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JACQUES HOYS

FONDATEUR DU COUVENT DES CONCEPTIONISTES ET DE L'ÉCOLE DES PAUVRES A OSTENDE.

Mgr de Ram se proposait de consacrer une notice à Jacques Hoys dans le deuxième volume de son Hagiographie nationale, et M. l'abbé Carton lui réservait une place parmi les Hommes remarquables de la Flandre occidentale: la mort les a surpris au milieu de leurs travaux ; et jusqu'à présent on n'a publié, sur le fondateur des Conceptionistes et de l'École pauvre d'Ostende, que les indications sommaires de quelques écrivains du XVIIIe siècle, tels que Pierre Faulconnier, l'historien de Dunkerque (1) et Jacques Bowens, l'historien d'Ostende (2). Il existe pourtant des documents précieux et inédits aux archives de l'évêché de Bruges : nous les avons eus sous les yeux; et l'un de nos abonnés nous a fourni des notes authentiques et des renseignements puisés, soit dans les archives de Dunkerque et d'Ostende, soit dans les papiers domestiques de la famille du fondateur. Il existe, en outre, un manuscrit flamand contemporain, où l'auteur, une religieuse conceptioniste, raconte la vie intime du vertueux et pieux Jacques Hoys.

Si je choisis ce moment pour publier cette notice, c'est que l'on cherche aujoud'hui à défaire ce qu'avait autrefois établi la charité d'un grand chrétien.

On ne le sait que trop : l'enseignement du peuple est menacé de perdre son caractère religieux. Par la sécularisation des écoles, on veut «< arracher des âmes à l'Eglise » et les livrer, sans défense, aux plus mauvaises passions. C'est un mot d'ordre de la francmaçonnerie, auquel obéissent ceux-là mêmes qui doivent à leurs administrés le bienfait d'une éducation religieuse. Les villes les plus catholiques ne sont pas à l'abri de ces funestes innovations: nous en avons un exemple dans ce qui se prépare à Ostende contre l'école fondée, au XVIIe siècle, par Jacques Hoys.

(1) Description historique de Dunkerque, 2 vol. in fol. Bruges, 1730. Cet historien, travaillant d'après les archives de Dunkerque, écrit Hois au lieu de Hoys.

(2) Beschryving van Ostende, 2 vol. in-4°. Brugge, 1792.

Rappelons les faits récents: par une convention passée, le 23 décembre 1837, entre les Sœurs de Saint-Joseph et la ville d'Ostende, l'école des dites Sœurs fut adoptée, dans le sens de la loi de 1842 sur l'instruction primaire. En 1876, le Conseil communal a décidé de remplacer l'école adoptée par une école communale laïque ; sa décision est nulle, jusqu'à ce que le gouvernement se soit prononcé (art. 4 de la loi de 1842). Mais peu importe: le projet est arrêté, et, d'avance, l'école est sacrifiée. Ajoutons que déjà, par l'initiative de quelques demoiselles charitables d'Ostende, le mal est réparé : un local est offert aux Sœurs expulsées, pour établir une école catholique libre; des listes de souscription circulent, pour fournir le mobilier nécessaire.

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Il n'y a point d'œuvres plus excellentes ni plus opportunes que la création d'écoles catholiques: la conservation de l'esprit religieux du peuple belge est à ce prix. C'est une chose pénible, sans doute pendant que des magistrats peu délicats emploient à établir des écoles sans Dieu, les deniers publics et même les contributions catholiques contre les catholiques, ceux-ci ont à pourvoir encore à l'éducation chrétienne de leurs enfants et des enfants du peuple. Ils le font pourtant de grand cœur ; ils agissent en dignes enfants de la catholique Belgique, en vrais imitateurs de leurs pieux ancêtres. Eh bien ! en leur présentant, dans Jacques Hoys, un modèle de charité et de dévouement, nous leur rappellerons, en même temps, une belle page de notre histoire nationale.

