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Cardinal du Perron, Bertaut & Malherbe, & à cette heure Meffieurs de Boisrobert, Scudery, Rotrou, Corneille, Saint Amand &Benferade. Mais enfuite il prétend que l'Anjou n'eft pas fitué au delà du Cercle Polaire, ni dans les Déferts d'Arabie, & ne reffemble pas à ces Ifles qui ne font habitées que de Magots, de Monftres & de Barbares. Enfin il étale tout ce qui peut fervir à la gloire de l'Anjou, jufqu'aux reftes des Amphitéatres des Romains. Il eft affés remarquable qu'il y ait eu un temps où l'on fe foit cru obligé de faire fes excufes au Public de ce qu'on n'étoit pas Normand..

Dans ce temps-là la Tragi-Comédie étoit affés à la mode, genre mêlé, où l'on mettoit un affés mauvais Tragique avec du Comique qui ne valoit guére mieux. Souvent cependant on donnoit ce nom à de certaines Piéces toutes férieuses, à caufe que le dénouement en étoit heureux. La plûpart des Sujets étoient d'invention, & avoient un air fort romanefque. Auffi la coutume étoit de mettre au-devant de ces Piéces de longs Argumens qui les expliquoient.

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Le Théatre étoit encore affés licen

cieux. Grande familiarité entre les. perfonnes qui s'aimoient. Dans le Clitandre de M. Corneille Califte vient trouver Rofidor au lit; il eft vrai qu'ils doivent être bientôt mariés, mais un honnête Spectateur n'a que faire des préludes de leur mariage. Aufli cette Scéne ne fe trouve que dans les premieres Editions de la Piéce. Rotrou, en dédiant au Roi la bague de l'Oubli fa feconde Piéce, fe vante d'avoir rendu fa Mufe fi modefte, que fi elle n'eft belle, au moins eft fage, & que d'une Profane il en a fait une Religieufe. Et dans fa Céliane qui eft faite deux ans après, on voit une Nife dans le lit, dont l'Amant la vient trouver, & n'est embarraffé que dans le choix des faveurs qui lui font permifes; car il y en a quelques-unes réfervées pour le temps du mariage. A la fin l'Amant fe détermine, & comme il a déliberé longtemps, il jouit long-temps auffi de ce qu'il a préféré. Nife a le loifir de dire vingt Vers, au bout defquels feulement (car cela eft marqué en Profe à la marge) Pamphile tourne le vifage du côté des Spectateurs. Il femble que cette Mufe qui s'étoit fait Religieufe, fe

difpenfoit un peu de fes voeux, ou pour mieux dire, on ne trouvoit pas alors que cela y fût contraire. Peut-être Rotrou croyoit-il avoir tout raccommodé par la fageffe des vingt Vers que dit Nife dans le temps qu'elle n'eft pas trop fage. Elle débite une très-fublime morale au mépris de la matiere, & à la louange de l'efprit. C'est l'efprit qu'il faut aimer, dit-elle, il n'y a que lui digne de nos flammes; fi vous baifes mes cheveux, mes cornettes en font autant. Et Pamphile qui n'a pas paru trop profiter d'un fi beau difcours, dit pourtant à la fin, que fans ce louable entretien il feroit mort de plaifir. Tant la morale bien placée à de pouvoir!

Rien n'eft plus ordinaire dans les Piéces de ce temps-là, que de pareilles libertés. Les Sujets les plus férieux ne s'en fauvent pas. Dans la célébre Sophonisbe de Mairet, lorfque Maffiniffe & Sophinisbe arrêtent leur mariage, ils ne manquent pas de fe donner des arrhes. Siphax avoit auparavant reproché à Sophonisbe l'adultere & l'impudicité groffes paroles qui aujourd'hui feroient fuir tout le monde.

Pendant que le Théatre étoit fur ce

pied là, Lucrece n'étoit pas un fujet à rebuter; auffi du Ryer l'a-t-il traité fans fcrupule. Rotrou a fait une Crifante qui est une autre Héroïne violée par un Capitaine Romain, dont elle eft prifonnie re. Aujourd'hui ces fujets-là ne feroient pas foufferts. Eft-ce que nos moeurs font plus pures? Il eft bien für que non. C'eft feulement que nous avons l'efprit plus raffiné. L'efprit feul fuffit pour nous donner le goût des bienséances; mais le goût de la vertu, c'est autre chofe. Une des plus grandes obligations que l'on ait à M. Corneille, eft d'avoir purifié le Théatre. Il fut d'abord entraîné par l'ufage établi, mais il y réfifta auffi-tôt après; & depuis Clitandre fa feconde Piéce, on ne trouve plus rien de licencieux dans fes Ouvrages. Tout ce qui y refte de l'ancien excès de familiarité dont les Amans étoient ensemble fur le Théatre, c'est le tutayement. Le tutayement ne choque pas les bonnes mœurs, il ne choque que la politeffe & la vraie galanterie. Il faut que la familiarité qu'on a avec ce qu'on aime foit toujours refpectueufe; mais auffi il est quelquefois permis au refpect d'être

un peu familier. On fe tutayoit dans le Tragique même auffi bien que dans le Comique, & cet ufage ne finit que dans l'Horace de M. Corneille, où Curiace & Camille le pratiquent encore. Naturellement le Comique a dû pouffer cela un peu plus loin, & à fon égard le tutayement n'expire que dans le Menteur.

M. Corneille après avoir fait un essai de fes forces dans fes fix premieres Piéces, où il ne s'éleva pas beaucoup au-deffus de fon Siecle, prit tout-àcoup l'effor dans Médée, & monta jufqu'au Tragique le plus fublime. A la vérité il fut fecouru par Seneque mais il ne laiffa pas de faire voir ce qu'il pouvoit par lui-même. Enfuite il retomba dans la Comédie, & fi jose dire ce que j'en penfe, la chute fut grande. L'Illufion Comique dont je parle ici, eft une Piéce irréguliere & bifarre, & qui n'excufe pas par fes agrémens fa bifarrerie & fon irrégularité. Il y domine un perfonnage de Capitan qui abat d'un fouffle le grand Sophi de Perfe & le grand Mogol, & qui une fois en fa vie avoit empêché Le Soleil de fe lever à fon heure prefcri

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