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inexplicable que ni la raison ni la folie n'ont pu inventer, encore moins faire adopter généralement ; croyance mystérieuse, qui a sa racine dans les dernières profondeurs du cœur humain, et qui, dans ses ses applications les plus cruelles, les plus révoltantes, les plus erronées, se rattache par d'invisibles liens à la plus grande des vérités. L'auteur poursuit cette vérité aux traces de lumières qu'elle laisse après elle à travers la nuit profonde de l'idolâtrie. Au milieu des erreurs de tant de fausses religions, il retrouve plus ou moins altérés tous les dogmes de la véritable, toutes ses promesses, tous ses mystères, toutes les destinées de l'homme, et vient finir en se prosternant devant le sacrifice incompréhensible qui a tout consommé, aux pieds de la grande Victime qui a opéré le salut du monde entier par le sang. Rien de plus frappant que ce morceau : c'est un tableau que, dans toutes ses parties, on peut dire achevé.

Hélas! il n'en est pas ainsi du livre même des SoiRÉES. Il était arrêté que M. le comte de Maistre ne recevrait point ici-bas la dernière couronne due à ses longs et pieux travaux ; il travaillait encore à ce bel ouvrage, lorsque Dieu a voulu l'appeler à lui pour lui donner, dans un monde meilleur, cette couronne «< que « la rouille et les vers n'altèreront point; cette « couronne incorruptible qui ne sera point enle» vée (1). » Ceux qu'il aimait ne se consoleront point

(1) Thesaurizate autem vobis thesauros in cœlo, ubi neque ærugo ne̱_ que tinea demolitur, et ubi fures non effodiunt nec furantur. Matth.VI, 20.

de l'avoir perdu; l'Europe entière a donné des regrets à cette perte vraiment européenne; et ces regrets se renouvelleront sans cesse pour les cœurs généreux, lorsque, jetant les yeux sur les lignes demi-achevées qui terminent le XI entretien et les dernières que sa main ait tracées, ils verront que, de cette main déjà défaillante, il s'occupait alors de sonder la plaie la plus profonde de notre malheureux àge (1), d'en montrer le danger toujours croissant, et d'y chercher sans doute des remèdes. C'est ainsi, qu'imitant jusqu'au dernier. moment son divin modèle, « il a passé en faisant le « bien. » Pertransiit benefaciendo (2).

(1) Le Protestantisme.

(2) Act. X, 38.

M. de Saint-Victor.

S. V.

T

DE SAINT-PÉTERSBOURG,

Ou Entretiens

SUR LE GOUVERNEMENT TEMPOREL

DE LA PROVIDENCE.

PREMIER ENTRETIEN.

Au mois de juillet 1809, à la fin d'une journée des plus chaudes, je remontais la Néva dans une chaloupe, avec le conseiller privé de T***, membre du sénat de SaintPétersbourg, et le chevalier de B***, jeune Français que les orages de la révolution de son pays et une foule d'évènements bizarres avaient poussé dans cette capitale. L'estime réciproque, la conformité de goûts, et queiques relations précieuses de services et d'hospitalité, avaient formé entre nous une liaison intime. L'un et l'autre m'accompagnaient ce jour-là jusqu' la maison de campagne où je

passais l'été. Quoique située dans l'enceinte de la ville, elle est cependant assez éloignée du centre pour qu'il soit permis de l'appeler campagne et même solitude; car il s'en faut de beaucoup que toute cette enceinte soit occupée les bâtiments; et quoique les vides qui se trouvent dans la partie habitée se remplissent à vue d'œil, il n'est pas possible de prévoir si les habitations doivent un jour s'avancer jusqu'aux limites tracées par le doigt hardi de Pierre Ier.

par

Il était à peu près neuf heures du soir; le soleil se couchait par un temps superbe; le faible vent qui nous poussait expira dans la voile que nous vimes badiner. Bientôt le pavillon qui annonce du haut du palais impérial la présence du souverain, tombant immobile le long du mât qui le supporte, proclama le silence des airs. Nos matelots prirent la rame; nous leur ordonnâmes de nous conduire lentement.

Rien n'est plus rare, mais rien n'est plus enchanteur qu'une belle nuit d'été à SaintPétersbourg, soit que la longueur de l'hiver et la rareté de ces nuits leur donnent, en les rendant plus désidérables, un charme particulier; soit que réellement, comme je le crois,

elles soient plus douces et plus calmes que dans les plus beaux climats.

Le soleil qui, dans les zones tempérées, se précipite à l'occident, et ne laisse après lui qu'un crépuscule fugitif, rase ici lentement une terre dont il semble se détacher à regret. Son disque environné de vapeurs rougeâtres roule comme un char enflammé sur les sombres forêts qui couronnent l'horizon, et ses rayons, réfléchis par le vitrage des palais, donnent au spectateur l'idée d'un vaste incendie.

Les grands fleuves ont ordinairement un lit profond et des bords escarpés qui leur donnent un aspect sauvage. La Néva coule à pleins bords au sein d'une cité magnifique : ses eaux limpides touchent le gazon des îles qu'elle embrasse, et dans toute l'étendue de la ville elle est contenue par deux quais de granit, allignés à perte de vue, espèce de magnificence répétée dans les trois grands canaux qui parcourent la capitale, et dont il n'est pas possible de trouver ailleurs le modèle ni l'imitation.

Mille chaloupes se croisent et sillonnent l'eau en tous sens : on voit de loin les vaisseaux étrangers qui plient leurs voiles et jettent l'ancre. Ils apportent sous le pôle les fruits des zones brûlantes et toutes les pro

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