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» Les bourgeois, ou habitans des villes, n'ont pas 'entrée dans les diétines, en vertu de la loi qui exclut des droits et privilé ges tout homme exerçant une profession industrielle. Les bourgeois ne peuvent être cités par les nobles que devant le magistrat de la ville où ils habitent, et l'appel de la sentence ne peut être porté que devant le roi. ( 1 ) »

Comme nous l'avons déjà dit, les diètes de 1773 et de 1774 ne ratifièrent le démembrement de la république, et ne consentirent à modifier la constitution, qu'après, une longue et honorable résistance. Cependant les ministres étrangers avaient pris soin de les faire confédérer, afin qu'il suffît de la pluralité des voix pour adopter toutes les résolutions. Sans cette mesure, l'unanimité eût été nécessaire, et l'on ne pouvait raisonnablement espérer de l'obtenir. Toutefois ces actes consentis par des diètes confédérées ne paraissaient pas offrir une autorité suffisante; en conséquence, on convoqua en 1778 une diète libre, où toutes les résolutions prises dans celles de 1773 et 1774, furent sanctionnées du moins tacitement.

S VII.

Depuis le partage de 1774 jusqu'a:: partage définitif de 1795.

Après de si violentes agitations, la Pologne resta quelques années dans un abattement qu'on appela du repos, et dont se félicitèrent ceux qui le lui avaient procuré. Les Polonais étaient tellement affaiblis, qu'ils n'avaient plus le sentiment de leurs maux; mais ils le recouvrèrent peu à peu, à mesure qu'ils reprirent des forces. L'opinion publique reconnut bientôt que la situation actuelle de l'état était la conséquence des vices de la constitution, que ces vices subsistant encore, annonçaient de nouveaux désastres; qu'il fallait pour les prévenir, remonter à la cause, et réformer

(1) Voy. Constitution de Pologne, par Lacroix.

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les abus; mais il ne suffisait pas d'être convaincu de la nécessité d'une réforme, il fallait pouvoir l'exécuter; or à l'intérieur et au dehors des obstacles se présentaient en foule.

Deux points importans dans le système du gouvernement devaient attirer l'attention: l'élection du roi, et le droit du liberum veto. La majorité se prononçait de plus

plus pour l'établissement d'un trône héréditaire, et pour la suppression du veto, cause de tant de malheurs, et devenu tellement odieux depuis que l'étranger avait ordonné de le conserver, que personne n'osait plus en faire usage. On s'accordait également à proscrire la nouvelle institution du conseil permanent. Catherine s'opposait vivement à toute innovation, parce qu'elle craignait de voir l'ordre se rétablir en Pologne, et cet état reprendre son rang parmi les nations; au contraire, Frédéric Guillaume II, qui avait succédé au grand Frédéric, favorisait les efforts du roi et de la nation. Ses intérêts étaient alors opposés à ceux de la Russie et de l'Autriche, qui ne voyaient pas sans jalousie la Prusse agrandie et devenue une puissance du premier rang,

Cette opposition d'intérêts et de vues entre les cours de Berlin, de Saint-Pétersbourg et de Vienne, se manifesta de plus en plus le roi de Prusse déclara expressément qu'il sentait la nécessité de réformer la constitution de Pologne; que les traités de 1773 ne pouvaient être considérés comme un obstacle à l'établissement d'une nouvelle forme de gouvernement; que la garantie, promise par les trois cours copartageantes, leur imposait l'obligation de conserver à la Pologne l'intégrité de son territoire; mais qu'elle ne leur donnait pas le droit d'intervenir dans ses affaires intérieures, et d'empêcher les innovations jugées nécessaires.

Catherine donnait à la clause de garantie, une interprétation différente; elle y voyait pour les cours copartageantes, l'obligation d'empêcher toute innovation dans le gouverne

ment, et de maintenir la forme adoptée en 1774. D'ailleurs, elle déclarait qu'elle était décidée à remplir scrupuleusement les devoirs que lui imposaient les traités. Cette fidélité à tenir sa parole était certainement très-louable; mais il est évident que le sens que la cour de Russie donnait à la clause de garantie était ridicule.

C'est dans cet état des choses et cette disposition des esprits, que s'ouvrit la diète de 1788: elle se confédéra d'un consentement unanime, et s'occupa sur-le-champ de l'importante affaire pour laquelle elle avait été convoquée. Huit articles principaux furent proposés et adoptés comme bases d'une nouvelle constitution.

