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Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurois-je fait si je n'étois pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.

Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.

On me l'a dit : il faut que je me venge.
La-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

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POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

Un homme qui s'aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusoit toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:

Il s'y voit, il se fàche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau:
Mais quoi le canal est si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.

Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même :
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui;

Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes:
Et quant au canal, c'est celui

Que chacun sait, le livre des Maximes.

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Un envoyé du grand seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour chez l'empereur

Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants

Qui, de leur chef, sont si puissants,

Que chacun d'eux pourroit soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,
Lui dit Je sais par renommée
Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.

J'étois en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une hydre au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer:
Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture
Je rêvois à cette aventure,

Quand un autre dragon, qui n'avoit qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef

D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi

De votre empereur et du nôtre.

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Simonide avoit entrepris

L'éloge d'un athlète; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.

Les parents de l'athlète étoient gens inconnus;
Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite:
Matière infertile et petite.

Le poëte d'abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux; ne manque pas d'écrire,
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s'étoient signalés davantage :
Enfin, l'éloge de ces dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avoit promis d'en payer un talent:

Mais quand il le vit, le galant

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement,
Que Castor et Pollux acquittassent le reste:
Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant;

Venez souper chez moi nous ferons bonne vie;
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis.
Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement.
Il sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et, pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafond,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons.

Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La renommée eut soin de publier l'affaire :
Chacun cria Miracle. On doubla le salaire

Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'étoit fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.

Je reviens à mon texte et dis premièrement
Qu'on ne sauroit manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;
Enfin, qu'on doit tenir notre art en quelque prix.

Les grands se font honneur, dès lors qu'ils nous font grâce:
Jadis l'Olympe et le Parnasse
Etoient frères et bons amis.

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O mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il : ôtez-moi cet objet!
Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme :

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme

Je vive, c'est assez, je suis plus que content.

Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connoltre que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé, pour notre part, que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Esope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n'ai pas cru le devoir omettre.

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Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'efforts et de douleur
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos:
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

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Et partant

De quoi choisir; toutes vouloient lui plaire: En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant; Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part:
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mùre,
Mais qui réparoit par son art
Ce qu'avoit détruit la nature.
Ces deux veuves en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'alloient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tout moment, de sa part emportoit
Un peu du poil noir qui restoit,

Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageoit les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.

Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m'avez si bien tondu:

J'ai plus gagné que perdu;

Car d'hymen point de nouvelles.

Celle que je prendrois voudroit qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne,

Il n'est tête chauve qui tienne: Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

XVIII. - Le Renard et la Cicogne.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cicogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,
Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cicogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l'heure dite, il courut au logis
De la cicogne son hôtesse,
Loua très-fort sa politesse,
Trouva le diner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvoit bien passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris,
Serrant la queue et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

XIX.

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L'Enfant et le Maître d'école.
Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école;
L'enfant lui crie: Au secours! je péris!
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contretemps s'avise
De le tancer: Ah! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami! tire-moi de danger;
Tu feras après ta harangue.

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Des frèlons les réclamèrent;

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il étoit malaisé de décider la chose :

Les témoins déposoient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avoient longtemps paru. Mais quoi! dans les frèlons
Ces enseignes étoient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours?
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frêlons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frêlons fit voir
Que cet art passoit leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode!

Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code;
Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;
On nous mine par des longueurs :

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

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Le chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage :
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel mais quittez ce souci;
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

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On peut donner du lustre à leurs inventions :
On le peut; je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau :
J'ai passé plus avant; les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,

Vous parlez magnifiquement

De cinq ou six contes d'enfant.

Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, Avoient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,

Par mille assauts, par cent batailles,
N'avoient pu mettre à bout cette fière cité;
Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,
D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
Que ce colosse monstrueux

Avec leurs escadrons devoit porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :
Stratagème inouï, qui des fabricateurs

Paya la constance et la peine..........

C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs :
La période est longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre cheval de bois,

Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges
Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix.
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Eh bien! baissons d'un ton. La jalouse Amarylle
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules:
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux zéphyr, et le priant
De les porter à son amant....
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant;
Je ne la tiens pas légitime,

Ni d'une assez grande vertu :

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
Maudit censeur! te tairas-tu?

