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Humains, il vous faudroit encore à soixante ans

Renvoyer chez les barbacoles.

IX.

Le Loup et le Renard.

D'où vient que personne en la vie.

N'est satisfait de son état?

Tel voudroit bien être soldat,
A qui le soldat porte envie.
Certain renard voulut, dit-on,
Se faire loup. Hé! qui peut dire
Que pour le métier de mouton
Jamais aucun loup ne soupire?

Ce qui m'étonne est qu'à huit ans
Un prince en fable ait mis la chose,
Pendant que sous mes cheveux blancs
Je fabrique à force de temps

Des vers moins sensés que sa prose.

Les traits dans sa fable semés
Ne sont en l'ouvrage du poëte
Ni tous ni si bien exprimés:
Sa louange en est plus complète.

De la chanter sur la musette,
C'est mon talent; mais je m'attends
Que mon héros, dans peu de temps,
Me fera prendre la trompette.
Je ne suis pas un grand prophète,
Cependant je lis dans les cieux
Que bientôt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homères :
Et ce temps-ci n'en produit guères.
Laissant à part tous ces mystères,
Essayons de conter la fable avec succès.

Le renard dit au loup: Notre cher, pour tout mets
J'ai souvent un vieux coq, ou de maigres poulets :

C'est une viande qui me lasse.

Tu fais meilleure chère avec moins de hasard :
J'approche des maisons; tu te tiens à l'écart.
Apprends-moi ton métier, camarade, de grâce;
Rends-moi le premier de ma race

Qui fournisse son croc de quelque mouton gras.
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
Je le veux, dit le loup: il m'est mort un mien frère,
Allons prendre sa peau, tu t'en revêtiras.

Il vint; et le loup dit : Voici comme il faut faire,
Si tu veux écarter les matins du troupeau.

Le renard, ayant mis la peau,

Répétoit les leçons que lui donnoit son maître.

D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il n'y manqua rien.

A peine il fut instruit autant qu'il pouvoit l'être,
Qu'un troupeau s'approcha. Le nouveau loup y court,
Et répand la terreur dans les lieux d'alentour.
Tel, vêtu des armes d'Achille,

Patrocle mit l'alarme au camp et dans la ville :
Mères, brus et vieillards, au temple couroient tous.
L'ost du peuple bêlant crut voir cinquante loups:
Chien, berger, et troupeau, tout fuit vers le village,
Et laisse seulement une brebis pour gage.
Le larron s'en saisit. A quelques pas de là
Il entendit chanter un coq du voisinage.
Le disciple aussitôt droit au coq s'en alla,
Jetant bas sa robe de classe,

Oubliant les brebis, les leçons, le régent,
Et courant d'un pas diligent.
Que sert-il qu'on se contrefasse?
Prétendre ainsi changer est une illusion :
L'on reprend sa première trace
A la première occasion.

De votre esprit, que nul autre n'égale,

Prince, ma muse tient tout entier ce projet :
Vous m'avez donné le sujet,

Le dialogue et la morale.

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Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand :
Je pourrois l'appliquer à certain conquérant
Qui tout seul déconcerte une ligue à cent têtes.
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
N'est d'abord qu'un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l'on a les yeux sur ce qu'il veut cacher,
Ce sont arrêts du Sort qu'on ne peut empêcher :
Le torrent à la fin devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
Louis et le Destin me semblent de concert
Entraîner l'univers. Venons à notre fable.

Mère écrevisse un jour à sa fille disoit :
Comme tu vas, bon dieu! ne peux-tu marcher droit?
Et comme vous allez vous-même! dit la fille :
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille?
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu?

Elle avoit raison: la vertu

De tout exemple domestique
Est universelle, et s'applique

En bien, en mal, en tout; fait des sages, des sots;
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j'y reviens; la méthode en est bonne,
Surtout au métier de Bellone :
Mais il faut le faire à propos.

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L'aigle, reine des airs, avec Margot la pie,
Différentes d'humeur, de langage et d'esprit,
Et d'habit,

Traversoient un bout de prairie.

Le hasard les assemble en un coin détourné.
L'agace eut peur mais l'aigle, ayant fort bien dîné,
La rassure, et lui dit : Allons de compagnie :

Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie,

Lui qui gouverne l'univers,

J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers. Entretenez-moi donc, et sans cérémonie.