En 1790, le roi de Prusse proposa à la Pologne une alliance offensive et défensive, qui fut acceptée par la diète avec empressement; car les Polonais ne pouvaient espérer d'obtenir quelque indépendance qu'en rompant le lien d'iniquité qui unissait leurs ennemis. L'article 6 de ce nouveau traité est fort remarquable, il portait : «Si quelque puissance » étrangère que ce soit voulait, à titre d'actes et de stipula» tions précédentes quelconques, ou de leur interprétation » s'attribuer le droit de se mêler des affaires intérieures de » la Pologne ou de ses dépendances, en tel temps ou de quelque manière que ce soit, Sa Majesté le roi de Prusse s'emploiera d'abord par ses bons offices les plus efficaces, » pour prévenir les hostilités par rapport à une pareille pré»tention; mais si ses bons offices n'avaient pas leur effet, » et que des hostilités résultassent à cette occasion contre la Pologne, Sa Majesté le roi de Prusse, en reconnaissant ce >> cas comme celui de l'alliance, assistera alors la république » selon la teneur de l'article 4.

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Plus tard, lorsqu'il faudra juger la conduite du cabinet de Berlin, nous nous bornerons à rappeler l'article que nous venons de transcrire; poursuivons maintenant l'histoire de la réforme.

La diète, après de longues et graves discussions sur le

bases de la constitution nouvelle, comprit qu'il serait plus facile à une commission qu'à l'assemblée entière d'adopter un plan, de résoudre les difficultés et de parvenir à une bonne rédaction. En conséquence et malgré la vive opposition du parti russe, un certain nombre de membres furent chargés du travail préparatoire. Plusieurs mois s'écoulèrent encore; au mois d'avril 1791, le roi lui-même communiqua aux principaux membres de la diète un projet presque semblable sur tous les points au travail de la commission; il fut approuvé le 3 mai; puis le 5 fut indiqué pour la séance solennelle dans laquelle il serait adopté. Le parti russe essaya encore de résister; mais il fut vaincu par la force du raisonnement aussi bien que par la majorité des voix. Le roi prêta serment à la constitution, et presque tous les nonces le répétèrent.

Considérée en elle-même et dans ses rapports avec l'état du pays auquel elle était destinée, cette constitution devait réunir les suffrages : elle réformait les vices des anciennes institutions, elle n'offrait une nouvelle existence aux bourgeois et aux paysans, qu'avec de sages ménagemens, en leur faisant entrevoir un avenir plus heureux. Tous les publicistes et tous les hommes d'état s'accordèrent à la regarder comme l'œuvre de la sagesse et d'un véritable patriotisme. Le cabinet de Berlin chargea son ambassadeur de témoigner aux Polonais ⚫ combien il avait éprouvé de satisfaction en apprenant l'heureuse révolution qui avait donné à la Pologne une constitution sage et régulière. » Plus tard, Frédéric Guillaume écrivit lui. même à Stanislas Auguste, pour l'assurer de tout l'intérêt qu'il prenait à la nation polonaise. « Je me félicite, disait-il, d'avoir pu contribuer au maintien de sa liberté et de son indépendance, et un de mes soins les plus agréables sera celui d'entretenir et d'affermir les liens qui nous unissent, »

Tout semblait alors présager à la constitution nouvelle une stabilité parfaite; dans l'intérieur, le vœu de la nation manifesté dans les diétines; au-dehors, l'approbation de la

cour de Berlin et l'inaction de Catherine offraient des garan ties auxquelles on pouvait raisonnablement avoir confiance: l'état heureux de la Pologne; l'accord parfait qui régnait entre le roi et la nation, la modération avec laquelle les constitutionnels usèrent du pouvoir, étaient de nouveaux motifs pour croire à la durée des institutions nouvelles. Mais l'am bition et peut-être l'amour-propre de Catherine s'opposaient au bonheur de la Pologne; depuis long-temps elle songeait à un second partage, et plus d'une fois elle en avait manifesté l'intention dans ses relations avec les cours de Vienne et de Berlin. Tant que le roi de Prusse restait allié de la Pologne, le projet offrait des difficultés sinon insurmontables, du moins très-graves; il fallait donc commencer par rompre cette alliance; il était facile ensuite d'exciter des troubles intérieurs; car Potocki, Rzewuski, et les autres chefs du parti russe étaient prêts à suivre les ordres de l'impé

ratrice.

La première coalition formée contre la république française fournit à Catherine une occasion favorable pour se rapprocher de Frédéric ; d'ailleurs, elle savait que la Prusse, conservait toujours ses anciennes prétentions sur les villes de Thorn et de Dantzick; elle promit de consentir à leur cession, si, de son côté, la cour de Berlin renonçait à l'alliance qu'elle avait formée avec la Pologne. Ces conditions furent acceptées par les ministres prussiens, et dès ce moment ils commencèrent à paraître indifférens aux affaires de la ré publique, pour finir par y prendre une part bien active.

Catherine, après ce premier succès, appela à Saint-Péters bourg les chefs du parti qu'elle entretenait én Pologne ; elle leur fit signer une confédération datée de Targowitz, dans laquelle ils déclaraient s'opposer à la constitution du 3 mai. Aussitôt après les troupes russes se mirent en marche pout soutenir les confédérés ; et pour exécuter, disait le manifeste de Catherine, la clause de garantie portée dans les précédent

traités.

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