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Les souverains alliés, toujours animés de la même géné rosité et de la même bonne foi, jugèrent que pour étouffer en Pologne les doctrines pernicieuses que la révolution française avait, s'il faut les en croire, fait germer dans ce pays, ils devaient le placer sous leur gouvernement immédiat; ce fut donc en invoquant les principes conservateurs des sociétés, qu'ils partagèrent entre eux les provinces d'un état indépendant, et qu'ils se déclarèrent les maîtres d'un peuple libre. Ainsi ce n'était pas assez, pour le triumvirat spoliateur, de fouler aux pieds tous les principes d'honneur et de justice; il voulait encore affecter de les rappeler, pour bien montrer à quel point il les méprisait. On a peine à croire à tant de perversité et d'impudence, et l'on est forcé de reconnaître avec un écrivain moderne (1), « qu'en se jouant ainsi d'une chose qui devait » être sacrée, les souverains semblaient autoriser les nations » à dire, que puisqu'il n'y avait rien de sacré pour eux, » il ne devait aussi y avoir rien de sacré pour elles. »

Dans les associations fondées sur l'intention d'acquérir injustement et par la violence la propriété d'autrui; il n'est pas rare de voir régner une sorte de probité et de bonne foi entre les associés, et souvent le butin est partagé entre eux avec une égalité dont s'honorerait la plus scrupuleuse justice; quelquefois aussi il arrive que le principe de l'association réagit sur elle-même et sur ses membres; et l'on voit s'élever entre eux d'injustes prétentions et de violens débats. Telles furent les discussions qui divisèrent les cours de Saint-Pétersbourg, de Berlin et de Vienne, lorsque, maîtresses de la Pologne, il fallut procéder au partage: un traité fut d'abord signé, le 3 janvier 1795, entre l'empereur d'Allemagne et l'impératrice de Russie; la portion de chacun des contractans y était déterminée, et le surplus

(1) L'auteur de l'histoire des trois démembtemens de la Pologne.

abandonné à la Prusse. Celle-ci se crut lésée par un partage dans lequel elle n'était pas intervenue: elle présenta ses réclamations, et les débats qu'elles occasionnèrent durèrent long-temps encore. Mais si les cours copartageantes étaient divisées lorsque leurs intérêts se trouvaient opposés, elles restaient parfaitement unies pour l'utilité commune; aussi, poursuivant toujours leurs desseins, elles firent signer à Stanislas Poniatowski son abdication, le 25 novembre 1795; ce prince renonça au trône avec une incroyable facilité. Il cessa de régner par la volonté qui l'avait placé sur le trône; sans avoir même l'idée d'une résistance que commandait l'honneur, et que les sentimens les plus naturels devaient lui inspirer. Il reçut, en dédommagement de sa couronne, une pension annuelle de deux cent mille ducats.

Deux traités, l'un du 21 octobre 1796, l'autre du 26 janvier 1797, terminèrent enfin toutes les difficultés entre les trois cours; relativement au partage du territoire, au paiement des dettes de la république et du roi, et au traitement de ce dernier.

L'Autriche eut la plus grande partie du palatinat de Cracovie, les palatinats de Sandomir et de Lublin, avec la partie dù district de Chelm, et les portions des palatinats de Brzec, de Podlakie, et de Mazovie, qui s'étendaient le long de la rive gauche du Bug.

La Prusse eut la partie des palatinats de Mazovie et de Podlakie, située sur la rive droite du Bug dans la Lithuanie, la partie du palatinat de Troki, et celle de la Samogitie, qui est sur la gauche du Niémen; enfin, un district de la petite Pologne faisant partie du palatinat de Cracovie.

La Russie eut toute la portion de la Lithuanie qui restait encore à la Pologne, jusqu'au Niémen, et jusqu'aux limites des palatinats de Brzec et Novogrodeck, et delà au Bug, avec la plus grande partie de la Samogitie; dans la petite Pologne, la partie de Chelm par la rive droite du Bug, et le restant do la Volhinie.

Au moyen de ces arrangemens, le lot de l'Autriche contenait environ 800 milles carrés; celui de la Prusse, 1,000; et celui de la Russie, 2,000, en y comprenant la Courlande et la Semigalle, qui s'étaient précédemment soumises à la Russie, par un traité en date du 28 mars 1795. Telle fut la fin déplorable de la république de Pologne.

Nous avons tâché de présenter avec ordre et clarté les événemens qui ont préparé et accompagné cette catastrophe, et surtout d'en indiquer les causes. Nous avons signalé ces institutions funestes, qui, en perpétuant les troubles dans l'intérieur, ont préparé aux ennemis du dehors les moyens d'envahissement; mais pour trouver la véritable source de tant de désastres, peut-être fallait-il remonter encore plus haut, et reconnaître que la Pologne a péri parce qu'une grande partie de la nation, étant sous le joug de la noblesse, n'a vu dans l'invasion étrangère qu'une révolution qui lui faisait changer de maîtres; parce que, les classes laborieuses étant opprimées, la population et les richesses n'ont pas pris l'accroissement auquel elles seraient parvenues sous un gouvernement protecteur. La noblesse polonaise crut long-temps que sa valeur et ses sabres suffiraient pour défendre la patrie; l'événement a dû la détromper, et ce n'est pas le seul exemple qui prouve que des armées nombreuses et aguerries sont aisément vaincues, tandis qu'une nation paisible, mais libre, est toujours assez forte pour se défendre.

