Le saint homme ! s'il le faut. Mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi. Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse. On voit d'ici ce Louis XI de la gent animale, cherchant des yeux parmi ses courtisans, s'il ne s'en trouvera pas un qui le tire d'affaire. Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi. La comédie est jouée. Il manquerait à ce caractère un trait essentiel, si La Fontaine avait négligé de donner à son roi la majesté, comme manteau de pourpre pour couvrir ses défauts. Mais il n'avait garde de l'oublier, ayant Louis XIV pour modèle. Le roi des animaux mourra comme un stoïcien: Le lion, terreur des forêts, Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse, Devenus forts par sa faiblesse. Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied. 11 attend son destin sans faire aucune plainte. Autour de la personne royale, se groupent les courtisans, ce peuple caméléon » auquel l'auteur décoche en passant plus d'un trait. Il aime à représenter ces petits marquis comme gens de « belle tête,» mais de peu de cervelle, qui n'ont de grand que l'extérieur, et qui au léopard semblables, N'ont que l'habit pour tout talent. Se croire un personnage est fort commun en France : Tout marquis veut avoir des pages. Il n'est pas bon que le petit bourgeois ait affaire avec eux : Ne nous associons qu'avecque nos égaux; Ou bien cela finira comme la fable « le Pot de terre, et le Pot de fer. » On en use ainsi chez les grands. La raison les offense: ils se mettent en tête Que tout est né pour eux, quadrupèdes et gens, Il faut s'y soumettre bon gré mal gré : que servirait de plaider ? Selon que vous serez puissant, ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc, ou noir. Les puissants peuvent même fort bien se passer des jugements de cour. Ils ont cent et cent tours en leur bissac. On se rappelle comment don Juan savait congédier M. Dimanche. Ils ont encore d'autres recettes contre les créanciers : Je connais maint detteur, qui n'est ni souris-chauve, Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve Par un escalier dérobé. Mais ce n'est pas tout de se jouer des faibles; il faut que le courtisan, pour vivre, flatte le prince. tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute. Ce sont de vrais tartufes, des archipatelins qui savent toujours se tirer d'un mauvais pas. Le loup, avait daubé au coucher du roi Son camarade absent. Le prince, tout à l'heure D'avoir différé cet hommage. Mais j'étais en pèlerinage Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé. On sait le reste. La fin de tout ceci, c'est qu'on écorche « Messire loup. » Le moins qu'un de ces rusés puisse faire, c'est de sauver les apparences. Si les raisins sont trop hauts, Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. L'honneur est sauf. Mais la fortune des méchants est bâtie sur le sable. Il y a un jour pour la réparation. On est déjà content quand on voit la cigogne attraper le renard, le faire à jeun retourner au logis Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris. Mais ce n'est pas assez; il faut qu'il soit attrapé dans ses propres piéges: Le trop d'expédients peut gâter une affaire. Poursuivi par des chiens, L'autre fit cent tours inutiles, Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut Partout il tenta des asiles Et ce fut partout sans succès. La fumée y pourvut, ainsi que les bassets. Au sortir d'un terrier, deux chiens, aux pieds agiles, Justice est faite. Ce serait se méprendre cependant que d'exagérer la portée de cette fable, et de voir en tout cela un système bien suivi, bien arrêté dans l'intention de l'auteur: son seul but est d'amuser et de peindre. Celui qui raillait ainsi les grands seigneurs, ne devait pas épargner les magistrats, le clergé, les médecins. Il suffit de rappeler, quant à ces derniers, la fable du médecin Tant pis, et du médecin Tant mieux, et ces vers hardis: Il en coûte, à qui vous réclame, Ceci était alors à la mode. La Fontaine ne faisait que suivre l'exemple de Boileau et de Molière. Mais il se montre plus frondeur quand il se moque des magistrats. Vous ne trouverez, dit-il, que trop de mangeurs ici bas. Les uns sont courtisans, les autres magistrats... Perrin tire l'argent à lui Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles. D'un magistrat ignorant C'est la robe qu'on salue. Voici encore un portrait de juge qui est un véritable chef-d'œuvre. C'était un chat, vivant comme un dévot hermite, Un chat faisant la chatemitte, Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras, Jean lapin pour juge l'agrée. Devant sa majesté fourrée. Grippeminaud leur dit mes enfants, approchez, Grippeminaud, le bon apôtre, Jetant des deux côtés la griffe en même temps Mit les plaideurs d'accord, en les croquant l'un l'autre. Que de sel et de viguenr dans cette plaisante satire! - Après avoir passé en revue ces «< gros Messieurs,» «< bien fourrés,» venonsen au menu fretin, à « la racaille. » On verra que le type du bourgeois, et du manant, n'est pas moins que les autres fidèlement copié d'après nature. avec son gros bon sens, son caractère positif et matériel, sa prudence méfiante. Sentant sa faiblesse, la « gent misérable s'unit contre l'ennemi commun, » Rodilard. On profite du temps où le galant est allé chercher femme, pour « tenir chapitre en un coin. » Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente, Attacher un grelot au cou de Rodilard..... - La difficulté fut d'attacher le grelot..... La cour en conseillers foisonne; Mais dès qu'il faut se mettre à l'œuvre, chacun trouve un fauxfuyant pour se mettre à couvert : la prudence reparaît. L'un dit je n'y vas point; je ne suis pas si sot. L'autre je ne saurais....... Est-il besoin d'exécuter, L'on ne rencontre plus personne. C'est l'histoire du troupeau de Guillot qui promet . d'étouffer le glonton Qui lui a pris Robin mouton, et qui s'enfuit rien qu'à l'ombre du loup. N'est-ce pas aussi l'histoire de bien des assemblées populaires ? Mais je n'ai encore relevé qu'un trait du caractère bourgeois, et ce n'est pas le seul. L'insouciance est le propre de ceux qui n'ont que peu ou rien à perdre, tandis que les écus laissent peu de repos à leurs possesseurs. Un savetier chantait du matin jusqu'au soir.... En son hôtel il fait venir Le chanteur et lui dit : Or ça, sire Grégoire, Que gagnez-vous par an? - Par an? Ma foi, Monsieur, Dit avec un ton de rieur Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière Le brave homme, sous son tablier de cuir, est plus heureux, plus indépendant que le gros financier. Il n'est pas jusqu'au loup Cancre, hère, et pauvre diable Dont la condition est de mourir de faim, qui ne se drape fièrement dans ses haillons, et ne toise avec fierté le chien «< gras et poli, » mais qui ne « court pas où il veut. » Décidément le fabuliste a des prédilections pour ces gens dont la condition obscure est une garantie de sureté. La racaille dans des trous Cela causa leur malheur; Les petits en toute affaire Je n'ai montré jusqu'à présent que quelques-uns de ces types que le fabuliste a tracés de main de maître, s'il ne les a pas créés. Je |