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ou à l'autre genre de gloire, fous peine de n'exceller dans aucun.Plus privilégié que lui, vous avez fu, Monfieur, par un art heureux, réconcilier deux bran-` ches du favoir, entre lefquelles il ne paroît pas moins d'oppofition. Vous les avez contraintes de fe prêter une affiftance mutuelle. Jamais l'utile & l'agréable ne fe font trouvés plus délicieufement unis que dans votre admirable Pluralité des Mondes.

Il eft vrai que 'lorfque, femblable à la Sibille d'Enée, vous entreprenez de nous conduire, vous ne nous menez point (& ce n'eft pas en effet votre.intention) dans les replis & les recoins les plus cachés & les plus intérieurs du tréfor philofophique: mais alors même nous vous avons l'obligation de nous en dormer des notions & des idées, auxquelles bien des gens n'euffent jamais pu atteindre fans votre fecours. II en refulte un point de vue, un coup d'oeil qui fournit à un efprit capable de réflexion, les plaifirs les plus délicats, & qui en même temps annoblit & éleve les idées qu'il doit avoir de la fageffe & de la puiffance de l'Etre fuprême.

Malgré les proteftations que j'ai faites en commençant, quelques personnes penferont peut-être que la vanité a autant de part que la reconnoiffance à l'efquiffe imparfaite que j'ofe donner de votre caractere & de vos talens. En effet, quand je réfléchis à la difficulté de mon entreprise, je ne puis m'empêcher de me trouver coupable, au moins en partie, & d'avouer avec toute la fincérité d'un Anglois, que la vanité (fienfin l'ambition qui m'anime ne mérite pas d'être honorée d'un terme plus noble) peut bien avoir quelque part à ce que je vous adreffe.

Mais j'en appelle à ceux d'entre les hommes, dont l'ame peut s'enflammer d'une vive paffion pour l'étude & le favoir, & qui font capables de refpecter ceux qui y excellent. Je me flatte qu'ils verront d'un côté plus favorable le principe qui me fait agir. Ils penferont qu'il eft louable de fe livrer à ce goût fublime, plutôt que de voyager chez les Etrangers, dans l'unique intention d'y découvrir, & d'en rapporter des goûts & des plaisirs d'un ordre tout fenfuel.

Quel que foit le tour qu'on veuille

donner aux motifs qui me font agir, je fuis très-convaincu que votre politesse & votre humanité vous les feront voir d'un côté favorable.

Perfonne n'eft avec plus de refpect, Monfieur,

Votre, &c.

LETTRE XVIII.

Réponse de M. DE FONTENELLE à M. LOCKMAN.

J ne

Paris, Novembre 1744.

E doute pas, Monfieur, , que vous ne fachiez préfentement par quelle aventure le paquet dont vous m'honoriez, & qui me fut annoncé au mois de Juillet ou d'Août par M. Rolli, a été retardé fi long-temps à Calais, que je ne l'ai reçu que depuis huit ou dix jours. Il m'a fallu encore le temps d'en faire traduire l'Epitre dédicatoire ; car je ne fai pas un mot d'Anglois, & j'en ai déja été bien mortifié en plufieurs occafions, mais jamais autant que dans celle-ci. C'est un avane

tage que votre Nation a fur nous, de favoir plus communément notre Langue, que nous ne favons la vôtre; mais nous commençons à nous piquer d'honneur fur ce point, & bientôt nous ne vous céderons plus.

La traduction de l'Epitre me fait tourner la tête de vanité. Je foupçonne bien qu'il y a beaucoup à rabattre de tout ce que vous me faites l'honneur de me dire, & qu'il en faut mettre la plus grande partie fur le compte de votre politeffe; mais n'importe: j'aurois voulu voir la raifon de Socrate lui même à la même épreuve ; qu'un illuftre Savant Egyptien l'eût été choifir entre tous les Grecs, pour lui adreffer un Ouvrage de fa façon, en lui donnant des louanges très-fpirituellement & très-finement tournées ; & je crains fort que cette raifon fi ferme & fi inébranlable ne s'en fût pas tirée toutà-fait à fon honneur. Quoi qu'il en puiffe arriver, à moi qui ne prétends pas le valoir, je faurai bien que vous m'avez fait, Monfieur, une grace trèsfinguliere, dont je n'avois nul droit de me flatter, & dont je ne puis jamais vous marquer affez de reconnoiffance.

J'efpere que mon Traducteur voudra bien me donner du moins quelques idées générales de votre vie de la Fontaine, & de vos remarques fur fon caractere.Je l'ai un peu connu, & je le définiffois ainfi Un homme qui étoit toujours demeuré à peu près tel qu'il étoit forti des mains de la Nature, & qui dans le commerce des autres hommes n'avoit prefque pris aucune teinture étrangere.De-là venoit fon inimitable & charmante naïveté. Je me tiens bien sûr que vous l'aurez attrapée dans votre Langue autant qu'il étoit poffible, & cela augmente bien, le regret que j'ai de ne pas favoir l'Anglois. Je me ferois fait un grand plaifir de comparer le génie des deux Nations. Je connois déja celui de la vôtre, fur les Ouvrages de force, pour ainfi dire, fur la Géométrie, la Phyfique, la Métaphyfique, & je fais qu'il y va aussi loin qu'il foit poffible; mais je ne le connois pas tant fur les Ouvrages d'agrément, parce qu'ils demandent la connoiffance de la Langue dans laquelle ils font écrits.Sans doute la Pfyché de la Fontaine devenue Angloife, aura confervé toutes fes graces, & en aura peut-être même acquis de nouvelles; mais malheu

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