me.

7 je pourrais bien, I could easily. 8 revint de, abandoned.

9 Ma foi, Really.

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