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Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson;
Et, comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige, et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin;
Je veux achever ma journée.

Ainsi, triste et captif,1 ma lyre toutefois
S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces vœux d'une jeune captive;

Et secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux 2
Chercher quelle fut cette belle : *

3

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d'elle.

ANDRÉ CHENIER.

LA FONTAINE,5

L'IMAGINATION, dans cet auteur qu'elle aime,
Du modeste apologue a fait un vrai poème :
Il a son action, son nœud, son dénoûment.
Chez lui, l'utilité s'unit à l'agrément;

Le vrai nous blesse moins en passant par sa bouche;
Il ménage l'orgueil, qu'un reproche effarouche;
Sous l'attrait du plaisir, il cache la leçon,

Et, par d'heureux détours, nous mène à la raison.

1 triste et captif;—that is, quoique je fusse triste et captif.

2 à quelque amant des loisirs studieux; that is, à quelque ami de l'étude.

3 feront chercher à quelque. . will make some... seek. 4 belle, beauty (fair lady). 5 See page 30, note 5.

Il ignore son art, et c'est son art suprême ;1

2

Il séduit d'autant plus qu'il est séduit lui-même.
Le chien, le bœuf, le cerf, sont vraiment ses amis ;
A leur grave conseil par lui je suis admis.

Louis, qui n'écoutait, du sein de la victoire,
Que des chants de triomphe et des hymnes de gloire,
Dont, peut-être, l'orgueil goûtait peu la leçon
Que reçoit dans ses vers l'orgueil du roi Lion,4
Dédaigna La Fontaine, et crut son art frivole.5
Chantre aimable! ta muse aisément s'en console.
Louis ne te fit point un luxe de sa cour;6
Mais le sage t'accueille en son humble séjour ;
Mais il te fait son maître, en tous lieux, à tout âge,
Son compagnon des champs, de ville, de voyage,
Mais le cœur te choisit: mais tu reçus de nous,

Au lieu du nom de grand, un nom cent fois plus doux;
Et qui voit ton portrait, le quittant avec peine,

7

Se dit avec plaisir : C'est le bon La Fontaine.

Et, dans sa bonhomie et sa simplicité,

Que de grâce! et souvent, combien de 9 majesté !
S'il peint les animaux, leurs mœurs, leur république,
Pline 10 est moins éloquent, Buffon 11 moins magnifique.
DELILLE.

1 c'est son art suprême, in that lies his consummate art.

2 d'autant plus que, all the more because.

3 Louis XIV., King of France. 4 An allusion to the fable entitled Le Lion devenu vieux (see Gasc's Select Fables of La Fontaine, page 45).

5 et crut son art frivole;—that is, et regardait son art comme frivole.

6 It is well known that La Fontaine never received any favour from the court; and, as a wise man that he was, he never cared in the least about it. 7 qui, whoever.

8

que de, how much.

9 combien de, how much. 10 Pliny, a celebrated Roman naturalist.

11 See page 65, note 2.

SHAKSPEARE.

3

NON, dans ses plus beaux jours, jamais la scène antique
N'imprima plus avant la tristesse tragique,1
Soit que le grand César, entouré d'ennemis,
Parmi ses meurtriers reconnaisse son fils,2
Soit qu'Hamlet éperdu, dans sa coupable mère
Retrouve avec horreur le bourreau de son père ;3
Soit qu'un More jaloux, d'un bras désespéré,
Immole, en le pleurant, un objet adoré ; 4
Soit que d'un conjuré la femme criminelle
Dans le sang de son roi trempe sa main cruelle,
Et, du bras qui trancha ses vénérables jours,
Efface en vain ce sang qui reparaît toujours;
Soit que de ses États chassé par sa famille,
Le vieux Léar s'exile, appuyé sur sa fille,
Et mêle dans la nuit ses lugubres accents
Au fracas de la foudre, au murmure des vents.6
L'Anglais, de son Eschyle 7 amateur idolâtre,
Se presse, en sanglotant, autour de son théâtre ;
De Sophocle lui-même égalant la terreur,

5

Il tend plus fortement tous les ressorts du cœur ;
A la mort étonnée arrache ses victimes,

Aux tombeaux leurs secrets, et leurs voiles aux crimes;
Fait rugir la fureur, fait pleurer les remords,
Et marche dans le sang sur la cendre des morts.
Les spectateurs troublés frissonnent ou gémissent;
L'épouvante l'écoute, et les pleurs l'applaudissent.

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DELILLE.

4 Othello, act V., scene ii. 5 Macbeth, act v., scene i. 6 King Lear, act III., scene i. 7 Eschylus, a celebrated Greek tragic poet.

8 Sophocles, another celebrated Greek tragic poet.

LA PAUVRE FILLE.

J'AI fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne ;
J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.

S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs ;
Sa mère lui portait sa douce nourriture,
Mes yeux se sont mouillés de pleurs !

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau ?
Rien ne m'appartient sur la terre ;
Je n'eus pas même de berceau;
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,1

De leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur !
Je ne partage point les jeux de la veillée,
Jamais sous un toit de feuillée

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir,
Et de loin je vois sa famille,

Autour du sarment qui pétille,2

Chercher sur ses genoux les caresses du soir.
Vers la chapelle hospitalière

En pleurant j'adresse 3 mes pas :
La seule demeure ici-bas

Où je ne sois point étrangère,

Le seule devant moi qui ne se ferme pas !

1 exilée loin de mes parents is here used figuratively, for abandonnée par mes parents.

2 sarment qui pétille, vine-shoot that crackles in the fire].

3

j'adresse, I direct.

Souvent je contemple la pierre
Où commencèrent mes douleurs ;
J'y cherche la trace des pleurs

Qu'en m'y laissant peut-être y répandit ma mère !

Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire ;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents :
La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.
J'ai pleuré quatorze printemps1
Loin des bras qui m'ont repoussée ;
Reviens, ma mère : je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée.

SOUMET.

LA SAINTE ALLIANCE DES PEUPLES.

J'AI vu la Paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme, et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.—
Ah! disait-elle, égaux par la vaillance,
Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain,2
Peuples, formez une sainte alliance,

Et donnez-vous la main.

Pauvres mortels, tant de haine vous lasse!
Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil,
D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
Chacun de vous aura place au3 soleil.
Tous attelés au char de la puissance,
Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
Peuples, formez une sainte alliance,
Et donnez-vous la main.

1 quatorze printemps, figuratively,

for quatorze ans.

2 Germain ;-the old word for

Allemand (German).

3 au, in the.

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