Page images
PDF
EPUB

Et ce qu'elles nous sont feroit qu'avec justice
On nous imputeroit ce mauvais artifice.
L'honneur d'un si beau choix seroit trop acheté
Si l'on nous soupçonnoit de quelque lâcheté.
Le vieil HORACE.

J'en aurai soin. Allez; vos frères vous attendent;
Ne pensez qu'aux devoirs que vos pays demandent. 1)

CURIA CE.

Quel adieu vous dirai-je ? et par quels complimens....
Le vieil HORACE.

Ah! n'attendrissez point ici mes sentimens.
Pour vous encourager ma voix manque de termes;
Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes;
Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux.
Faites votre devoir; et laissez faire aux dieux. 2)

Fin du second acte.

1) Aux devoirs que vos pays demandent. Des pays ne demandent point des devoirs. La patrie impose des devoirs, elle en demande l'accomplissement.

2) Faites votre devoir; et laissez faire aux dieux. J'ai cherché dans tous les anciens et dans tous les théâtres étrangers une situation pareille, un pareil mélange de grandeur d'ame, de douleur, de bienséance, et je ne l'ai point trouvé. Je remarquerai sur-tout que chez les Grecs il n'y a rien dans ce goût.

[ocr errors]

ACTE TROISIÈM E.

SCENE I.

SABINE, seule. 1)

PRENONS parti, mon ame, en de telles disgraces;
Soyons femme d'Horace, ou sœur des Curiaces;
Cessons de partager nos inutiles soins;

Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins.
Mais, las! quel parti prendre en un sort si contraire?
Quel ennemi choisir, d'un époux, ou d'un frère?
La nature ou l'amour parle pour chacun d'eux;
Et la loi du devoir m'attache à tous les deux.
Sur leurs hauts sentimens réglons plutôt les nôtres;
Soyons femme de l'un ensemble et sœur des autres;
Regardons leur honneur comme un souverain bien;
Imitons leur constance, et ne craignons plus rien.

1) Ce monologue de Sabine est absolument inutile, et fait languir la pièce. Les comédiens voulaient alors des monologues. La déclamation approchait du chant, surtout celle des femmes ; les auteurs avaient cette complaisance pour elle. Sabine s'adresse sa pensée, la retourne, répète ce qu'elle a dit, oppose parole à parole:

En l'une je suis femme, en l'autre je suis fille.
En l'une je suis fille, en' l'autre je suis femme.

Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains.

Je songe par quels bras, et non pour quelle cause.

Les quatre derniers vers sont plus dans la passion.

La mort qui les menace est une mort si belle,
Qu'il en faut sans frayeur attendre la nouvelle.
N'appelons point alors les destins inhumains;
Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains,
Revoyons les vainqueurs, sans penser qu'à la gloire
Que toute leur maison reçoit de leur victoire;
Et, sans considérer aux dépens de quel sang
Leur vertu les élève en cet illustre rang i)
Faisons nos intérêts de ceux de leur famille :
En l'une je suis femme, en l'autre je suis fille,
Et tiens à toutes deux par de si forts liens,
Qu'on ne peut triompher que par les bras des miens.
Fortune, quelques maux que ta rigueur m'envoie,
J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie,
Et puis voir aujourd'hui le combat sans terreur,
Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur.
Flatteuse illusion, erreur douce et grossière,
Vain effort de mon ame, impuissante lumière,
De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir;
Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir!

Pareille à ces éclairs qui dans le fort des ombres
Poussent un jour qui fuit, et rend les nuits plus sombres, 2)

1) Il ne s'agit point ici de rang. L'auteur a voulu rimer à sang. La plus grande difficulté de la poésie française et son plus grand mérite est que la rime ne doit jamais empêcher d'employer le mot propre.

2) Poussent un jour qui fuit, etc. La tragédie admet les métaphores, mais non pas les comparaisons: pourquoi ? parce que la métaphore, quand elle est naturelle,

Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté
Que pour les abîmer dans plus d'obscurité.
Tu charmois trop ma peine; et le ciel qui s'en fâche
Me vend déjà bien cher ce moment de relâche.
Je sens mòn triste cœur percé de tous les coups
Qui m'ôtent maintenant un frère, ou mon époux :
Quand je songe à leur mort, quoique je me propose,
Je songe par quels bras, et non pour quelle cause,
Et ne vois les vainqueurs en leur illustre rang
Que pour considérer aux dépens de quel sang.
La maison des vaincus touche seule mon ame;
En l'une je suis fille, en l'autre je suis femme;
Et tiens à toutes deux par de si forts liens,
Qu'on ne peut triompher que par la mort des miens.
C'est donc là cette paix que j'ai tant souhaitée!
Trop favorables dieux, vous m'avez écoutée!
Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez,
Si même vos faveurs ont tant de cruautés?
Et de quelle façon punissez-vous l'offense,
Si vous traitez ainsi les vœux de l'innocence. 1)

appartient à la passion ; les comparaisons n'appartiennent qu'à l'esprit.

1) Ces quatre derniers vers semblent dignes de la tragédie, mais ce monologue ne semble qu'une amplification.

SCENE I I.

SABINE, JULIE

SABI NE.

En est-ce fait, Julie? et que m'apportez-vous? 1)
Est-ce la mort d'un frère, ou celle d'un époux?
Le funeste succès de leurs armes impies

De tous les combattans a-t-il fait des hosties? 2)
Et m'enviant l'horreur que j'aurois des vainqueurs,
Pour tous tant qu'ils étoient demande-t-il mes pleurs?

JULIE.

Quoi! ce qui s'est passé, vous l'ignorez encore?

SABIN E.

Vous faut-il étonner de ce que je l'ignore?
Et ne savez-vous pas que de cette maison
Pour Camille et pour moi l'on fait une prison?

1) En est-ce fait; Julie ? et que m'apportez-vous? Autant la première scène a refroidi les esprits, autant cette seconde les échauffe; pourquoi ? c'est qu'on y apprend quelque chose de nouveau et d'intéressant: il n'y a point de vaine déclamation; et c'est là le grand art de la tragédie, fondé sur la connaissance du cœur humain, qui veut toujours être remué.

2) De tous les combattans a-t-il fait des hosties? Hostie ne se dit' plus, et c'est dommage; il ne reste plus que le mot de victime. Plus on a de termes pour exprimer la même chosè, plus la poésie est variée.

« PreviousContinue »