Caquet-bon-bec alors de jaser au plus dru,

Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace,
Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su

Ce qu'en fait de babil y savoit notre agace.
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,

Sautant, allant de place en place,

Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu,
L'aigle lui dit tout en colère :
Ne quittez point votre séjour,
Caquet-bon-bec, m'amie adieu; je n'ai que faire
D'une babillarde à ma cour:

C'est un fort méchant caractère.
Margot ne demandoit pas mieux.

Ce n'est pas ce qu'on croit, que d'entrer chez les dieux :
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.
Rediseurs, espions, gens à l'air gracieux,
Au cœur tout différent, s'y rendent odieux :
Quoiqu'ainsi que la pie il faille dans ces lieux
Porter habit de deux paroisses.

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A S. A. S. MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI.

Comme les dieux sont bons, ils veulent que les rois
Le soient aussi : c'est l'indulgence
Qui fait le plus beau de leurs droits,
Non les douceurs de la vengeance.

Prince, c'est votre avis. On sait que le courroux
S'éteint en votre cœur sitôt qu'on l'y voit naître.
Achille, qui du sien ne put se rendre maître,
Fut par là moins héros que vous.

Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes
Qui, comme en l'àge d'or, font cent biens ici-bas.
Peu de grands sont nés tels en cet âge où nous sommes :
L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas.

Loin que vous suiviez ces exemples,
Mille actes généreux vous promettent des temples.
Apollon, citoyen de ces augustes lieux,
Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre.

Je sais qu'on vous attend dans le palais des dieux :
Un siècle de séjour doit ici vous suffire.
Hymen veut séjourner tout un siècle chez vous.
Puissent ses plaisirs les plus doux

Vous composer des destinées

Par ce temps à peine homées!

Et la princesse et vous n'en méritez pas moins:
J'en prends ses charmes pour témoins;
Pour témoins j'en prends les merveilles

Par qui le ciel, pour vous prodigue en ses présents,
De qualités qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles
Voulut orner vos jeunes ans.

Bourbon de son esprit ses grâces assaisonne :
Le ciel joignit en sa personne
Ce qui sait se faire estimer

A ce qui sait se faire aimer:

Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie :
Je me tais donc, et vais rimer

Ce que fit un oiseau de proie.

Un milan, de son nid antique possesseur,
Étant pris vif par un chasseur,

D'en faire au prince un don cet homme se propose.
La rareté du fait donnoit prix à la chose.
L'oiseau, par le chasseur humblement présenté,
Si ce conte n'est apocryphe,

Va tout droit imprimer sa griffe

Sur le nez de sa majesté.

Quoi! sur le nez du roi? Du roi même en personne.

Il n'avoit donc alors ni sceptre ni couronne?
Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un :

Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs et la peine
Seroit se consumer en efforts impuissants.
Le roi n'éclata point les cris sont indécents
A la majesté souveraine.

L'oiseau garda son poste: on ne put seulement
Hater son départ d'un moment.

Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente,
Lui présente le leurre, et le poing, mais en vain.
On crut que jusqu'au lendemain

Le maudit animal à la serre insolente

Nicheroit là malgré le bruit,

Et sur le nez sacré voudroit passer la nuit.
Tâcher de l'en tirer irritoit son caprice.
Il quitte enfin le roi, qui dit : Laissez aller
Ce milan, et celui qui m'a cru régaler.
Ils se sont acquittés tous deux de leur office,
L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois :
Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois,
Je les affranchis du supplice.

Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis
Elèvent de tels faits par eux si mal suivis :

Bien peu, même des rois, prendroient un tel modèle.
Et le veneur l'échappa belle;

Coupables seulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du maître :
Ils n'avoient appris à connoître
Que les hôtes des bois; étoit-ce un si grand mal?
Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure.
Là, nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur sang épancher :
Le roi même feroit scrupule d'y toucher.
Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie
N'étoit point au siége de Troie?
Peut-être y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros
Des plus huppés et des plus hauts :

Ce qu'il fut autrefois il pourra l'être encore.
Nous croyons, après Pythagore,

Qu'avec les animaux de forme nous changeons;
Tantôt milans, tantôt pigeons,
Tantôt humains, puis volatiles
Ayant dans les airs leurs familles.

Comme l'on conte en deux façons
L'accident du chasseur, voici l'autre manière.
Un certain fauconnier ayant pris, ce dit-on,
A la chasse un milan (ce qui n'arrive guère)
En voulut au roi faire un don,
Comme de chose singulière :

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans;
C'est le non plus ultrà de la fauconneric.
Ce chasseur perce donc un gros de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie.

