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Lorsque ma muse refroidie
Aura fini ses chants d'amour,
J'irai revoir ma Normandie,

C'est le pays qui m'a donné le jour.

F. BÉRAT.

RIEN DE TROP.1

TROP de repos nous engourdit,
Trop de fracas nous étourdit,
Trop de froideur est indolence,
Trop d'activité, turbulence;
Trop d'amour trouble la raison,
Trop de remède est un poison.
Trop de finesse est artifice,
Trop de rigueur est cruauté,
Trop d'audace est témérité,
Trop d'économie, avarice.

Trop de bien devient un fardeau,
Trop d'honneur est un esclavage,
Trop de plaisir mène au tombeau,
Trop d'esprit 2 nous porte dommage.
Trop de confiance nous perd,
Trop de franchise nous dessert,
Trop de bonté devient faiblesse,
Trop de fierté devient hauteur,
Trop de complaisance, bassesse,
Trop de politesse, fadeur.

PANARD.

1 'Rien de trop,' 'Enough is as good as a feast.' 2 esprit, wit.

LE CHAT ET LE CUISINIER.

DANS un garde-manger que dévastaient les rats,
Un cuisinier, moins prudent que fidèle,
Avait placé pour sentinelle

Son favori Mignon, qui du peuple des chats
Était le plus parfait modèle.

C'était pour le gardien un poste périlleux :
Le fumet d'un pâté troublait sa conscience,
Et l'appétit du drôle1 était fort chatouilleux.2
Mignon pourtant fait bonne contenance :3
Il se lèche la patte, il se frotte les yeux;
Il approche, il recule, il se roule, il s'allonge;
Et par mille contorsions

4

Cherche à se délivrer de ses tentations.
Mais de son maître, hélas! l'absence se prolonge.
Tout s'use avec le temps, même la loyauté :
Et la faim de Mignon a longtemps résisté.
Il gratte la terrine,5 et puis fait une pause;
Sa patte sur le bord nonchalamment se pose;
Il jette sur la croûte un regard de côté.7
Il flaire le couvercle, il le lève, il s'arrête ;
Il tourne et retourne la tête;

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6

Mais son palais en est fort humecté,
Et par ce jeu fatal sa langue affriandée ;
Sa dent même s'est hasardée.9

Bref, la faim l'emporta sur 10 la fidélité ;
Et quand le cuisinier revint à son service,
Il ne trouva plus dans l'office 11

Que les débris de son pâté.

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VIENNET.

regard de côté, side-look. 8 palais, palate.

9 s'est hasardée, has ventured [that is, ventured on the way to temptation].

10 l'emporta sur, prevailed over, 11 office, pantry

LE GRILLON.

UN pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie
Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs :
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes;
Jeune, beau, petit-maître,1 il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents! Dame nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je n'ai point de talent, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à 2 moi, l'on m'ignore 3 ici-bas:
Autant vaudrait 4 n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants:

Aussitôt les voilà courants 5

Après ce papillon dont ils ont tous envie.6
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper;
L'insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.

L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts

Pour déchirer la pauvre bête.

Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde!
Pour vivre heureux, vivons caché.

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FLORIAN.

5 courants, for the sake of the rhyme, by poetical licence, instead of courant.

6 dont ils ont tous envie, which they all wish to have.

LE CHEVAL QUI S'EST VOULU VENGER DU CERF.

1

De tout temps les chevaux ne sont nés 1 pour les hommes. Lorsque le genre humain de glands se contentait,

Ane, cheval, et mule, aux forêts habitait :

Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes
Tant de selles et tant de bâts,

Tant de harnais pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses ; 2
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or, un cheval eut alors différend
Avec un cerf plein de vitesse;

Et, ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.
Et cela fait, le cheval remercie

L'homme son bienfaiteur, disant: Je suis à vous; 3
Adieu; je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est votre usage.7

6

Demeurez donc; vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière.s
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté ?

Le cheval s'aperçut qu'il avait fait folie;
Mais il n'était plus temps; déjà son écurie

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Était prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien : Sage s'il eût remis 1 une légère offense.

1

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher, que l'acheter d'un bien2
Sans qui les autres ne sont rien,

LA FONTAINE.

L'ABEILLE ET LA FOURMI.

VOYEZ la fourmi prévoyante,
Disait un père à ses enfants:
Qu'elle est active, diligente,

Comme elle sait employer ses instants!
Tous les matins, au lever de l'aurore,
Elle s'éveille et court à ses travaux ;
Le soir arrive et l'y retrouve encore,
A peine a-t-elle un moment de repos.

Mais chaque jour de sa carrière

N'est point marqué par ses pénibles soins : Quand l'hiver de son deuil vient attrister la terre, Nous la voyons tranquille à l'abri des besoins. Elle semble nous dire: Évite la paresse,

Comme un poison trop dangereux ;

Mortel, dans les vieux ans, si tu veux être heureux
Hâte-toi, butine sans cesse,

Passe dans les travaux une active jeunesse ;
Tu pourras avec leur secours

Attendre en paix une lente vieillesse,
Er compter sans effroi le dernier de tes jours.-
Avec plaisir aussi, souvent je les contemple;
Mais ce n'est pas chez les fourmis

1 remis, forgiven.

3 sans qui, by poetical licence,

2 un bien, a blessing [viz., for sans lequel. liberty].

4 Passe, Spend.

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