Page images
PDF
EPUB

les difformités morales sur la scène. Sous l'empire, il semble qu'on a voulu supprimer même cette qualité : on réhabilite le vice, la femme perdue, on joue avec le crime, on sourit à la débauche, on la chante, on l'exalte. Honneur et gloire au vice triomphant!

Qu'on nous cite un criminel que l'on n'ait point essayé de justifier. Le parricide, l'inceste, l'adultère, l'homicide, tous les crimes ont été mis en scène ; et ces horreurs n'ont pû être rachetées ni par l'élégante pureté de la forme: pour être recouvert d'un tapis précieux, un fumier n'en reste pas moins fumier ;- ni par la perfection des décors et des changements à vue : l'illusion ajoute un attrait de plus à la peinture des mœurs faciles.

On le voit la décadence avait été rapide: elle devait être sans remède. Tout y contribuait: auteurs et acteurs.

Les Talma et les Lekain sont toujours, on le sait, une denrée fort rare au théâtre : mais il n'en est nullement besoin pour les Effrontés, pour le Fils de Giboyer, pour le Demi-monde, pour les scènes et proverbes de M. Octave Feuillet, en choisissant les moins défectueuses de ses productions.

Nous n'avons pas à parler ici de l'opéra. Il avait supplanté la tragédie; il a été supplanté à son tour par les opérettes; et, pour peu que l'on marche quelque temps encore dans la voie où l'on est engagé, l'unique théâtre qui nous restera sera le café-concert, le café-theâtre, et toutes les variétés d'Alhambra.

Sur la façade de ces lieux publics on pourrait écrire ces mots néfastes « Ici sont enterrés l'art, le travail, la tradition et la gloire! >>

:

C'est là que sous le nom d'opérettes, de saynètes, de féeries où l'art musical et littéraire n'entre absolument pour rien, on exhibe des pièces qui réagissent et influent sur le niveau déjà si peu élevé des grands théâtres eux-mêmes.

Dans ces représentations, le rôle est l'affaire du costumier, comme la pièce est l'affaire du machiniste; c'est assez pour les personnages de donner la réplique aux machines. Les acteurs peuvent y être des plus médiocres: on les applaudira, quand même ils ne diraient juste pas un seul mot, quand même ils ne feraient pas seulement une bonne grimace. Il suffit qu'ils soient bien costumés et peu vêtus, et qu'ils ne rougissent d'aucun mauvais mot, d'aucun geste risqué, d'aucun dialogue ordurier.

Plus ils seront hardis et grossiers plus ils seront applaudis, plus grande sera leur renommée. Et comme, sur une pente rapide, plus la course est precipitée plus elle est fatale, ainsi, dans cette décadence du théâtre, descendant toujours plus bas, on s'approchera chaque jour plus près des arènes grecques et romaines.

Les Romains, eux, n'avaient point le café-chantant. L'Empire nous l'a donné, la Commune s'en est servie, la République y recrute ses adhérents; si l'on n'y prend garde, l'avenir y trouvera ce que le présent y rencontre chaque jour : l'empoisonnement des populations. Ce qu'on y voit n'est d'aucun pays civilisé, ce qu'on y chante n'est d'aucune langue, d'aucun art, d'aucune vérité.

Ce genre de spectacle est si bien à la portée de toutes les bourses, si bien en rapport avec les plus grossières passions, que maintenant il n'est presque point de petite ville en France et en Belgique qui n'ait un ou plusieurs cafés-chantants. Pour les établir, il ne faut pas de grands frais; pour leur donner de la vogue et y attirer les consommateurs, il ne faut aux acteurs que beaucoup d'audace et de cynisme.

Mais laissons ces tristes lieux, et, sans revenir au théâtre proprement dit, hâtons-nous de conclure.

A cette décadence significative le second Empire a contribué jusqu'à en être presque seul coupable. Armé comme il l'était, il aurait pu, il aurait dû s'opposer à l'invasion de ces mœurs théâtrales dont les Romains eussent rougi. Loin de le faire, il les protégeait on sait que le Fils de Giboyer fit son tour de France, patronné par la police.

Les grandes traditions de l'art dramatique et musical sont généralement abandonnées on se précipite aux bouffonneries de Lecocq, d'Hervé, d'Offenbach, etc.; on déserte les théâtres où l'on joue les opéras des grands maîtres; on préfère le vaudeville à la tragédie; on aime mieux contempler un voluptueux ballet que d'ouïr une spirituelle comédie, fût-elle de Molière.

Tandis que les cafés-concerts, multipliés partout, ne désemplissent pas, au dire d'un auteur, qui semble bien renseigné, les théâtres de Paris ont fait, en 1873, une recette de 16,168,719 fr. 85 c. (1).

(1) Maxime du Camp. Paris, sa vie etc. T. vi, Théâtres.

Et cela, deux ans seulement après la guerre et la Commune! Si parfois, il se fait une halte dans la décadence, si la Fille de Roland, et Rome vaincue, voient se succéder jusqu'à cent représentations, on cite le fait comme une merveille, et bientôt le public retourne à ses pièces de prédilection: l'Etrangère fait fureur immédiatement après la Fille de Roland.

On a dit que les nations ont toujours le gouvernement qu'elles méritent (1): s'il est vrai, de même, qu'un peuple a aussi le théâtre qu'il mérite et dont il est digne, s'il est vrai que la littérature théâtrale est, plus que toute autre, l'expression de la société et des mœurs publiques, et que l'on peut, en quelque sorte, faire l'histoire par le théâtre, nous devrons avouer à notre honte que notre siècle est en pleine décadence et qu'il est déjà tombé bien bas. Demandez-le plutôt à L'ami Fritz.