Par ce parangon des présents

Il croyoit sa fortune faite :

Quand l'animal porte-sonnette
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,

Prend le nez du chasseur, happe le pauvre sire,

Lui de crier; chacun de rire,

Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi,
Je n'en eusse quitté ma part pour un empire.
Qu'un pape rie, en bonne foi

Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi
Bien malheureux s'il n'osoit rire.

C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir souci,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi :

Il en fit des éclats, à ce que dit l'histoire,
Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel se montrat sage ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison;

Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du chasseur l'aventure fatale
Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps
Plus de sots fauconniers que de rois indulgents.

XIII.

Le Renard, les Mouches, et le Hérisson.

Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et matois,

Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.

Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile

De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le ciel te confonde, animal importun!

Que ne vis-tu sur le commun!

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage, Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines.
Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas :
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux sont souls; une troupe nouvelle
Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas:
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux hommes.

Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

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Tout est mystère dans l'Amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance: Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici:
Mon but est seulement de dire, à ma manière,

Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien.
J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble:
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.
Une dispute vint: l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux:
L'autre n'eut pas la patience;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.

Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis,

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande:
Le dommage devoit être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l'Amour,

XV..

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue, et le Rat.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Je vous gardois un temple dans mes vers:
Il n'eût fini qu'avecque l'univers.
Déjà ma main en fondoit la durée
Sur ce bel art qu'ont les dieux inventé,
Et sur le nom de la divinité

Que dans ce temple on auroit adorée.
Sur le portail j'aurois ces mos écrits:
PALAIS SACRÉ DE LA DÉESSE IRIS:
Non celle-là qu'a Junon à ses gages;
Car Junon même et le maître des dieux
Serviroient l'autre, et seroient glorieux
Du seul honneur de porter ses messages.
L'apothéose à la voûte eût paru :

Là, tout l'Olympe en pompe eût été vu
Plaçant Iris sous un dais de lumière.
Les murs auroient amplement contenu
Toute sa vie; agréable matière,
Mais peu féconde en ces événements
Qui des Etats font les renversements.
Au fond du temple eût été son image,
Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas,
Ses agréments à qui tout rend hommage.
J'aurois fait voir à ses pieds des mortels
Et des héros, des demi-dieux encore,
Même des dieux : ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer ses autels.
J'eusse en ses yeux fait briller de son âme
Tous les trésors, quoiqu'imparfaitement :
Car ce cœur vif est tendre infiniment
Pour ses amis, et non point autrement;
Car cet esprit, qui, né du firmament,
A beauté d'homme avec grâce de femme,
Ne se peut pas, comme on veut, exprimer.
O vous, Iris, qui savez tout charmer,
Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l'on aime à l'égal de soi-même
(Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour,
Car c'est un mot banni de votre cour,
Laissons-le donc), agréez que ma muse
Achève un jour cette ébauche confuse.
J'en ai placé l'idée et le projet,

Pour plus de grâce, au-devant d'un sujet
Où l'amitié donne de telles marques,
Et d'un tel prix, que leur simple récit
Peut quelque temps amuser votre esprit;
Non que ceci se passe entre monarques:
Ce que chez vous nous voyons estimer
N'est pas un roi qui ne sait point aimer;
C'est un mortel qui sait mettre sa vie
Pour son ami. J'en vois peu de si bons.
Quatre animaux, vivant de compagnie,
Vont aux humains en donner des leçons.

La gazelle, le rat, le corbeau, la tortue,
Vivoient ensemble unis: douce société.
Le choix d'une demeure aux humains inconnue

Assuroit leur félicité.

Mais quoi! l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,

Au fond des eaux, au haut des airs,

Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.
La gazelle s'alloit ébattre innocemment,
Quand un chien, maudit instrument

Du plaisir barbare des hommes,

Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit. Et le rat, à l'heure du repas,

Dit aux amis restants: D'où vient que nous ne sommes
Aujourd'hui que trois conviés?

La gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ?

A ces paroles, la tortue

S'écrie, et dit: Ah! si j'étois

Comme un corbeau d'ailes pourvué,
Tout de ce pas je m'en irois

Apprendre au moins quelle contrée,

Quel accident tient arrêtée

Notre compagne au pied léger:

Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger.
Le corbeau part à tire-d'aile:

Il aperçoit de loin l'imprudente gazelle
Prise au piège et se tourmentant.

