Page images
PDF
EPUB

Il paraît que ce prince, dont les vastes états héréditaires contenaient vingt-cinq millions d'habitans, avait ouvertement formé le projet d'asservir des peuples qui diffèrent tous les uns des autres, par les lois, les préjugés, les priviléges, le langage et le degré de civilisation, à un gouvernement uniforme, qui aurait établi partout les mêmes lois, les mêmes taxes et la même langue, qui aurait fait disparaître tous les priviléges, et réparti également le fardeau des impositions.

Afin de pouvoir suivre les vastes plans de Joseph, jetons, un coup d'œil sur l'esprit des Hongrois et sur la constitution qui les régissait à cette époque; ce ne sera pas l'étude la moins importante dont cet ouvrage nous ait donné le sujet.

Voltaire a peint les Hongrois comme une nation fière et généreuse, le fléau de ses tyrans et l'appui de ses souverains; c'est cet esprit qui leur a conservé la plupart de leurs priviléges, et qui a empêché leur gouvernement de devenir despotique sous l'administration de souverains habitués à se regarder comme absolus.

Long-temps la couronne fut élective en Hongrie; les Hongrois renoncèrent au privilége de l'élection en faveur des services rendus par Léopold I°, en 1622; mais alors même le souverain reconnut comme loi fondamentale l'obligation de prêter, en montant sur le trône, le serment de maintenir les priviléges de la nation; on faisait encore usage du diplôme qui permettait aux sujets de prendre les armes contre le monarque qui violerait cette promesse solennelle, mais en protestant contre cet article, comme nous l'avons déjà remarqué.

Aux états seuls appartenait le droit de faire les lois et d'imposer les taxes, les deux priviléges les plus importans dont un peuple puisse jouir; le souverain n'avait que le veto dans la législation.

Toutefois la nation, et voilà le vice essentiel de la constitution de Hongrie, ne consistait que dans les deux grands corps aristocratiques, la noblesse et le clergé ; la portion utile et laborieuse de la société, les bourgeois et les paysans, n'avaient presque aucun droit, aucune influence dans les affaires publiques; ils étaient étrangers à tout, excepté au poids des taxes; les nobles étaient exempts de toutes les charges et taxes publiques, qui pesaient en entier sur les bourgeois et les paysans.

De tout temps, la diète eut des séances périodiques: d'abord elles durent avoir lieu chaque année; elles furent plus tard déclarées triennales; mais depuis 1764 jusqu'en 1790, la diète n'avait point été convoquée.

Telles étaient les bases de la constitution de Hongrie, lors. que Joseph II tenta d'y introduire des lois, une administration et des usages nouveaux.

Joseph II n'était pas hongrois; il fut mal vu par la nation. La noblesse et le clergé étaient puissans, et il voulait saper les priviléges des prêtres et des nobles. Il cherchait à s'appuyer sur la masse des citoyens ; mais les bourgeois étaient dégradés et les paysans dans l'esclavage: d'ailleurs les uns et les autres méprisaient les gouvernemens allemands. Joseph connaissait toutes ces circonstances; mais l'Europe était en paix, et il n'en suivit pas moins ses plans de réforme. En un mot, son règne fut une lutte continuelle entre le despotisme et l'aristocratie.

La première faute de l'empereur fut de se soustraire sans doute pour éviter de prononcer le fameux serment, à la cérémonie du couronnement, insignifiante en ellemême, mais à laquelle les Hongrois tenaient par-dessus tout. « Personne, parmi eux, dit un ancien auteur, n'est censé souverain légitime qu'après avoir ceint la couronne envoyée de Rome par ordre du ciel à Etienne, premier roi de Hongrie; cette couronne est considérée comme sacrée,

et conservée avec autant de soin que si le salut et la religion de la Hongrie y étaient attachés » (1).

L'endroit où on la conservait était fixé par la diète; et pour la déplacer il fallait un décret de cette assemblée; la diète nommait ses gardiens qui faisaient le serment de ne jamais la faire voir à qui que ce fût sans un ordre du souverain et des états, et de la défendre jusqu'à leur dernier soupir. Quel dut donc être encore le scandale et l'indignation, lorsque l'empereur dépouilla la Hongrie de cette antique couronne et la fit transférer à Vienne ; aussi Joseph apprit-il par la suite qu'il est des préjugés qu'il faut quelquefois respecter (2).

Cependant ces mesures n'étaient que le prélude de réformes plus importantes. « La première frappa sur la division du royaume en comtés, qui avaient l'administration du gouvernement et de la police, présidés par des comtes, vicomtes, gouverneurs, et autres officiers subalternes. Joseph forma de la Hongrie dix. cercles, à chacun desquels il attacha pour chef un commissaire royal. Cette innovation n'était point de petite importance; elle enlevait à la noblesse un emploi honorable, héréditaire jusqu'alors dans un grand nombre de familles, et dont toute l'influence allait être désormais entre les mains, du souverain. »

Rien ne pouvait être plus contraire aux vues de l'empereur que la servitude des paysans dont il attendait toutes ses res

(1) Inchofferus.

