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Laridon et César, frères dont l'origine

Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantoient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom :
Mais, la diverse nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.

Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fit en ses enfants dégénérer son sang.
Laridon négligé témoignoit sa tendresse

A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de son engeance :

Tourne-broches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des Césars.

On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère.
Faute de cultiver la nature et ses dons,
Oh! combien de Césars deviendront Laridons!

XXV.

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Les deur Chiens et l'Ane mort.

Les vertus devroient être sœurs,
Ainsi que les vices sont frères.

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file, il ne s'en manque guères;
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.

L'un est vaillant, mais prompt : l'autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux, le chien se pique d'être

Soigneux, et fidèle à son maître;

Mais il est sot, il est gourmand :

Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottoit sur les ondes.

Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos chiens.

Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens,

Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes.

J'y crois voir quelque chose. Est-ce un boeuf, un cheval?
Hé! qu'importe quel animal?

Dit l'un de ces mâtins, voilà toujours curée.

Le point est de l'avoir car le trajet est grand;

Et de plus il nous faut nager contre le vent.

Buvons toute cette eau; notre gorge altérée

En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à sec; et ce sera
Provision pour la semaine.

Voilà mes chiens à boire: ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie; ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparoît à son âme.

pas,

Combien fait-il de vœux, combien perd-il de
S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire!
Si j'arrondissois mes Etats!

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats!
Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire!
Tout cela c'est la mer à boire :

Mais rien à l'homme ne suffit.

Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
Il faudroit quatre corps; encor, loin d'y suffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureroient:
Quatre Mathusalem bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu'un seul désire.

XXVI.

- Démocrite et les Abdéritains.

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire!
Qu'il me semble profane, injuste et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui!
Le maître d'Epicure en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou. Petits esprits! Mais quoi !
Aucun n'est prophète chez soi.

Ces gens étoient les fous, Démocrite le sage.
L'erreur alla si loin, qu'Abdère députa

Vers Hippocrate, et l'invita,
Par lettres et par ambassade,

A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disoient-ils en pleurant,
Perd l'esprit la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il étoit ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis

De Démocrites infinis.

Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes;
Et mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connoît l'univers et ne se connoît pas.
Un temps fut qu'il savoit accorder les débats :
Maintenant il parle à lui-même.

Venez, divin mortel, sa folie est extrême.
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens:
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,

Quelles rencontres dans la vie

Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disoit n'avoir raison ni sens
Cherchoit, dans l'homme et dans la bête,
Quel siége a la raison, soit le cœur, soit la tête.
Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau

L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer

Attaché selon sa coutume.

Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut pense::
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,

Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,

Ils tombèrent sur la morale.

Il n'est pas besoin que j'étale
Tout ce que
l'un et l'autre dit.

Le récit précédent suffit

Pour montrer que le peuple est juge récusable.

En quel sens est donc véritable

Ce que j'ai lu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu?

XXVII. Le Loup et le Chasseur. Fureur d'accumuler, monstre de qui les yeux Regardent comme un point tous les bienfaits des dieux, Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage! Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons? L'homme, sourd à ma voix, comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : C'est assez, jouissons? Hate-toi, mon ami tu n'as pas tant à vivre. Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre : Jouis. Je le ferai. Mais quand donc? Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin; Jouis dès aujourd'hui : redoute un sort semblable A celui du chasseur et du loup de ma fable.

:

Dès demain.

Le premier de son arc avoit mis bas un daim.
Un faon de biche passe, et le voilà soudain
Compagnon du défunt; tous deux gisent sur l'herbe.
La proie étoit honnête, un daim avec un faon;
Tout modeste chasseur en eût été content:
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,
Tente encor notre archer, friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx: La Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordoient; la déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l'heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s'abattit.
C'étoit assez de biens. Mais quoi! rien ne remplit
Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes.
Dans le temps que le porc revient à soi, l'archer
Voit le long d'un sillon une perdrix marcher;
Surcroît chétif aux autres têtes:

De son arc toutefois il bande les ressorts.

Le sanglier, rappelant les restes de sa vie,
Vient à lui, le découd, meurt vengé sur son corps:
Et la perdrix le remercie.

Cette part du récit s'adresse aux convoiteux.
L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.

Un loup vit en passant ce spectacle piteux :
O Fortune! dit-il, je te promets un temple.
Quatre corps étendus! que de biens! mais pourtant
Il faut les ménager; ces rencontres sont rares.
(Ainsi s'excusent les avares.)

J'en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant.
Un, deux, trois, quatre corps; ce sont quatre semaines,
Si je sais compter, toutes pleines.