Il retourne avertir les autres à l'instant.

Car, de lui demander quand, pourquoi, ni comment
Ce malheur est tombé sur elle,

Et perdre en vains discours cet utile moment,
Comme eût fait un maître d'école,

Il avoit trop de jugement.

Le corbeau donc vole et revole.
Sur son rapport les trois amis
Tiennent conseil. Deux sont d'avis
De se transporter sans remise
Aux lieux où la gazelle est prise.
L'autre, dit le corbeau, gardera le logis:
Avec son marcher lent, quand arriveroit-elle?
Après la mort de la gazelle.

Ces mots à peine dits, ils s'en vont secourir
Leur chère et fidèle compagne,
Pauvre chevrette de montagne.

La tortue y voulut courir :

La voilà comme eux en campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,
Et la nécessité de porter sa maison.

Rongemaille (le rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs : on peut penser la joie.
Le chasseur vient, et dit : Qui m'a ravi ma proie?
Rongemaille, à ces mots, se retire en un tron,
Le corbeau sur un arbre, en un bois la gazelle :
Et le chasseur, à demi fou

De n'en avoir nulle nouvelle,
Aperçoit la tortue, et retient son courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie.
Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le corbeau n'en eût averti la chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite,

Contrefait la boiteuse, et vient se présenter.

L'homme de suivre, et de jeter

Tout ce qui lui pesoit si bien que Rongemaille
Autour des nœuds du sac tant opère et travaille,
Qu'il délivre encor l'autre sœur

Sur qui s'étoit fondé le souper du chasseur.
Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée.
Pour peu que je voulusse invoquer Apollon,
J'en ferois, pour vous plaire, un ouvrage aussi long
Que l'Iliade ou l'Odyssée.

Rongemaille feroit le principal héros,
Quoiqu'à vrai dire ici chacun soit nécessaire.
Porte-maison l'infante y tient de tels propos,

Que monsieur du corbeau va faire
Office d'espion, et puis de messager.

La gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager
Le chasseur à donner du temps à Rongemaille.
Ainsi chacun en son endroit
S'entremet, agit et travaille.

A qui donner le prix? Au cœur, si l'on m'en croit.
Que n'ose et que ne peut l'amitié violente!
Cet autre sentiment que l'on appelle amour
Mérite moins d'honneur; cependant chaque jour

Je le célèbre et je le chante.

Hélas! il n'en rend pas mon âme plus contente!
Vous protégez sa sœur, il suffit; et mes vers
Vont s'engager pour elle à des tons tout divers.
Mon maître étoit l'Amour; j'en vais servir un autre,
Et porter par tout l'univers

Sa gloire aussi bien que la vôtre.

XVI.

La Forêt et le Bücheron.
Un bûcheron venoit de rompre ou d'égarer
Le bois dont il avoit emmanché sa cognée.
Cette perte ne put sitôt se réparer

Que la forêt n'en fût quelque temps épargnée.
L'homme enfin la prie humblement
De lui laisser tout doucement
Emporter une unique branche

Afin de faire un autre manche :

Il iroit employer ailleurs son gagne-pain;

Il laisseroit debout maint chène et maint sapin
Dont chacun respectoit la vieillesse et les charmes.
L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.

Elle en eut du regret. Il emmanche son fer:
Le misérable ne s'en sert

Qu'à dépouiller sa bienfaitrice
De ses principaux ornements.
Elle gémit à tous moments:
Son propre don fait son supplice.

Voilà le train du monde et de ses sectateurs :
On s'y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d'en parler. Mais que de doux ombrages
Soient exposés à ces outrages;

Qui ne se plaindroit là-dessus?

Hélas! j'ai beau crier et me rendre incommode, L'ingratitude et les abus

N'en seront pas moins à la mode.

XVII. Le Renard, le Loup, et le Cheval.
Un renard, jeune encor quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant :
Fais-moi son portrait, je te prie.

Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j'avancerois la joie

Que vous aurez en le voyant;

Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis,
Assez peu curieux de semblables at is,

Fut presque sur le point d'enfiler la vanelle.
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendroient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle,

Leur dit: Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs,
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle.
Le renard s'excusa sur son peu de savoir:

Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire;
Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir :
Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.
Le loup, par ce discours flatté,
S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre

Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre,
Mal en point, sanglant, et gâté.

Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit. Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie.

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Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servoit de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,

S'écria: Quoi! ces gens se moqueront de moi!
Eux seuls seront exempts de la commune loi!

Non, par tous les dieux! non. Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, sembloit, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.

Lui, qui n'étoit novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.

Arlequin n'eût exécuté

Tant de différents personnages.

11 élevoit sa queue, il la faisoit briller, Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller. L'ennemi les lassoit en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue. Les pauvres gens étant à la longue éblouis, Toujours il en tomboit quelqu'un; autant de pris, Autant de mis à part: près de moitié succombe. Le compagnon les porte en son garde-manger. Le trop d'attention qu'on a pour le danger Fait le plus souvent qu'on y tombe.

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Un philosophe austère, et né dans la Seythic,
Se proposant de suivre une plus douce vie,
Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
Un sage, assez semblable au vieillard de Virgile,
Homme égalant les rois, homme approchant des dieux,
Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille.
Son bonheur consistoit aux beautés d'un jardin.
Le Scythe l'y trouva qui, la serpe à la main,
De ses arbres à fruit retranchoit l'inutile,
Ebranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela,
Corrigeant partout la nature,
Excessive à payer ses soins avec usure.

Le Scythe alors lui demanda

Pourquoi cette ruine : étoit-il d'homme sage
De mutiler ainsi ces pauvres habitants?
Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage;

Laissez agir la faux du temps:

Ils iront assez tôt border le noir rivage.
J'ôte le superflu, dit l'autre; et l'abattant,
Le reste en profite d'autant.

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,

Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure; Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis

Un universel abattis.

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XXI. L'Éléphant et le Singe de Jupiter.

Autrefois l'éléphant et le rhinocéros,

En dispute du pas et des droits de l'empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.

Le jour en étoit pris, quand quelqu'un vint leur dirc
Que le singe de Jupiter,

Portant un caducée, avoit paru dans l'air.

Ce singe avoit nom Gille, à ce que dit l'histoire.
Aussitôt l'éléphant de croire
Qu'en qualité d'ambassadeur

Il venoit trouver sa grandeur.
Tout fier de ce sujet de gloire,

Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent

A lui présenter sa créance.

Maître Gille enfin, en passant,
Va saluer son excellence.

L'autre étoit préparé sur la légation :

Mais pas un mot. L'attention

Qu'il croyoit que les dieux eussent à sa querelle
N'agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu'importe à ceux du firmament

Qu'on soit mouche ou bien éléphant ?

Il se vit donc réduit à commencer lui-même :
Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un assez beau combat de son trône suprême;
Toute sa cour verra beau jeu.

Quel combat? dit le singe avec un front sévère.
L'éléphant repartit : Quoi! vous ne savez pas
Que le rhinocéros me dispute le pas;
Qu'Eléphantide a guerre avecque Rhinocère!
Vous connoissez ces lieux; ils ont quelque renom.
Vraiment je suis ravi d'en apprendre le nom,
Repartit maitre Gille: on ne s'entretient guère
De semblables sujets dans nos vastes lambris.
L'éléphant, honteux et surpris,

Lui dit : Eh! parmi nous que venez-vous donc faire?

Partager un brin d'herbe entre quelques fourmis : Nous avons soin de tout. Et quant à votre affaire, On n'en dit rien encor dans le conseil des dieux : Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux.

XXII. Un Fou et un Sage.

Certain fou poursuivoit à coups de pierre un sage.
Le sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci.
Tu fatigues assez pour gagner davantage;
Toute peine, dit-on, est digne de loyer:
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre fou s'en va faire

Même insulte à l'autre bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois.

Maint estafier accourt: on vous happe notre homme,
On vous l'échine, on vous l'assomme.

Auprès des rois il est de pareils fous :
A vos dépens ils font rire le maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter? vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager

A s'adresser à qui peut se venger.

XXIII. Le Renard anglois.

A MADAME HARVEY.

Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens,
Avec cent qualités trop longues à déduire,
Une noblesse d'âme, un talent pour conduire
Et les affaires et les gens,

Une humeur franche et libre, et le don d'être amie
Malgré Jupiter même et les temps orageux,

Tout cela méritoit un éloge pompeux :

Il en eût été moins selon votre génie;

La pompe vous déplait, l'éloge vous ennuie.
J'ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux
Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de votre patrie:

Vous l'aimez. Les Anglois pensent profondément;
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament :
Creusant dans les sujets, et forts d'expériences,
Ils étendent partout l'empire des sciences.
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour :
Vos gens, à pénétrer, l'emportent sur les autres :
Même les chiens de leur séjour

Ont meilleur nez que n'ont les nôtres.