Ce dont on ne peut douter, c'est que la multiplication des plaisirs de ce genre a toujours été un signe de déchéance : l'histoire en fait foi. A ce point de vue encore, la décadence est évidente.

Les éloquentes invectives que Barbier adressait, en 1834, aux drames et aux auteurs dramatiques, peuvent s'appliquer avec plus de raison encore aux théâtres et aux cafés-concerts de nos jours. Quand vous voyez, disait-il,

Sans haleine, sans pouls, et les lèvres muettes,
Tout un peuple accroupi sur de noires banquettes,
Ecoutant à plaisir la langue des bourreaux,
Apprivoiser ses yeux au sang des échafauds,
Ah! dans ces temps maudits, les citoyens iniques
Ne son pas tous errants sur les places publiques;

Ce sont tous ces auteurs, qui, le scalpel en main,
Cherchent, les yeux ardents, au fond du cœur humain,
La fibre la moins pure et la plus sale veine,
Pour en faire jaillir des flots d'or à main pleine.

Les uns vont calculant du fond du cabinet,

D'un spectacle hideux le produit brut et net;

(1) Saint Augustin a dit : « An potest aliquando injustum esse ut mali miseri, boni autem beati sint, aut ut modestus et gravis populus ipse sibi magistratus creet, dissolutus vero et nequam ista licentia careat? Video hanc esse æternam et incommutabilem legem. - De libero arbitrio. I.

[merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors]

Ils ne savent donc pas, ces vulgaires rimeurs,
Quelle force ont les arts pour démolir les mœurs;
Que l'encre, dégouttant de leur plume grossière,
Renoircit tous les cœurs blanchis par la lumière ;
Combien il est affreux d'empoisonner le bien,
Et de porter le nom de mauvais citoyen!
Ils ne savent donc pas la sanglante torture
De se dire à part soi : j'ai fait une œuvre impure!
Et de voir ses enfants, à la face du ciel,
Baisser l'œil et rougir du renom paternel!
Non, le gain les excite et l'argent les enfièvre;
L'argent leur clôt les yeux et leur salit la lèvre.
L'argent, l'argent fatal, dernier dieu des humains,
Les prend par les cheveux, les secoue à deux mains,
Les
pousse dans le mal, et, pour un vil salaire,
Leur mettrait les deux pieds sur le corps de leur père.
Honte à eux! car, trop loin de l'atteinte des lois,
L'honnête homme peut seul les flétrir de sa voix!
Honte à eux! car leur main jamais ne s'est lassée
A couvrir de laideur l'immortelle pensée! (1).

Voilà donc ce que l'Empire de Napoléon III a donné à la France de Corneille et de Racine, à la France de Bossuet et de Fénelon ! Est-il étonnant qu'elle se soit abîmée dans la honte et la douleur ? Est-il étonnant que la patrie des Turenne et des Catinat se soit appauvrie de l'Alsace et de la Lorraine ?

Un peuple façonné par des mimes, ne sera jamais un peuple de héros.

La chute de l'Empire, le coup de foudre de Sedan, les hontes de la guerre de 1870, les folies sanglantes de la Commune, ne l'ont que trop prouvé!

(1) Barbier, Iambes. XII. Melpomène.

Puisse la génération actuelle en profiter! Puisse-t-elle trouver, dans la foi du Christ, la lumière de ses voies, et dans la pratique de l'Evangile puiser la force morale, qui seule produit les héros et les sauveurs, parce que seule elle sait amener les hommes jusqu'à l'abnégation du sacrifice!

Après tout ce que nos lecteurs ont vu dans les pages qui précèdent, après tout ce que nous avons cru devoir, malgré nos répugnances de religieux et de prêtre, leur mettre sous les yeux, ils comprendront aisément pourquoi l'Eglise catholique a de sévères et trop justes rigueurs pour le théâtre contemporain.

C'est rendre un réel service à un homme que de l'empêcher de s'empoisonner; on doit de la reconnaissance, croyons-nous, à celui qui signale, afin qu'on y puisse échapper, un danger capital et imminent.

C'est ce que fait l'Eglise; c'est ce que doivent faire, à l'occasion du théâtre, tous les catholiques, tous les honnêtes gens, qui ont à cœur le maintien de la religion et des mœurs ; c'est le seul but que nous avons tâché d'atteindre, en traitant un sujet que nous avons abordé malgré nous, guidé uniquement par le désir du bien des âmes, par le souci de la conservation de la foi chrétienne et de la moralité publique dans notre chère patrie.

L. YSEUX.

LE CARDINAL DE BERULLE.

DOCUMENTS INÉDITS.

Sans nous engager dans la controverse soulevée, il y a quelques années (1), au sujet du cardinal de Bérulle, nous avons cru que les Documents inédits qui suivent seront lus avec intérêt par ceux de nos lecteurs qui s'occupent de

(1) Cfr les ouvrages de M. l'abbé Houssaye: M. de Bérulle et les Carmélites de France, Plon, 1872. - Le Père de Bérulle et l'oratoire de Jésus, Plon, 1874. Le cardinal de Bérulle et le cardinal de Richelieu, Plon, 1876. — Notes historiques sur l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, par un prêtre de la communauté de S. Sulpice, Poussielgue 1873. Les Carmélites de France et le cardinal de Bérulle, par l'abbé Houssaye, Plon, 1873. Lettre pastorale de Mgr l'Evêque de Poitiers aux religieuses carmélites de son diocèse.

-

« PreviousContinue »