I. ETAT DE JACQUES HOYS.

L'homme de bien dont nous entreprenons d'esquisser la bienfaisante existence, naquit à Dunkerque, le 29 mars 1615. Ses pieux parents se nommaient Laurent Hoys (1) et Adrienne van Rode ou

(1) Les Hoys,d'après une tradition de famille, seraient originaires d'Espagne. Les formes (h)Oys, (h)Oiz, Hoya, Hoyos, etc. ne sont pas rares dans le N.-O. de la Péninsule, parmi les noms propres. On sait, d'autre part, que, dès le xive siècle, les nations biscayenne et castillane avaient établi d'importantes factoreries à Bruges. Quoi qu'il en soit, au xvie et au XVIIe siècle on trouve différents membres de la famille Hoys honorablement établis dans les principales villes de la Flandre maritime; plusieurs y ont contracté des alliances avec des

Roode (1). Encore enfant, Jacques se distinguait déjà par les naissantes vertus qui devaient un jour briller en lui d'un si vif éclat. Bientôt, nous le voyons à la tête de la Congrégation du collége des Jésuites dans sa ville natale : ses belles qualités lui avaient valu de la part de la jeunesse studieuse, dont pourtant il ne partageait pas les leçons, une distinction tout à fait en dehors des habitudes.

Ses goûts et la position de ses parents l'entraînèrent vers la carrière commerciale, même avant l'âge requis pour une si périlleuse vocation. A cette époque, le commerce maritime avec les Indes occidentales, se faisait par l'intermédiaire du port de Cadix; dès le XVIe siècle, les Flamands avaient fondé dans cette ville des établissements qui devinrent bientôt florissants: une factorerie administrée par un majordome, une chapelle desservie par un prêtre de leur nation, un hôpital où l'on recueillait les matelots malades et les vieillards pauvres de la colonie.

La première tentative de notre jeune marchand ne fut pas heureuse une tempête engloutit l'objet de ses premières espérances. Il perdit une cargaison qui lui coûtait six mille francs (2). Cependant Jacques ne se laissa point abattre par ce revers. Aussitôt que la nouvelle lui en eut été transmise, il se rendit incontinent à l'église et offrit avec une admirable résignation cette perte au bon plaisir de Dieu. Prêt à bénir la main de la bonne Providence, dans le succès comme dans le malheur, il dit au Seigneur que s'il plaisait néanmoins à sa divine majesté de bénir son serviteur, il promettait de partager avec les pauvres les biens qui pourraient lui tomber en partage. Et Dieu l'exauça. Bientôt, ses entreprises furent couronnées d'un plein succès; elles furent même si lucratives, que, dès lors, les malheurs qui lui arrivaient ne purent plus ébranler sa fortune.

familles nobles ou patriciennes du pays, telles que les van Rode, van Houdeghem, de Dueñas, Bauwens, van der Vynckt, etc. La famille Hoys a donné deux bourgmestres à la ville d'Ostende; et Laurent Hoys, arrière-petit neveu de Jacques, fut admis dans les rangs de la noblesse polonaise, par le roi Stanislas-Auguste, suivant lettres patentes, datées de Varsovie, 27 avril 1782. (1) L'état-civil de Dunkerque, année 1628, 15 juillet, porte Van Rode. (2) La biographie flamande de Jacques Hoys porte: Ses hondert pont groote. Or, le pond groot courant vaut aujourd'hui plus de 10 fr.; le pond groot wisselgeld, plus de 12 fr.

II. CHARITÉ DE JACQUES HOYS.

Notre pieux marchand tint parole, et rien dans sa vie ne fut plus admirable que la générosité prodigue de son cœur à l'égard des membres souffrants de Jésus-Christ. On en jugera par l'aveu secret que, dix ans avant sa mort, il fit à l'abbesse des Conceptionistes de Dunkerque, sœur Catherine de Sainte-Foi, à laquelle il affirma avoir déjà alors donné en aumônes la somme énorme, surtout pour l'époque, d'environ cent mille florins.

Les indigents étaient ses meilleurs amis: jamais il n'était plus affable que lorsqu'il s'entretenait avec eux. Et cette prédilection qu'il leur montrait était connue, non seulement des pauvres d'Ostende, mais aussi de ceux des villes où l'attiraient fréquemment ses affaires. Lorsqu'il revenait dans sa ville natale, et que le temps ne lui permettait pas d'aller visiter les ménages où régnait la misère, il chargait sa nièce, sœur Marie Béatrix de l'Immaculée Conception, devenue plus tard fondatrice des Conceptionistes d'Ostende, de pourvoir, à ses frais, aux besoins qu'elle y rencontrerait.