Vos renards sont plus fins; je m'en vais le prouver
Par un d'eux, qui, pour se sauver,
Mit en usage un stratagème

Non encor pratiqué, des mieux imaginés.

Le scélérat, réduit en un péril extrême,

Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez,
Passa près d'un patibulaire :

Là, des animaux ravissants,

Blaireaux, renards, hibous, race encline à mal faire,
Pour l'exemple pendus, instruisoient les passants.
Leur confrère, aux abois, entre ces morts s'arrange.
Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains,
Met leur chef en défaut, ou leur donne le change,
Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains.
Les clefs de meute, parvenues

A l'endroit où pour mort le traître se pendit,
Remplirent l'air de cris: leur maître les rompit,
Bien que de leurs abois ils perçassent les nues.
Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.
Quelque terrier, dit-il, a sauvé mon galant:
Mes chiens n'appellent point au delà des colonnes
Où sont tant d'honnêtes personnes.

Il y viendra, le drôle ! Il y vint, à son dam.
Voilà maint basset clabaudant;
Voilà notre renard au charnier se guindant.
Maître pendu croyoit qu'il en iroit de même
Que le jour qu'il tendit de semblables panneaux;
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux :
Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème.
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N'auroit pas cependant un tel tour inventé;
Non point par peu d'esprit : est-il quelqu'un qui nie
Que tout Anglois n'en ait bonne provision?
Mais le peu d'amour pour la vie
Leur nuit en mainte occasion.

Je reviens à vous, non pour dire
D'autres traits sur votre sujet;
Tout long éloge est un projet
Peu favorable pour ma lyre :

Peu de nos chants, peu de nos vers, Par un encens flatteur amusent l'univers, Et se font écouter des nations étranges. Votre prince vous dit un jour

Qu'il aimoit mieux un trait d'amour Que quatre pages de louanges. Agréez seulement le don que je vous fais Des derniers efforts de ma muse : C'est peu de chose; elle est confuse De ces ouvrages imparfaits. Cependant ne pourriez-vous faire Que le même hommage pût plaire A celle qui remplit vos climats d'habitants Tirés de l'île de Cythère?

Vous voyez par là que j'entends Mazarin, des Amours déesse tutélaire.

XXIV. Le Soleil et les Grenouilles.

Les filles du limon tiroient du roi des astres
Assistance et protection :

Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres,
Ne pouvoient approcher de cette nation;
Elle faisoit valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, grenouilles veux-je dire,
(Car que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?)
Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.

L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,

Firent bientôt crier cette troupe importune :
On ne pouvoit dormir en paix.
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auroient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits

Contre l'œil de la Nature.

Le soleil, à leur dire, alloit tout consumer;
Il falloit promptement s'armer
Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu'il faisoit un pas,
Ambassades croassantes
Alloient dans tous les États :
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde
Rouloit sur les intérêts
De quatre méchants marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours et pourtant
Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant;
Car si le soleil se pique,
Il le leur fera sentir;

La république aquatique
Pourroit bien s'en repentir.

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A LL. AA. SS. MLLE DE BOURBON ET ME LE PRINCE DE CONTI.

Hyménée et l'Amour vont conclure un traité
Qui les doit rendre amis pendant longues années :
Bourbon, jeune divinité,

Conti, jeune héros, joignent leurs destinées.
Condé l'avoit, dit-on, en mourant souhaité :
Ce guerrier, qui transmet à son fils en partage
Son esprit, son grand cœur, avec un héritage
Dont la grandeur non plus n'est pas à mépriser,
Contemple avec plaisir de la voûte éthérée
Que ce nœud s'accomplit, que le prince l'agrée,
Que Louis aux Condé ne peut rien refuser.
Hyménée est vêtu de ses plus beaux atours:
Tout rit autour de lui, tout éclate de joie.
Il descend de l'Olympe, environné d'Amours
Dont Conti doit être la proie;
Vénus à Bourbon les envoie.
Ils avoient l'air moins attrayant
Le jour qu'elle sortit de l'onde,
Et rendit surpris notre monde
De voir un peuple si brillant.
Le chœur des muses se prépare ;

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