Commençons dans deux jours; et mangeons cependant
La corde de cet are: il faut que l'on l'ait faite
De vrai boyau, l'odeur me le témoigne assez.

En disant ces mots il se jette

Sur l'arc, qui se détend, et fait de la sagette
Un nouveau mort: mon loup a les boyaux percés.
Je reviens à mon texte. Il faut que l'on jouisse ;
Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun:
La convoitise perdit l'un;
L'autre périt par l'avarice.

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Grâce aux Filles de mémoire,

J'ai chanté des animaux;
Peut-être d'autres héros

M'auroient acquis moins de gloire.
Le loup, en langue des dieux,

Parle au chien dans mes ouvrages:
Les bêtes, à qui mieux mieux,

Y font divers personnages,
Les uns fous, les autres sages;
De telle sorte pourtant
Que les fous vont l'emportant,
La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scène
Des trompeurs, des scélérats,
Des tyrans et des ingrats,
Mainte imprudente pécore,
Force sots, force flatteurs:
Je pourrois y joindre encore
Des légions de menteurs.

Tout homme ment, dit le sage.
S'il n'y mettoit seulement

Que les gens du bas étage,

On pourroit aucunement

Souffrir ce défaut aux hommes:

Mais que tous, tant que nous sommes,

Nous mentions, grand et petit,

Si quelque autre l'avoit dit,

Je soutiendrois le contraire.

Et même qui mentiroit

Comme Esope et comme Homère,
Un vrai menteur ne seroit.

Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé

Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité.
L'un et l'autre a fait un livre
Que je tiens digne de vivre
Sans fin, et plus s'il se peut.
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sut faire
Un certain dépositaire

Payé par son propre mot,
Est d'un méchant et d'un sot.
Voici le fait.

Un trafiquant de Perse,

Chez son voisin, s'en allant en commerce,
Mit en dépôt un cent de fer un jour.

Mon fer? dit-il quand il fut de retour.

Votre fer! il n'est plus : j'ai regret de vous dire
Qu'un rat l'a mangé tout entier.

J'en ai grondé mes gens mais qu'y faire? un grenier

A toujours quelque trou. Le trafiquant admire
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours il détourne l'enfant
Du perfide voisin; puis à souper convie
Le père, qui s'excuse, et lui dit en pleurant :
Dispensez-moi, je vous supplie;

Tous plaisirs pour moi sont perdus.
J'aimois un fils plus que ma vie :

Je n'ai que lui; que dis-je! hélas! je ne l'ai plus!
On me l'a dérobé. Plaignez mon infortune.
Le marchand repartit: Hier au soir sur la brune
Un chat-huant s'en vint votre fils enlever :
Vers un vieux bâtiment je le lui vis porter.
Le père dit: Comment voulez-vous que je croie
Qu'un hibou pût jamais emporter cette proie?
Mon fils en un besoin cût pris le chat-huant.
Je ne vous dirai point, reprit l'autre, comment :
Mais enfin je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je;
Et ne vois rien qui vous oblige

D'en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d'un pays

Où le quintal de fer par un seul rat se mange
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent?
L'autre vit où tendoit cette feinte aventure :
Il rendit le fer au marchand,
Qui lui rendit sa géniture.

Même dispute avint entre deux voyageurs.

L'un d'eux étoit de ces conteurs

Qui n'ont jamais rien vu qu'avec un microscope;
Tout est géant chez eux : écoutez-les, l'Europe
Comme l'Afrique aura des monstres à foison.
Celui-ci se croyoit l'hyperbole permise :

J'ai vu, dit-il, un chou plus grand qu'une maison.
Et moi, dit l'autre, un pot aussi grand qu'une église.
Le premier se moquant, l'autre reprit : Tout doux!
On le fit pour cuire vos choux.

L'homme au pot fut plaisant : l'homme au fer fut habile.
Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur
De vouloir, par raison, combattre son erreur :
Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.

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Deux pigeons s'aimoient d'amour tendre :

L'un d'eux, s'ennuyant au logis,

Fut assez fou pour entreprendre

Un voyage en lointain pays.

L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire?

Voulez-vous quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux :

Non pas pour vous, cruel! Au moins, que les travaux, Les dangers, les soins du voyage,

Changent un peu votre courage.

Encor, si la saison s'avançoit davantage!

Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau
Tout à l'heure annonçoit malheur à quelque oiseau.

Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste?
Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur:

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit: Ne pleurez point:
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite :
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;

Je le désennuîrai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai: J'étois là; telle chose m'avint:
Vous y croirez être vous-même.

A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne : et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès; cela lui donne envie,

Il y vole, il est pris : ce blé couvroit d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs étoit usé; si bien que, de son aile,

De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y périt; et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avoit attrapé,
Sembloit un forçat échappé.

Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiroient par cette aventure.

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à-moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,

Traînant l'aile, et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints: et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines.
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé je n'aurois pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère

Pour qui, sous le fils de Ĉythère,

Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! quand reviendront de semblables moments!
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète!
Ah! si mon cœur osoit encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?

III. Le Singe et le Léopard.

Le singe avec le léopard

Gagnoient de l'argent à la foire.

Ils affichoient chacun à part :

L'un d'eux disoit : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu le roi m'a voulu voir;
Et si je meurs, il veut avoir

Un manchon de ma peau, tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée.

La bigarrure plaît: partant chacun le vit.

Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit.

Le singe de sa part disoit : Venez, de grâce,

Venez, messieurs je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l'a sur soi seulement :

Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,

Singe du pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler :
Car il parle, on l'entend; il sait danser, baller,
Faire des tours de toute sorte,

Passer en des cerceaux et le tout pour six blancs;
Non, messieurs, pour un sou: si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le singe avoit raison. Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plait; c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables;

L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.
Oh! que de grands seigneurs, au léopard semblables,
N'ont que l'habit pour tous talents!

IV. Le Gland et la Citrouille.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
A quoi songcoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là !

Hé parbleu! je l'aurois pendue
A l'un des chênes que voilà;

C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris : plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo.

Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage:
Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que seroit-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose
Garo retourne à la maison.

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Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége
Qu'ont les pédants de gâter la raison,
Chez un voisin déroboit, ce dit-on,

Et fleurs et fruits. Ce voisin en automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avoit la fleur, les autres le rebut :
Chaque saison apportoit son tribut:
Car au printemps il jouissoit encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance :
Même il ébranchoit l'arbre; et fit tant à la fin

Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortége d'enfants:
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvint à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant, que la maudite engeance Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.

Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fin;
Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire, Ne me plairoit aucunement.

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Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.
A la foiblesse du sculpteur
Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère :

Il étoit enfant en ceci;

Les enfants n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.
Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère :
Pygmalion devint amant

De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour les mensonges.

Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux.

En ce cas, je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous.
Soleil, s'écria lors le bramin à genoux,

C'est toi qui seras notre gendre.
Non, dit-il; ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits :
Je vous conseille de le prendre.

Eh bien! dit le bramin au nuage volant,

Es-tu né pour ma fille? - Hélas! non; car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée :

Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée.
Le bramin fâché s'écria:

O vent, donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle!

Il accouroit: un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit : J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat la demoiselle
Ouvrit l'oreille : il fut l'époux.

Un rat! Un rat : c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle.
Mais ceci soit dit entre nous.

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L'Huître et les Plaideurs.

VII.

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La Souris métamorphosée en Fille.

Une souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée;

Mais un bramin le fit: je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée.

La souris étoit fort froissée.

De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête

Qu'il plaît au Sort : c'est là l'un des points de leur loi. Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement le bramin crut bien faire

De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille,
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté
Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté.

Le Singe et le Chat (Bertrand et Raton).

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable
Prouve assez bien ce point. Mais, à la voir de près,
Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits:
Car quel époux n'est point au Soleil préférable
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant
Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant.
Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,
Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose:
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun:

Toutes sont donc de même trempe;
Mais, agissant diversement

Selon l'organe seulement,
L'une s'élève, et l'autre rampe.

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les âmes des souris et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles;
Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire à la loi par le ciel établie :
Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.

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Un fol alloit criant par tous les carrefours
Qu'il vendoit la sagesse et les mortels crédules
De courir à l'achat; chacun fut diligent.

On essuyoit force grimaces;

Puis on avoit pour son argent,

Avec un bon souflet, un fil long de deux brasses.
La plupart s'en fâchoient; mais que leur servoit-il ?
C'étoient les plus moqués : le mieux étoit de rire,
Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.
De chercher du sens à la chose,
On se fut fait siffler ainsi qu'un ignorant.

La raison est-elle garant

De ce que fait un fou? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé,
Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui, sans hésiter davantage,

Lui dit: Ce sont ici hiéroglyphes tout purs:
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront pour l'ordinaire
La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs

De quelque semblable caresse.
Vous n'êtes point trompé, ce fou vend la sagesse.

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Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venoit d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent;

A l'égard de la dent il fallut contester.

L'un se baissoit déjà pour amasser la proie;
L'autre le pousse, et dit: Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.

Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur; l'autre le verra faire.
Si par là l'on juge l'affaire,

Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci.

Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.

Ce repas fait, il dit, d'un ton de président :

4.

Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

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Paris. Typographic Plon frères, rue de Vaugirard, 36.

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