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fimple, & avoit trop peu d'événemens. M. Corneille piqué de cette Critique, fit Clitandre, & y fema les Incidens & les Avantures avec une très-vicieuse profufion, plus pour cenfurer le goût du Public, que pour s'y accommoder. Il paroît qu'après cela il lui fut permis de revenir à fon naturel. La Galerie du Palais, la Veuve, la Suivante, la Place Royale, font plus raifonnables.

Nous voici dans le temps où le Théatre devint floriffant par la faveur du grand Cardinal de Richelieu. Les Princes & les Miniftres n'ont qu'à commander qu'il fe forme des Poëtes, des. Peintres, tout ce qu'ils voudront, & il s'en forme. Il y a une infinité de génies de différentes efpéces qui n'attendent pour fe déclarer que leurs ordres, ou plutôt leurs graces, la nature est toujours prête à fervir leurs goûts.

Le Miniftere du Cardinal de Riche-. lieu enfanta donc en même temps les Corneille, les Rotrou, les Mairet, les Triftan, les Scudery, les du Ryer, outre quelque vingt ou trente autres dont les noms font préfentement fi enfoncés dans l'oubli que quand je les

en tirerois un moment pour les rapporter ici, ils y retomberoient tout auffi-tôt.

On recommençoit alors à étudier le Théatre des Anciens, & à foupçonner qu'il pouvoit y avoir des régles. Celle des vingt-quatre heures fut une des premieres dont on s'avifa; mais on n'en faifoit pas encore trop grand cas, témoin la maniere dont M. Corneille luimême en parle dans fa Préface de Clitandre, imprimée en 1632. Que fi j'ai renfermé cette Piéce ( Clitandre) dans la régle d'un jour, ce n'eft pas que je me repente de n'y avoir point mis Mélite, ou que je me fois réfolu à m'y attacher dorénavant. Aujourd'hui quelques-uns adorent cette régle, beaucoup la méprifent; pour moi j'ai voulu feulement montrer que fi je m'en éloigne, ce n'eft pas faute de la connoître.

Dans la Préface de la Veuve, imprimée en 1634, il dit encore qu'il ne fe veut pas trop affujetir à la févérité des régles, ni auffi ufer de toute la liberté ordinaire fur le Théatre François. Cela fent un peu trop fon abandon, mefféant à toutes fortes de Poemes, & particulierement aux Dramatiques qui ont toujours été les plus réglés.

Mais le Sieur Durval dans la Préface de fon Agarite, imprimée en 1636, le prend bien fur un autre ton. Il se réjouit aux dépens de ces pauvres régles de l'unité de lieu & des vingt-quatre heures, il s'en moque de tout fon coeur. C'eft une chofe curieufe de voir combien il eft vif & agréable fur cette matiere. Ne croyons pas que le vrai foit victorieux dès qu'il fe montre; il l'est à la fin, mais il lui faut du temps pour foumettre les efprits. Les régles du Poëme Dramatique inconnues d'abord ou méprifées, quelque temps après combattues; enfuite reçues à demi, & fous des conditions, demeurent enfin maîtreffes du Théatre; mais l'époque de l'entier établissement de leur empire n'eft proprement qu'au temps de Cinna.

Dès la Veuve, qui n'eft que la quatriéme Piéce de M. Corneille, il paroît qu'il avoit déja pris le deffus de tous fes Rivaux. Ils parlent tous de la Veuve comme d'une merveille dans des Vers de leur façon imprimés au-devant de cette Piéce. Sur-tout ce que dit Rotrou eft remarquable.

Pour te rendre juftice, autant que pour te plaire} Je veux parler, Corneille, & ne puis plus me

taire.

Juge de ton mérite, à qui rien n'eft égal,
Par la Confeffion de ton propre Rival.
Pour un même fujet même defir nous presse.
Nous poursuivons tous deux une même Maî
treffe.

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Mon efpoir toutefois eft décru chaque jour,`
Depuis que je t'ai vu prétendre à fon amour.

Que tes inventions ont de charmes étranges,
Que par toute la France on parle de ton nom,
Et qu'il n'eft plus d'eftime égale à ton renom.
Depuis ma Mufe tremble & n'eft plus fi hardie,
Une jalouse peur l'a long-temps refroidie;
Et depuis, cher Rival, je ferois rebuté
De ce bruit fpécieux, dont Paris m'a flatté,
Si ce grand Cardinal . . .

...

La gloire où je prétens eft l'honneur de lui plai

re,

Et lui feul réveillant mon génie endormi,

Eft caufe qu'il te reste un si foible ennemi.
Mais la gloire n'est pas de ces chastes Maitresses
Qui n'ofent en deux lieux répandre leurs cares,

fes.

Cet

Cet objet de nos vœux nous peut obliger tous, Et faire mille Amans fans en faire un jaloux.

Tel on me voit par tout adorer ta Clarice?
Auffi rien n'eft égal à fes moindres attraits,
Tout ce que j'ai produit céde à ses moindres

traits.

La coutume de rendre juftice au mérite, & de louer ce qu'on n'avoit pas fait, n'étoit point jufque-là bannie d'entre les Auteurs, & les plus grands Poëtes étoient encore des hommes raifonnables.

A propos de ces Eloges à la vieille mode, je ne puis oublier une chose qui peut paroître affés finguliere. Il y a un Hippolite imprimé en 1635 du Sieur de la Pineliere, Angevin. Dans la Préface, l'Auteur dit qu'il eft bien hardi d'avoir ofé mettre le nom de fon pays en gros caracteres au frontispice de fon Ouvrage.... Que comme autrefois pour être eftimé poli dans la Grece, il ne falloit que fe dire d'Athenes, & pour avoir la réputation de vaillant il falloit être de Lacédémone; maintenant pour fe faire croire excellent Poëte, il faut être né dans la Normandie, Il convient qu'elle avoit fait admirer le grand Tome III. H

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