(2) Les Hongrois ont leur couronne, Angeli monitu missa; nous avons la Sainte-Ampoule, apportée du ciel par une colombe, pour sacrer aussi notre premier roi; l'un vaut bien l'autre; il y a cependant une différence à remar quer: c'est qu'aucun auteur contemporain ne parle du miracle opéré en faveur du roi Franc. Au reste, il serait facile de convaincre les incrédules; car, n'estil pas perpétuel le miracle par lequel l'huile renfermée dans une phiole assez petite pour être voiturée par une colombe du ciel jusqu'à nous, a pu, sans se consommer oindre le front de tant de rois. Nos pères n'en ont point douté.

TOME IV.

[ocr errors]

9

sources, dans le cas où il aurait réussi dans l'exécution de son plan de réforme. La suppression de la servitude de la glèbe, fut proclamée en 1785, époque non moins favorable que celle de 1764, à la liberté des paysans.

[ocr errors]

Mais ce changement n'étant fondé que sur une simple erdonnance, sans l'intervention de la diète, il fut regardé comme arbitraire, et comme une usurpation du droit des propriétaires du sol.

Joseph n'en poursuivit pas moins l'exécution de ses projets; et ses ordonnances devinrent de plus en plus arbitraires. Plusieurs districts de Hongrie parlent une langue particu lière; il ordonna qu'après le terme de trois ans, tous les actes publics seraient écrits en Allemand; que ceux qui occuperaient alors des emplois, seraient destitués s'ils ne parlaient et n'écrivaient cette langue. « Un vieux Magyar, dit Cantwel, obligé d'apprendre, et particulièrement la langue allemande! Cette ordonnance dut leur paraître plus terrible qu'une invasion des Turcs.»

α

Le réglement sur la taxe des terres vint encore irriter la noblesse jusqu'alors cette taxe n'avait porté que sur les propriétés de cette classe de citoyens qu'on nommait Plebs ; Joseph voulut que toutes les terres, sans distinction de pos sesseurs, fussent soumises à la même loi, et payassent en proportion de leur valeur et de leur fertilité.

Les réformes de Joseph s'étendirent aussi sur les croyances religieuses: il professa une tolérance extrême pour le protestantisme; et commença ainsi à mécontenter le clergé catholique, qu'il eût été prudent de ménager. Enfin, il s'empara de plusieurs églises qu'il consacra à des usages utiles, mais autres que ceux du culte; il supprima des monastères et des couvents, chose sans doute peu utile à la prospérité de l'état; mais par là il s'aliéna la plupart des catholiques.

Les villes éprouvèrent aussi l'effet des mesures générales : il supprima une partie de leurs priviléges, et irrita ainsi successivement les nobles, le clergé et les bourgeois.

Tout le tort de Joseph Il fut trop de précipitation. Je me trompe; il y eut plus que de la précipitation, il y eut de l'imprudence; et si Joseph croyait pouvoir ime punément saper les fondemens de la constitution hongroise en employant le bayonnettes, il devait au moins ménager soigneusement cet argument irrésistible; mais il en fut autrement; et Joseph, tout en poursuivant le cours de ses réformes, s'engagea sans nécessité dans une guerre contre les Turcs. Les réquisitions arbitraires fatiguèrent tous les peuples soumis à la domination autrichienne la Hongrie surtout se plaignit hautement; les griefs se multiplièrent; et, après avoir médité jour et nuit, et si long-temps dans l'espoir de faire le bonheur de ses peuples, Joseph fut obligé de céder aux plaintes qui deyenaient chaque jour plus pressantes: il publia en 1790 une révocation de ses nouvelles institutions; et vit ainsi échouer tous ses efforts avant le terme de sa carrière. Il put, du bord de son tombeau, entendre les malédictions de ses peuples, châtiment cruel, pour un roi bien intentionné; et qui doit apprendre aux souverains qu'il ne faut pas se jouer de l'opinion et des voeux des nations; et que les lois, même les plus sages, ne doivent jamais être imposées arbitrairement.

S V.

Depuis la mort de Joseph II, jusqu'à nos jours. (1790-1820.)

Lorsque la nouvelle de la mort de Joseph II se répandit, le peuple, en quelques endroits, brûla ses édits au pied d'une potence; c'était avertir son successeur des ménagemens qu'il avait à garder envers ses sujets, dont la plupart avaient même conçu le projet de se délivrer de la domination autrichienne. Léopold fut plus prudent que son père, il écouta toutes les plaintes; il satisfit tous les mécontens.` « Nous avons vu enlever la couronne sacrée de ce royaume,

« PreviousContinue »