Ils arrivent de nuit; la muraille était haute; La porte était fermée; heureusement nos gens Entrent sans être vus, sous le seuil se glissant. Dans un riche logis nos voyageurs descendent; A la salle à manger 1 promptement ils se rendent. Sur un buffet ouvert trente plats desservis Du souper de la veille étalaient les débris. L'habitant de la ville, aimable et plein de grâce, Introduit son ami, fait les honneurs, le place; Et puis, pour le servir,2 sur le buffet trottant, Apporte chaque mets, qu'il goûte en l'apportant. Le campagnard, charmé de sa nouvelle aisance, Ne songeait qu'au plaisir et qu'à faire bombance, Lorsqu'un grand bruit de porte épouvante nos rats: Ils étaient au buffet, ils se jettent en bas,
Courent, mourant de peur, tout autour de la salle ; Pas un trou!... de vingt chats une bande infernale Par de longs miaulements redouble leur effroi. Oh! oh! ce n'est pas là ce qu'il me faut, à moi,3 Dit le bon campagnard; mon humble solitude Me garantit du bruit et de l'inquiétude : Là je n'ai rien à craindre, et si j'y mange peu, J'y mange en paix du moins, et j'y retourne... Adieu.
LA MACHINE A VAPEUR.
SUR un chemin de fer, dont la double nervure, Aux miracles de l'art soumettant la nature, Courait en noirs filets sur les monts nivelés, Les fleuves asservis et les vallons comblés, La machine de Watt, en sifflant élancée,
1 salle à manger, dining-room. pour le servir, in order to help him.
3 ce n'est pas là ce qu'il me faut,
à moi, this is not what I want.
4 Watt, the great improver of the steam-engine. Born in Scotland, 1736, died 1819.
Du bruit de ses pistons frappant l'air agité, Volait, rasant le sol par la vapeur poussée ; Et défiant, dans sa rapidité, L'attelage divin par Homère1 chanté, Comme une comète enflammée, Elle jetait aux aquilons 2
En épais et noirs tourbillons 3 Sa chevelure de fumée.
Trente wagons, chargés d'hommes et d'animaux, Etaient dans son essor entraînés sur la trace. On eût dit un village, habitants et troupeaux, Qu'un ouragan fougueux emportait dans l'espace; Et de cette merveille avides spectateurs, Tous les peuples 5 du voisinage Couraient saluer son passage
De leurs transports admirateurs.
Tout à coup la machine, échappant de sa voie, A travers les rochers court, éclate et se broie. Le fracas des wagons par les wagons heurtés, Les cris des voyageurs l'un sur l'autre jetés, Font succéder l'horreur à la publique joie.
Ce train si pompeux, si bruyant,
Où l'homme avec orgueil contemplait sa puissance, N'est plus qu'une 6 ruine immense,
D'hommes et de débris pêle-mêle effrayant. Et d'où vient ce malheur, cette prompte déroute? D'un tout petit caillou qu'a jeté sur la route La main débile d'un enfant.
1 Homère, Homer, a Greek poet. 2 aux aquilons (used here poetically for aux vents), to the winds. 3 tourbillons, masses [revolving masses].
4 On eût dit, You would have
5 les peuples, a licence for les gens, or les habitants.
6 n'est plus qu'une, is now only a. 7 tout petit, very small.
MAIS, sans interroger le livre du passé, Qu'un plus récent exemple, à nos yeux retracé, Dise par quel pouvoir le maternel courage D'un lion dans Florence intimida la rage.
De l'étroite prison 1 qui rassemble à grands frais Les monstres des déserts, les hôtes des forêts, Un lion s'échappa: tout fuyait à sa vue. Dans le commun désordre, une mère éperdue Emportait son enfant... Dieu !2 ce fardeau chéri, De ses bras échappé, tombe; elle jette un cri, S'arrête, et l'aperçoit sous la dent affamée. Elle reste immobile et presque inanimée, Le front pâle, l'œil fixe et les bras étendus. Elle reprend ses sens un moment suspendus ; La frayeur l'accablait, la frayeur la ranime. O prestige d'amour! ô délire sublime!
Elle tombe à genoux: "Rends-moi, rends-moi mon fils!" Ce lion si farouche est ému par ses cris, La regarde, s'arrête, et la regarde encore. Il semble deviner qu'une mère l'implore; Il attache sur elle un œil tranquille et doux, Lui rend ce bien si cher, le pose
à ses genoux, Contemple de l'enfant le paisible sourire, Et dans le fond des bois lentement se retire.
1 l'étroite prison; that is, a menagerie.
2 Dieu! Good Heaven!
5 De ta mamelle avide ;-that is, Avide de ton lait.
sa mère nourrice, its foster. mother.
7 Veux-tu donc qu'il périsse?
4 J'avais la mort dans l'âme, I Surely you don't wish it to perish?
Quand les miens, en famille,2 Tiraient les Rois 3 entre eux, Je te disais: "Ma fille, Ma part est à nous deux !" A la fête prochaine, Néra,
Tu ne seras plus reine. Ah! ah! Néra !
Ingrate quand la fièvre Glaçait mes doigts raidis, Otant mon poil de chèvre,5 Sur vous je l'étendis... Faut-il que le froid vienne, Néra, [enne? 6
Adieu! sous mon vieux hêtre Je m'en reviens sans vous ; Allez chercher pour maître Un plus riche que nous... Allez! mon cœur se brise, Néra !...
Pourtant, Dieu te conduise! Ah! ah! Néra!
Je n'ai pas le courage De te vouloir du mal; Sur nos monts crains l'orage; Crains l'ombre dans le val. Pais longtemps l'herbe verte, Néra!
Nous mourrons de ta perte Ah! ah! Néra!
Un soir, à ma fenêtre, Néra, pour t'abriter, De ta corne peut-être Tu reviendras heurter; Si la famille est morte,
Pour qu'il vous en souvi- Qui t'ouvrira la porte?
1 rameaux du dimanche ;- -an allusion to Palm-Sunday (dimanche des Rameaux, or Pâques fleuries). 2 Quand les miens, en famille, When my family, at home.
3 tiraient les Rois, celebrated twelfth-night. The custom of drawing lots, on twelfth-night, for the portions of a cake with a bean in one of them, is very general throughout Europe. He to whom
CASIMIR DELAVIGNE.
the portion containing the bean falls as his share, is the "twelfthnight king" (roi de la fève), and he has the right of choosing a queen
to himself.
4 Ma fille, My lass.
5 poil de chèvre ;-that is, manteau de peau de chèvre.
6 pour qu'il vous en souvienne, for you to remember it.
« PreviousContinue » |