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En 1763, les vues de la cour de Saint-Pétersbourg changèrent relativement au duché de Courlande, et ce même Biron qu'elle avait retenu en exil, qu'elle avait déclaré ne devoir jamais quitter les états de la czarine, à qui elle avait fait choisir un successeur, fut présenté par elle comme légitime souverain du duché, et des troupes s'avancèrent pour soutenir ses prétentions.

Vainement le roi et le sénat de Pologne firent ressortir les inconséquences de la cour de Russie, vainement ils invoquèrent les droits résultant en faveur de Charles de Saxe, de son élection; tout fut inutile, il fallut céder à la volonté de Catherine et du roi de Prusse; il fallut reconnaître Biron comme duc de Courlande. On voit comment les Russes et les Prussiens s'immiscaient dans les affaires de la Pologne, et commençaient à agir en maîtres.

Frédéric Auguste mourut à Dresde, le 5 octobre 1763. Il fallait élire son successeur; de tout temps, on l'a vu, l'élection du roi avait été en Pologne l'occasion de troubles et de dissensions; la circonstance était bien favorable, le roi de Prusse et l'impératrice de Russie ne la laissèrent pas échapper.

L'Autriche paraissait favoriser les prétentions du prince Xavier de Saxe, frère du dernier roi; la Russie et la Prusse préféraient au contraire voir la couronne placée sur la tête d'un Polonais, et soutenaient le parti qui appelait au trône le comte Poniatowski. Les gens sages, en rendant justice au mérite de ce candidat, faisaient remarquer qu'en excluant les princes étrangers, on se privait de tout appui au dehors, et qu'on se livrait à l'ambition de voisins puisans. La famille des Radziwill et le comte de Branicki, général de la couronne, s'opposaient vivement à l'élection de Poniatowski: la présence des troupes russes fournissait d'ailleurs à ses ennemis un prétexte pour l'écarter. Dans la première séance de la diète, vingt-deux sénateurs et quarante-cinq nonces protestèrent contre toutes ses opérations, le comte Branicki et

le prince de Radziwill coururent aux armes; mais ils furent battus par les Russes, et Poniatowski, délivré de ses ennemis, fut élu roi, le 7 septembre 1764. Il méritait de l'être sous de meilleurs auspices; il était digne alors de monter sur le trône par le vœu libre de ses concitoyens et non par le secours des bayonnettes étrangères. A mesure que les événemens se succèdent, on voit la Russie et la Prusse étendre de plus en plus leurs prétentions, s'arroger de nouveaux droits, et les Polonais s'accoutumer à l'usurpation étrangère.

Poniatowski désirait sincèrement rétablir l'ordre dans son royaume, et le rendre indépendant de ses voisins; mais lié par la reconnaissance envers les souverains étrangers, auxquels il devait la couronne, arrêté par la résistance que lui opposaient les partis qui divisaient la Pologne, il fut contraint de suivre une marche incertaine et timide, qui entraîna de grands malheurs, mais dont on ne saurait avec justice lui faire un reproche.

La diversité de religion, cette source féconde de divisions. et de haines, n'avait pas produit en Pologne de bien fâcheux résultats; les catholiques, les protestans et les Grecs avaient senti le besoin d'une tolérance réciproque, et plusieurs lois avaient pourvu à ce que la paix publique ne fût pas troublée par des querelles religieuses entre les dissidens, c'est le nom que se donnaient réciproquement les membres de chaque communion. Le traité d'Oliva (en 1660 ), contenait à cet égard des garanties formelles, tout en consacrant la prééminence de la religion catholique. Par la suite les catholiques, devenus plus nombreux, s'écartèrent des principes qui jusqu'alors avaient assuré la tranquillité de l'état, et dans les années 1717, 1723, 1736, plusieurs lois furent rendues contre les dissidens, (l'on ne comprit plus dès-lors sous cette dénomination que les non-catholiques); ils furent écartés de tous les emplois publics, et déclarés traîtres à leur pays, dans le cas où ils demanderaient l'assistance d'un prince étranger.

TOME IV.

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A peine Stanislas Poniatowski fut-il sur le trône, que les dissi dens réclamèrent le rétablissement de leurs anciens priviléges;ils invoquèrent les dispositions du traité d'Oliva et implo rèrent l'intervention des cours de St.-Pétersbourg, de Berlin, de Londres et de Copenhague. Les catholiques répondirent, à l'ouverture de la diète de 1766, que le premier article des Pactá conventa ordonnait de « maintenir la religion catholi>que, de ne rien accorder aux dissidens, de ne pas même tolérer leur culte. On les accusait d'ailleurs d'avoir violé les lois de la république, et d'avoir compromis son indépendance, en s'adressant aux puissances étrangères. L'évêque de Wilna proposa de consacrer par une loi nouvelle ces règles fondamen tales, et malgré les représentations des ministres étrangers, la diète confirma toutes les constitutions contraires aux dissidens, sauf quelques légères concessions qui ne satisfirent ni les cours médiatrices, ni leurs protégés.