Ne saurois-je achever mon conte?
C'est un dessein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux;
Rien ne sauroit les satisfaire.

II.

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Conseil tenu par les Rats.

Un chat, nommé Rodilardus,
Faisoit de rats telle déconfiture,
Que l'on n'en voyoit presque plus;

Tant il en avoit mis dedans la sépulture.

Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de son sou;
Et Rodilard passoit, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il falloit, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,

De sa marche avertis ils s'enfuiroient sous terre:
Qu'il n'y savoit que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit: Je n'y vas point, je ne suis pas si sot;
L'autre : Je ne saurois. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus
Qui pour néant se sont ainsi tenus;

Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer?

La cour en conseillers foisonne :

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Un loup disoit que l'on l'avoit volé :

Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.

Devant le singe il fut plaidé,

Non point par avocats, mais par chaque partie.

Thémis n'avoit point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suoit en son lit de justice.
Après qu'on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice,

Leur dit: Je vous connois de longtemps, mes amis;

Et tous deux vous paîrez l'amende :

Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris; Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.

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IV.

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Les deux Taureaux et la Grenouille.

Deux taureaux combattoient à qui posséderoit
Une génisse avec l'empire.

Une grenouille en soupiroit.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant.
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un; que l'autre le chassant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?

Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux;
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.

Cette crainte étoit de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure

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Pour la dévorer accourut.

Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas souris? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes; ou bien je ne suis pas belette.
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,

Ce n'est pas ma profession.

Moi, souris! des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l'auteur de l'univers,

Je suis oiseau; voyez mes ailes :
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien, qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.

La dame du logis avec son long museau

S'en alloit la croquer en qualité d'oiseau;
Quand elle protesta qu'on lui faisoit outrage:

Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau? c'est le plumage.

Je suis souris; vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite repartie

Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants,
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.

Le sage dit, selon les gens,
Vive le roi! Vive la ligue!

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Une lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien qu'à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine;
Ses petits ne marchoient, disoit-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.

Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.

La lice cette fois montre les dents, et dit :
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.

Ses enfants étoient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette: Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,

Il faut que l'on en vienne aux coups;

Il faut plaider; il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

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Je laisse à penser si ce gîte Étoit sûr; mais où mieux? Jean lapin s'y blottit. L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,

L'escarbot intercède, et dit :

Princesse des oiseaux, il vous est fort facile D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux : Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie; Et puisque Jean lapin vous demande la vie, Donnez-la-lui, de grâce, ou l'ôtez à tous deux : C'est mon voisin, c'est mon compère. L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot, Choque de l'aile l'escarbot,

On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avoit tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'aigle fait l'amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et, comme la marmotte,
Se cache, et ne voit point le jour.

IX. Le Lion et le Moucheron.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion

Parloit un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre :
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

Un bœuf est plus puissant que toi;

Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevoit ces mots,

Que lui-même il sonna la charge,

Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large,

Puis prend son temps, fond sur le cou

Du lion qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ:
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle; Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,

Tantôt entre au fond du naseau.

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L'Enfant et le Maître d'Ecole.

L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean lapin. L'escarbot indigné

Vole au nid de l'oiseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance:
Pas un seul ne fut épargné.

L'aigle étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris; et, pour comble de rage,
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd.

Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.

L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux oeufs le saut :
La mort de Jean lapin derechef est vengée.

Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymède

Du monarque des dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs; et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu; que pour ses intérêts
Jupiter se verra contraint de les défendre :

Hardi qui les iroit là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte:
Le dieu la secouant jeta les oeufs à bas.

Quand l'aigle sut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter

D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert,

De quitter toute dépendance;

Avec mainte autre extravagance :
Le pauvre Jupiter se tut.

Devant son tribunal l'escarbot comparut,
Fit sa plainte, et conta l'affaire,

Le Coq et la Perle.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée :

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux; dont l'une est qu'entre nos ennemis

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