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nier ne fe fouvient peut-être plus d'un plaifir qu'il m'a fait; mais moi je m'en fouviens, & en profiterai dans l'occafion.

Je fuis avec refpe&t, &c.

LETTRE XXII.

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AU MÊME.

Paris, 7 Novembre 1750.

Ous flattez bien mon amour propre, Monfieur, de vouloir que je décide dans votre question du Tutoye ment. Je n'étois guères capable que de raffembler, comme j'ai fait, les différentes idées nécessaires à la décision, & de vous les mettre fous les yeux, en fuppofant que votre choix eft entierement libre; mais s'il ne l'eft pas toutà-fait, & fi, en parlant à Dieu, vous voulez avoir égard à un ufage déja établi, & qui certainement a fes raifons, je fuis d'avis qu'on le fuive, & que le tutoyement foit abfolument général. Il eft anobli par notre Poëfie Françoise; il a un air oriental, & la

bigarure auroit mauvaife. grace; de plus, je foupçonne qu'elle feroit fouvent embarraffante dans la pratique, par fon incertitude, & par la diverfité des cas (r).

J'ai lu avec plaifir l'Oraifon inaugurale de M. Cramer. Il fe fait une grande réputation dans le monde, non-feulement par fes Ouvrages, mais, ce que j'eftime bien autant, par fes qualités perfonnelles. Joignez à cela Meffieurs Abaufit, Jallabert, & quelques autres Genevois extravafés, comme notre aimable M. Saladin, les deux excellens Peintres qui font ici ( s ), & assurément d'autres encore que je ne connois pas; & il fe trouvera que le petit Etat de Genève figure très-agréablement dans l'Europe.

Je fuis de ce petit Etat-là, & de vous en particulier, Monfieur, &c.

(r) Voyez le petit Livre intitulé : » Lettres fur la coutume moderne d'employer le Vous au » lieu du Tu ; & fur la question: Doit-on bannir » le tutoyement de nos verfions, particuliere»ment de celles de la Bible? (Par M. Vernet.) » A la Haye, chez Daniel Aillaud, 1752 «.

(s) M. Serre, qui vient d'être nommé, & M. Liotart. Celui-ci avoit peint auffi M. de Fontenelle.

LETTRE XXIII.

De M. DE MONTESQUIEU à M.Vernet, fur le même sujet du tutoyement (t).

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26 Juin 1750.

je ne fuis point trop préfomptueux, Monfieur, pour répondre à une queftion qui n'eft que très-incidemment de mon reffort, je vous dirai que je fuis très-fortement de votre avis, & qu'il ne faut point dans une traduction de la Bible employer le terme de Vous au fingulier. Vos raisons me paroiffent extrêmement folides. Je pense qu'une version de l'Ecriture n'est point une affaire de mode, ni même une affaire d'urbanité.

2. Il me femble que l'Efprit de la Religion Proteftante a toujours été de ramener les traductions de l'Ecriture à l'Original. Il ne faut donc point, en traduifant, faire attention aux délica

(t) On la trouve parmi celles de M. Vernet, fur la coutume moderne d'employer le Vous au lieu du Tu, &c. pag. 157.

teffes modernes. Ces délicateffes mêmes ne font point tant des délicateffes, puifqu'elles nous viennent de la barbarie.

3. Le ftyle de l'Ecriture eft plus ordinairement poëtique, & nous avons très-fouvent gardé le Toi pour la poë

fie:

Grand Roi, ceffe de vaincre, ou je ceffe d'écrire ;

Ce qui eft bien autrement noble, que fi Defpréaux avoit dit:

Grand Roi, ceffez de vaincre.

4. Dans votre Religion Proteftante, quoique vous ayez voulu lire votre Bible en Langue vulgaire, vous avez eu pourtant l'idée d'en conferver le caractere original, & vous vous êtes éloignés des façons de parler vulgaires. Une preuve de cela, c'eft que vous avez traduit la Poëfie par la Poëfie.

5. Notre Vous étant un défaut des Langues modernes, il ne faut point choquer la nature en général, & l'efprit de l'ouvrage en particulier, pour fuivre ce défaut. Je crois que ces remarques auroient lieu dans quelque Livre facré de quelque Religion quel

conque, comme l'Alcoran, les Livres religieux des Guébres, &c. Comme la nature de ces Livres eft de devoit être refpectés, il fera toujours bon de leur faire garder leur caractere original, & de ne leur donner jamais des tours d'expreffions populaires. L'exemple de nos Traducteurs, qui ont affecté le beau langage, ne doit pas plus être fuivi que celui du Prédicateur du Spectateur Anglois, qui difoit que, s'il ne craignoit pas de manquer à la politeffe & aux égards qu'il devoit avoir pour fes Auditeurs, il prendroit la liberté de leur dire que leurs déportemens les meneroient tout droit en enfer. Ainfi je crois, Monfieur, que fi l'on veut faire à Genève une traduction de l'Ecriture, qui foit mâle & forte, il faut s'éloigner, autant qu'on pourra, des nouvelles affectations. Elles déplurent même parmi nous dès le commencement; & l'on fait combien le Pere Bouhours fe rendit là-deffus ridicule, lorsqu'il voulut traduire le Nouveau Testament. Conservez-y l'air & l'habit antique; peignez comme Michel-Ange peignoit ; & quand vous defcendrez aux chofes moins grandes, peignez comme Raphaël a

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