Alors les dissidens formèrent plusieurs confédérations, le prince de Radziwill se mit à leur tête; les troupes russes s'avancèrent en commettant toutes sortes d'excès et de violences, sous prétexte de rétablir l'ordre et de protéger les dissidens. Les catholiques de leur côté se confédérèrent ; tout annonçait la crise la plus violente : le roi crut la prévenir en convoquant une diète extraordinaire. On y mit l'affaire en délibération : l'évêque de Cracovie et celui de Kiovie, le palatin de Cracovie, et le staroste de Dolin son fils, parlèrent contre les dissidens, et surtout contre les Russes avec un courage que les prières, ni les menaces, ni la crainte des troupes russes qui entouraient Varsovie, ne purent fléchir. Le prince Repnin,ambassadeurde Catherine, les fit arrêter le lendemain, et par ce seul acte il montra à la nation polonaise le sort qu'elle devait attendre de la protection que lui accordait la czarine. La diète intimidée nomma des commissaires pour dresser, de concert avec l'ambas. sadeur de Catherine, les projets de lois, qui leur paraîtraient convenables. Ce mode de procéder était en contradiction avec

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tous les usages anciens; mais il fallut en outre soumettre à l'impératrice elle-même ces simulacres de lois, ouvrage de Bon ministre; et ce n'est qu'après qu'elles eurent reçu son approbation qu'il fut permis à la diète de les adopter.

Voici quelles étaient les dispositions principales de ces lois, ou plutôt du traité conclu le 24 février 1768.

«La religion catholique sera nommée religion dominante dans tous les actes publics: aucun prince ne pourra aspirer ́au trêne s'il n'est catholique, ni aucune princesse être couronnée reine, si elle ne professe la religion romaine : ceux qui changeront de religion seront punis du bannissement. Les statuts de Jagellon, et les constitutions préjudiciables aux dissidens, sont abrogés; la dénomination de dissidens sera donnée aux Grecs; ils auront le libre exercice de leur culte, ils pourront bâtir des églises, établir des écoles, tenir des consistoires, avoir des imprimeries pour leur usage; ils seront exempts de la juridiction ecclésiastique, et de la redevance qu'ils payaient aux prêtres catholiques, sous le titre de droit d'étole. Les mariages mixtes, même avec les catholiques, sont déclarés légitimes: les garçons doivent être élevés dans la religion du père, et les filles, dans la religion de la mère, s'il n'y a entre les époux une condition particulière qui y déroge. Les dissidens ne pourront être astreints à célébrer les fêtes de l'église romaine, ils contribueront également aux charges publiques. Il sera érigé un tribunal mixte, composé de juges des différentes religions, qui déci dera sans appel toutes les contestations qui pourront survenir entre les catholiques et les dissidens; le droit de patronage sera exercé sans distinction de religion, les gentilshommes dissidens seront admis à tous les emplois de la couronne, aux charges de judicature, et même à la dignité de sénateur. »

Relativement aux lois fondamentales de l'état, on dressa vingt-un articles, portant en substance: que le roi, le sénat, et l'ordre équestre (la noblesse), composeraient la répu

blique, et que leur réunion formerait le pouvoir législatif; que le royaume continuerait d'être électif; que le statut de Jagellon qui défend d'arrêter un noble avant qu'il ait été convaincu du crime dont on l'accuse, n'aurait plus lieu que pour les délits publics; que les unions formées entre les différentes provinces seraient confirmées; que les droits e: les libertés des villes et districts de la Prusse polonaise, seraient conservés en entier; que les homicides prémédités seraient punis du dernier supplice, sans distinction de rang; que le liberum veto (1) serait conservé en entier dans toutes les diètes libres; que les sujets ne devraient obéissance au roi, qu'autant qu'il observerait les conditions de la capitulation, sauf cependant le respect dû à la majesté royale, qui ne peut être insultée sans crime, que le droit d'aubaine serait aboli; que le temps des diètes libres, ordinaires, srait religieusement observé, et qu'elles ne pourraient être limitées que d'un commun accord.

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Les catholiques se crurent lésés par cette transaction; ils formèrent des confédérations, notamment en Podolie et à Br. Les unes avaient ces mots écrits sur leurs drapeaux, pro religione et libertate: la confédération de Bar s'intitulait confédération de la sainte croyance catholique. Les dissidens de leur côté s'unirent; les partis ne tardèrent pas à en venir aux mains.

Tous les excès, qu'on doit attendre des haines politiques e des dissensions religieuses, commencèrent alors à désoler la Pologne. Les Russes s'avancèrent pour soutenir les dissidens, et accabler les catholiques: ceux ci implorèrent le secours de la Porte; la guerre fut déclarée par Mustapha III à l'impératrice de Russie.

(1) Un écrivain polonais a remarqué que la preuve que le liberum veto était une institution vicieuse et funeste, résultait du soin avec lequel les ennemis de la Pologne l'avaient fait conserver. Cette manière de raisonner est souvent plus sure que toute autre, quoiqu'il soit facile d'en abuser.

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