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vous ne me verrez plus, vous oublierez combien je vous ai aimée, & vous croirez que mon Rival vous aime affez; mais prenez, je vous prie, un état de mon amour, pour le pouvoir toujours comparer au fien. Hélas! il va représenter fur votre cœur tout ce que nous allons faire dans les Pays-Bas, affauts, embuscades, surprises, &c. Que fera-ce, s'il réuffit, comme nous réuffirons fans doute? Quand nous aurons bien pris des villes, j'y fuis peut-être pour la vingt milliéme partie de la gloire; mais quand à mon retour je trouverai votre coeur pris, j'y fuis pour tout. Je tâcherai à mériter que la Gazette parle de moi, pour vous faire fouvenir de mon nom; mais le malheur eft que je ne pourrai pas faire mettre mes foupirs dans la Gazette, & mon nom fans mes foupirs, c'est bien peu de chofe. Il me femble qu'il y a un fort mauvais ordre pour les Amans qui vont à la guerre. Le Roi donne à ceux qui ont des affaires & des dettes, de certaines Lettres d'Etat, par lefquelles les pourfuites que leurs créanciers feroient contre eux, font arrêtées, tandis qu'ils font en campagne

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pour le fervice de Sa Majefté; autre-
ment il feroit bien cruel qu'ils trou-
vaffent à leur retour, qu'on fe feroit
fervi de leur abfence pour renverfer
tout chez eux. Ne devroit-il pas y
avoir auffi pour les Amans des Lettres
d'Etat, qui empêcheroient, pendant
qu'ils font à l'armée, qu'on ne profitât
de leur éloignement pour leur enlever
le coeur de leurs Maîtreffes? On re-
vient chez foi, après avoir expofé fa
vie pour fon Prince, on trouve une
infidelle de la façon d'un homme de
Robe ou d'un Citadin. C'eft là un
grand défagrément dans le Service; &
quand Meffieurs les Miniftres y auront
penfé, je crois qu'ils y remédieront. Il
n'y aura que les belles qui voudront
peut-être s'y oppofer, à caufe de la
trop grande
grande fidélité qu'on exigeroit
d'elles, ou de l'inutilité de vie où elles
feroient réduites pendant toutes les
campagnes; mais il n'importe : le bien
public le doit emporter fur tout; le
Roi feroit affurément mieux fervi. Je
vais tâcher d'infpirer cette pensée à
ceux qui approchent les Puiffances;
&, fi je puis, je vous obligerai bien à
m'être fidelle, en vertu d'une Décla-

ration du Roi, puifque vous ne voulez pas l'être naturellement.

LETTRE VII I.

A Madame........ en lui envoyant du vermillon pour une de fes amies.

La cinquante-neuviéme.

VOUS

us m'honorez beaucoup, Madame, de m'avoir choisi pour me confier les besoins du teint d'une de vos amies. Je vous envoie le meilleur vermillon de Paris. Je fouhaite que la Dame pour qui vous me l'avez demandé, & que je crois deviner, en foit contente, & que M. le Comte de..... y foit trompé; mais je crains que fon vermillon ne lui foit affez inutile, fi l'on vous voit toujours toutes deux enfemble, comme à l'ordinaire. Votre teint enlaidit plus le fien, que mon rouge ne pourra l'embellir. Si vous vouliez être amie généreufe, vous prendriez un peu de ce que je vous envoie, pour avoir le teint moins beau, & n'effacer pas celui de Madame

de........ avec tout le fecours qu'il pourra avoir. Peut-être même le devriez-vous faire par votre propre intérêt; car, parce que vous aurez un incarnat plus vif que Madame de..... on croira qu'il fera emprunté, & que le fien fera naturel. Au refte, Madame, foyez fûre du fecret que vous me demandez. J'ai une égale difcrétion pour les coeurs & pour les teints qui ont de la confiance en moi; & vous verrez que, quand je rencontrerai votre amie, je ferai le premier à admirer ce que j'ai acheté.

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AVERTISSEMENT

De la premiere Edition des Lettres du Chevalier d'Her **, en 1683.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

JE ne fais fi ces Lettres passeroient aifément pour être d'un Grammairien fort exact dans la Langue; mais on reconnoîtra qu'elles font d'un homme du monde, qui parle agréablement, &

qui écrit comme il parle. On dit que ce doit être là le caractere des Lettres. On n'a rien voulu changer en cellesci; & à la réserve de quelques endroits qu'on a retranchés, parce que c'étoit quelque chofe de trop particulier qu'on n'auroit pas affez entendu, on les donne telles qu'elles ont été envoyées dans les divers temps que l'Auteur les a écrites. Ceux à qui elles s'adréffent, rendront témoignage de cette vérité. Ce font gens très-connus pour la plupart, & qui ont beaucoup d'eftime pour le Cavalier qui a commercé avec

eux.

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