Humains, il vous faudroit encore à soixante ans Renvoyer chez les barbacoles. IX. - Le Loup et le Renard. D'où vient que personne en la vie. Ce qui m'étonne est qu'à huit ans Les traits dans sa fable semés Ne sont en l'ouvrage du poëte De la chanter sur la musette, Je ne suis pas un grand prophète, Laissant à part tous ces mystères, Le renard dit au loup: Notre cher, pour tout mets J'ai souvent un vieux coq, ou de maigres poulets : C'est une viande qui me lasse. Tu fais meilleure chère avec moins de hasard : Qui fournisse son croc de quelque mouton gras. Je le veux, dit le loup: il m'est mort un mien frère, Il vint; et le loup dit : Voici comme il faut faire, Si tu veux écarter les matins du troupeau. Le renard, ayant mis la peau, Répétoit les leçons que lui donnoit son maître. D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, puis bien, Puis enfin il n'y manqua rien. A peine il fut instruit autant qu'il pouvoit l'être, Qu'un troupeau s'approcha. Le nouveau loup y court, Et répand la terreur dans les lieux d'alentour. Tel, vêtu des armes d'Achille, Patrocle mit l'alarme au camp et dans la ville : Oubliant les brebis, les leçons, le régent, L'on reprend sa première trace De votre esprit, que nul autre n'égale, Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire. Mère écrevisse un jour à sa fille disoit : Elle avoit raison: la vertu De tout exemple domestique Est universelle, et s'applique En bien, en mal, en tout; fait des sages, des sots; Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos A son but, j'y reviens; la méthode en est bonne, Surtout au métier de Bellone : Traversoient un bout de prairie. Le hasard les assemble en un coin détourné. La rassure, et lui dit: Allons de compagnie : Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie, Lui qui gouverne l'univers, J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers. Entretenez-moi donc, et sans cérémonie. Caquet-bon-bec alors de jaser au plus dru, Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace, Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe, Sautant, allant de place en place, Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu, L'aigle lui dit tout en colère : Caquet-bon-bec, m'amie : adieu; je n'ai que faire D'une babillarde à ma cour: C'est un fort méchant caractère. Margot ne demandoit pas mieux. Ce n'est pas ce qu'on croit, que d'entrer chez les dieux : Au cœur tout différent, s'y rendent odieux : XII. - Le Roi, le Milan, et le Chasseur. AS. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI, Comme les dieux sont bons, ils veulent que les rois Le soient aussi : c'est l'indulgence Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux Fut par là moins héros que vous. Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes Puissent ses plaisirs les plus doux Par ce temps à peine bornées! Lui de crier; chacun de rire, Et la princesse et vous n'en méritez pas moins : J'en prends ses charmes pour témoins; Par qui le ciel, pour vous prodigue en ses présents, De qualités qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles Voulut orner vos jeunes ans. Bourbon de son esprit ses grâces assaisonne : Le ciel joignit en sa personne Ce qui sait se faire estimer A ce qui sait se faire aimer : Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie : Je me tais donc, et vais rimer Ce que fit un oiseau de proie. Un milan, de son nid antique possesseur, Étant pris vif par un chasseur, D'en faire au prince un don cet homme se propose. La rareté du fait donnoit prix à la chose. L'oiseau, par le chasseur humblement présenté, Si ce conte n'est apocryphe, Va tout droit imprimer sa griffe Sur le nez de sa majesté. Quoi! sur le nez du roi? - Du roi même en personne. Il n'avoit donc alors ni sceptre ni couronne? Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un : Le nez royal fut pris comme un nez du commun. A la majesté souveraine. L'oiseau garda son poste: on ne put seulement Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente, Lui présente le leurre, et le poing, mais en vain. On crut que jusqu'au lendemain Le maudit animal à la serre insolente Nicheroit là malgré le bruit, Et sur le nez sacré voudroit passer la nuit. Il quitte enfin le roi, qui dit: Laissez aller Ce milan, et celui qui m'a cru régaler. Ils se sont acquittés tous deux de leur office, L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois : Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois, Je les affranchis du supplice. Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis Bien peu, même des rois, prendroient un tel modèle. Et le veneur l'échappa belle; Coupables seulement, tant lui que l'animal, D'ignorer le danger d'approcher trop du maître : Jis n'avoient appris à connoître Que les hôtes des bois; étoit-ce un si grand mal? Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure. Là, nulle humaine créature Ne touche aux animaux pour leur sang épancher : Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie N'étoit point au siége de Troie? Peut-être y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros Des plus huppés et des plus hauts : Nous croyons, après Pythagore, Qu'avec les animaux de forme nous changeons; Tantôt milans, tantôt pigeons, Comme l'on conte en deux façons En voulut au roi faire un don, Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans; Ce chasseur perce donc un gros de courtisans, Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie. Par ce parangon des présents Quand l'animal porte-sonnette Prend le nez du chasseur, happe le pauvre sire. Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi, Je n'en eusse quitté ma part pour un empire. Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir souci, Il en fit des éclats, à ce que dit l'histoire, Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire. Que le peuple immortel se montrat sage ou non, J'ai changé mon sujet avec juste raison; Car, puisqu'il s'agit de morale, Que nous eût du chasseur l'aventure fatale Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps XIII. - Le Renard, les Mouches, et le Hérisson. Aux traces de son sang un vieux hôte des bois, Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange, Autrefois attira ce parasite ailé Que nous avons mouche appelé. Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange Que le sort à tel point le voulût affliger, Et le fit aux mouches manger. Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets? Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile? Que ne vis-tu sur le commun! Dans mes vers nouveau personnage, Voulut le délivrer de l'importunité Je les vais de mes dards enfiler par centaines, Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas : Aristote appliquoit cet apologue aux hommes. Les exemples en sont communs, Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns. XIV. - L'Amour et la Folie. Tout est mystère dans l'Amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance: Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour Que d'épuiser cette science. Je ne prétends donc point tout expliquer ici: Mon but est seulement de dire, à ma manière, Comment l'aveugle que voici (C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière; Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien. J'en fais juge un amant, et ne décide rien. La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble : Là-dessus le conseil des dieux: Qu'il en perd la clarté des cieux. Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris: Les dieux en furent étourdis, Et Jupiter, et Némésis, Et les juges d'enfer, enfin toute la bande. Elle représenta l'énormité du cas; Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas: Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande: Le dommage devoit être aussi réparé. Quand on eut bien considéré L'intérêt du public, celui de la partie, Le résultat enfin de la suprême cour Fut de condamner la Folie XV. - Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat. A MADAME DE LA SABLIÈRE. Je vous gardois un temple dans mes vers: Il n'eût fini qu'avecque l'univers. Déjà ma main en fondoit la durée Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé, Et sur le nom de la divinité Que dans ce temple on auroit adorée. Non celle-là qu'a Junon à ses gages; La gazelle, le rat, le corbeau, la tortue, Le choix d'une demeure aux humains inconnue Assuroit leur félicité. Mais quoi! l'homme découvre enfin toutes retraites. Soyez au milieu des déserts, Au fond des eaux, au haut des airs, Vous n'éviterez point ses embûches secrètes. La gazelle s'alloit ébattre innocemment, Quand un chien, maudit instrument Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas. Elle fuit. Et le rat, à l'heure du repas, Dit aux amis restants: D'où vient que nous ne sommes Aujourd'hui que trois conviés? La gazelle déjà nous a-t-elle oubliés? A ces paroles, la tortue S'écrie, et dit: Ah! si j'étois Comme un corbeau d'ailes pourvue, Apprendre au moins quelle contrée, Notre compagne au pied léger: Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger. Le corbeau part à tire-d'aile: Il aperçoit de loin l'imprudente gazelle Il retourne avertir les autres à l'instant. Car, de lui demander quand, pourquoi, ni comment Ce malheur est tombé sur elle, Et perdre en vains discours cet utile moment, Comme eût fait un maître d'école, Il avoit trop de jugement. Le corbeau donc vole et revole. Sur son rapport les trois amis Aux lieux où la gazelle est prise. Après la mort de la gazelle. Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir La voilà comme eux en campagne, Et le chasseur, à demi fou Aperçoit la tortue, et retient son courroux. Celle-ci, quittant sa retraite, Contrefait la boiteuse, et vient se présenter. Tout ce qui lui pesoit: si bien que Rongemaille Qu'il délivre encor l'autre sœur Sur qui s'étoit fondé le souper du chasseur, Que l'Iliade ou l'Odyssée. Quoiqu'à vrai dire ici chacun soit nécessaire. Que monsieur du corbeau va faire Ainsi chacun en son endroit A qui donner le prix? Au cœur, si l'on m'en croit. Mérite moins d'honneur; cependant chaque jour Je le célèbre et je le chante. Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente! Vont s'engager pour elle à des tons tout divers. Mon maître étoit l'Amour; j'en vais servir un autre, Et porter par tout l'univers Sa gloire aussi bien que la vôtre. XVI. - La Forêt et le Bucheron. Un bûcheron venoit de rompre ou d'égarer Le bois dont il avoit emmanché sa cognée. Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée. L'homme enfin la prie humblement Emporter une unique branche Il iroit employer ailleurs son gagne-pain; Elle en eut du regret. Il emmanche son fer: Le misérable ne s'en sert Qu'à dépouiller sa bienfaitrice De ses principaux ornements. Son propre don fait son supplice. Voilà le train du monde et de ses sectateurs : On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs. Soient exposés à ces outrages; Qui ne se plaindroit là-dessus? Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode,. L'ingratitude et les abus N'en seront pas moins à la mode. XVII. - Le Renard, le Loup, et le Cheval. encor quoique des plus madrés, Un renard, jeune Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie. Il dit à certain loup, franc novice: Accourez, Un animal paît dans nos prés, Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie. Fais-moi son portrait, je te prie. Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant, Que vous aurez en le voyant; Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie Que la fortune nous envoie. Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis, Leur dit: Lisez mon nom, vous le pouvez, messicurs, Le renard s'excusa sur son peu de savoir: Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire; Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir : Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire. Le loup, par ce discours flatté, Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre, Mal en point, sanglant, et gâté. Frère, dit le renard, ceci nous justifie Ce que m'ont dit des gens d'esprit. XVIII. - Le Renard et les Poulets d'Inde. Un arbre à des dindons servoit de citadelle. Et vu chacun en sentinelle, S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi! Lui, qui n'étoit novice au métier d'assiégeant, Arlequin n'eût exécuté Tant de différents personnages. Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller. Sur même objet toujours tendue. Le trop d'attention qu'on a pour le danger XIX. - Le Singe. Il est un singe dans Paris A qui l'on avoit donné femme: Singe en effet d'aucuns maris, Il la battoit. La pauvre dame En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus. Leur fils se plaint d'étrange sorte, Le père en rit, sa femme est morte. Un philosophe austère, et né dans la Seythic, Pourquoi cette ruine: étoit-il d'homme sage Laissez agir la faux du temps: Ils iront assez tôt border le noir rivage. J'ôte le superflu, dit l'autre; et l'abattant, Le reste en profite d'autant. Le Scythe, retourné dans sa triste demeure, Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure; Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis Un universel abattis. XXI. - L'Eléphant et le Singe de Jupiter. Autrefois l'éléphant et le rhinocéros, En dispute du pas et des droits de l'empire, Le jour en étoit pris, quand quelqu'un vint leur dire Que le singe de Jupiter, Portant un caducée, avoit paru dans l'air. Ce singe avoit nom Gille, à ce que dit l'histoire. Aussitôt l'éléphant de croire Qu'en qualité d'ambassadeur Il venoit trouver sa grandeur. Tout fier de ce sujet de gloire, Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent A lui présenter sa créance. Maître Gille enfin, en passant, Va saluer son excellence. L'autre étoit préparé sur la légation : Qu'il croyoit que les dieux eussent à sa querelle Toute sa cour verra beau jeu. Quel combat? dit le singe avec un front sévère. Lui dit: Eh! parmi nous que venez-vous donc faire? Partager un brin d'herbe entre quelques fourmis: XXII. - Un Fou et un Sage. Certain fou poursuivoit à coups de pierre un sage. On vous l'échine, on vous l'assomme. Auprès des rois il est de pareils fous : XXIII. - Le Renard anglois. A MADAME HARVEY. Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens, Avec cent qualités trop longues à déduire, Une noblesse d'âme, un talent pour conduire Et les affaires et les gens, Une humeur franche et libre, et le don d'être amie Malgré Jupiter même et les temps orageux, Tout cela méritoit un éloge pompeux : Il en eût été moins selon votre génie; La pompe vous déplait, l'éloge vous ennuie. J'ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux Y coudre encore un mot ou deux Vous l'aimez. Les Anglois pensent profondément; Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour: Vos gens, à pénétrer, l'emportent sur les autres : Même les chiens de leur séjour Ont meilleur nez que n'ont les nôtres. Vos renards sont plus fins; je m'en vais le prouver Par un d'eux, qui, pour se sauver, Mit en usage un stratagème Non encor pratiqué, des mieux imaginés. Le scélérat, réduit en un péril extrême, Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez, Passa près d'un patibulaire : Blaireaux, renards, hibous, race encline à mal faire, Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains. Les clefs de meute, parvenues A l'endroit où pour mort le traître se pendit, Où sont tant d'honnêtes personnes.. jour qu'il tendit de semblables panneaux; Non point par peu d'esprit: est-il quelqu'un qui nie Que tout Anglois n'en ait bonne provision? Mais le peu d'amour pour la vie Leur nuit en mainte occasion. Je reviens à vous, non pour dire Peu de nos chants, peu de nos vers, Agréez seulement le don que je vous fais XXIV. - Le Soleil et les Grenouilles. Les filles du limon tiroient du roi des astres Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres, (Car que coûte-t-il d'appeler L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits, Enfants de la bonne fortune, Firent bientôt crier cette troupe importune : On ne pouvoit dormir en paix. Le soleil, à leur dire, alloit tout consumer; XXV. - L'Hyménée et l'Amour. A LL. AA. SS. MLLE DE BOURBON ET MGA LE PRINCE DE CONTI. Hyménée et l'Amour vont conclure un traité Bourbon, jeune divinité, Conti, jeune héros, joignent leurs destinées. Dont Conti doit être la proie; |