Les soldats de la garnison, dont souvent les privations étaient extrêmes et généralement ignorées, eurent plus d'une fois à se louer de sa délicate charité. Jacques Hoys envoyait secrètement pour eux des provisions et de l'argent au médecin qui les soignait, ainsi qu'aux prêtres et aux confesseurs chargés de veiller au bien de leurs âmes. Toujours il leur recommandait de faire leurs distributions en leur propre nom, sans jamais trahir le secret de sa bienfaisance. Que de pauvres malades il rendit à la santé, grâce aux remèdes qu'il leur faisait administrer! Que d'enfants il fit instruire, pour les rendre capables d'embrasser les carrières où les attiraient leur goût ou leur capacité! Il était vraiment le père des pauvres : et, lors de ses obsèques, M. le doyen d'Ostende, N. Janssens, put, sans exagération, lui décerner le titre de grand aumônier des Flandres.

Les pauvres nécessiteux n'étaient pas seuls à jouir des faveurs de Jacques Hoys: les pauvres volontaires, et ceux qui aspiraient à la perfection religieuse, y eurent une large part. Il honorait et aimait l'état religieux par des motifs supérieurs: et il avait soin de régler ses libéralités et ses préférences d'après le bien qui devait en

résulter. C'est ainsi qu'il favorisa l'Ordre si populaire des Pères Capucins, spécialement ceux de Dunkerque; qu'il pourvut aux besoins des religieux anglais et irlandais, que la persécution avait jetés sur nos côtes; enfin, qu'il se fit le zélé protecteur des religieuses conceptionistes. Sur ce dernier point, nous croyons utile de recueillir quelques détails historiques, fruit des recherches les plus récentes.

III. LES CONCEPTIONISTES DE DUNKERQUE.

L'Ordre des Conceptionistes de N.-D. doit son origine à la Bienheureuse Béatrix de Silva qui, par sa naissance, se rattachait aux familles royales d'Espagne et de Portugal. La divine Providence l'avait préparée à ce dessein par une rude épreuve, qu'elle supporta avec un courage héroïque. Maltraitée par la reine de Portugal, sa parente, privée de sa liberté, elle trouva le moyen de se réfugier à Tolède, où la reine Isabelle-la-Catholique lui accorda une partie du délicieux palais moresque dit de Galiana (1).

Là, cédant à une inspiration du ciel, la princesse Béatrix forma, en 1484, une petite communauté avec douze compagnes, professant la règle de S. Bernard, auxquelles vinrent bientôt se joindre quelquelques religieuses de l'Ordre de Saint-Benoît. Dès cette époque, l'Ordre naissant se fit un devoir d'honorer l'Immaculée Conception d'un culte spécial; et, après avoir obtenu, en 1489,une première approbation du pape Innocent VIII, il adopta définitivement le costume blanc et bleu, sous la règle des Franciscains de l'Observance, ces fidèles défenseurs de la Vierge Immaculée. Cette transformation fut confirmée, sur les instances du cardinal Ximènes, archevêque de Tolède, par le pape Jules II en 1506.

Le nouvel Ordre se propagea rapidement, non seulement en Espagne, mais en Italie et en France: il fut appelé à Paris par la pieuse reine Marie-Therèse d'Autriche; et de là il se répandit dans le Nord, soit par de nouvelles fondations, soit par l'accession volontaire d'autres couvents (2).

(1) Cfr. Toledo in la mano, par Don Sisto Ramon Parro. Toledo, 1857. t. II, 147.

(2) Cfr l'Histoire des Ordres monastiques et militaires, par le P. Hélyot 8 vol. in-4o, t. VII, pp. 334 à 339. Avant cette époque, il y avait d'autres Conceptionistes en Belgique, notamment à Bruges (1520), où elles eurent à souffrir successivement de la part des protestants, de Joseph II et des révolutionaires français. Ces couvents suivaient une règle mitigée.

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