S VIII.

1

Depuis le dernier démembrement jusqu'à nos jours.
(1797-1815.)

Dix années s'étaient écoulées depuis que la Pologne avait disparu de l'Europe. Le souvenir de son existence et de ses malheurs s'affaiblissait chaque jour; les grands événemens de la révolution française, les victoires de ses armées, et l'homme étonnant qui les conduisait, attiraient tous les regards. Napoléon, poursuivant le vaste système qu'il avait

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conçu contre l'Angleterre, avait vaincu l'Autriche et la Prusse, et dans l'hiver de 1806 ses aigles arrivèrent sur les bords de la Vistule.

Il s'annonça aux Polonais comme un libérateur; il leur promit de briser le joug sous lequel ils gémissaient. Il était de son intérêt de tenir sa parole; car, en relevant le trône de Pologne, en rappelant à l'indépendance la nation polonaise, Napoléon se créait des alliés également braves et dévoués, précisément sur les frontières de la Russie, qui seule lui résistait encore; et il opposait aux prétentions possibles du cabinet de Saint-Pétersbourg une barrière que la France et peut-être l'Europe entière avaient intérêt d'établir. Au mot de liberté, les Polonais sentirent leur courage renaître ; ils coururent aux armes; et, depuis cette époque, leurs brillans escadrons suivirent la fortune des armées françaises. Cependant ils n'obtinrent pas ce qu'ils avaient droit d'espérer; la politique de Napoléon ne fut, dans cette occasion, ni généreuse, ni habile. Il devait rétablir la Pologne grande, puissante et forte; mais il fallait pour cela dépouiller l'Au triche et la Russie de leurs usurpations; c'est-à-dire, entrer en discussion avec la première, et continuer la guerre avec la seconde. On jugea qu'une rupture avec la cour de Vienne était imprudente dans les circonstances, et que la paix, offerte par l'empereur Alexandre, était assez avantageuse pour devoir être acceptée. On se borna donc à ériger en grand duché une partie de la Pologne prussienne, et à déclarer Dantzick ville libre. Ainsi Napoléon, qui savait si bien concevoir et exécuter de vastes projets, qui n'a que trop montré à la France qu'il ne voulait jamais reculer devant les obstacles, se laissa séduire alors par des considérations qui, quelque graves qu'elles fussent, ne devaient pas balancer les avantages qu'offrait le rétablissement d'un royaume de Pologne. Ni l'Autriche, ni la Russie, ne lui surent gré de sa modération parce qu'elles en apprécièrent les motifs; la Prusse dépouillée conserva le plus vif ressen

timent, et le duché de Varsovie parut plutôt une création ins pirée par la vanité du conquérant qu'un établissement formé par les calculs de la politique. La constitution de ce nouvel état déclara la couronne grand-ducale héréditaire dans la maison du roi de Saxe; on y conserva les anciennes dénominations de dietes, de nonces, de diétines, de palatins, de castellans. La représentation nationale était partagée en deux chambres; les députés des communes étaient admis dans la seconde, conjointement avec les nonces ou députés de la noblesse; d'ailleurs l'esclavage fut aboli, et tous les citoyens déclarés égaux devant la loi. Ces dispositions durent déplaire à certaines classes; mais elles devaient attacher la nation entière au législateur. C'est une chose digne de remarque de voir ce conquérant dont l'épée gouvernait la France et avait conquis l'Europe, rendre hommage à ces principes sacrés de tolérance religieuse, d'égalité légale et de liberté civile et politique; les consacrer dans les constitutions qu'il donnait aux peuples délivrés ou vaincus par ses armées, et fournir ainsi lui – même aux nations des titres pour réclamer un jour leurs droits et leurs libertés.

La puissance, qui avait rendu à la Pologne une faible existence, pouvait seule la soutenir; et les revers de Napoléon devaient nécessairement entraîner la chute du grand duché de Varsovie. Lors du congrès de Vienne, on douta long-temps s'il convenait de former de la Pologne un état séparé, ou s'il fallait rendre à la Prusse, à l'Autriche et à la Russie les portions qui leur étaient échues par le dernier partage.

Enfin on se détermina pour le premier parti, et le duché de Varsovie fut joint aux états de l'empereur de Russie sous le nom de royaume de Pologne..

On a remarqué avec raison que loin d'accorder à la Russie un accroissement de territoire en Pologne, l'Europe devait chercher à y placer une barrière contre des projets d'envahissemens possibles. Toutefois il ne faut pas croire que

le

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