XXIV. - L'Éducation. Laridon et César, frères dont l'origine Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis, Mais, la diverse nourriture Fortifiant en l'un cette heureuse nature, Nomma celui-ci Laridon. Son frère, ayant couru mainte haute aventure, Laridon négligé témoignoit sa tendresse A l'objet le premier passant. Tourne-broches par lui rendus communs en France Y font un corps à part, gens fuyant les hasards, On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père : Oh! combien de Césars deviendront Laridons! XXV. - Les deux Chiens et l'Ane mort. Les vertus devroient être sœurs, Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs, A l'égard des vertus, rarement on les voit Toutes en un sujet éminemment placées Se tenir par la main sans être dispersées. L'un est vaillant, mais prompt: l'autre est prudent, mais froid. Parmi les animaux, le chien se pique d'être Soigneux, et fidèle à son maître; Mais il est sot, il est gourmand : Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement, Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos chiens. Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes. J'y crois voir quelque chose. Est-ce un bœuf, un cheval? Hé! qu'importe quel animal? Dit l'un de ces matins, voilà toujours curée. Le point est de l'avoir : car le trajet est grand; En viendra bien à bout: ce corps demeurera Bientôt à sec; et ce sera Voilà mes chiens à boire: ils perdirent l'haleine, Et puis la vie; ils firent tant L'homme est ainsi bâti : quand un sujet l'enflamme, Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas, Si j'arrondissois mes Etats! Si je pouvois remplir mes coffres de ducats! Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire! Tout cela c'est la mer à boire: Pour fournir aux projets que forme un seul esprit, XXVI. - Démocrite et les Abderitains. Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire! Le maître d'Epicure en fit l'apprentissage. Aucun n'est prophète chez soi. Ces gens étoient les fous, Démocrite le sage. A venir rétablir la raison du malade. Peut-être même ils sont remplis Non content de ce songe, il y joint les atomes, Quelles rencontres dans la vie Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps Les labyrinthes d'un cerveau L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume, Et ne vit presque pas son ami s'avancer Attaché selon sa coutume. Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser: Le sage est ménager du temps et des paroles. Ayant donc mis à part les entretiens frivoles, Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit, Ils tombèrent sur la morale. Il n'est pas besoin que j'étale Tout ce que l'un et l'autre dit. Le récit précédent suffit Pour montrer que le peuple est juge récusable. En quel sens est donc véritable Ce que j'ai lu dans certain lieu, Que sa voix est la voix de Dieu? XXVII. - Le Loup et le Chasseur. Fureur d'accumuler, monstre de qui les yeux Le premier de son arc avoit mis bas un daim. Cette part du récit s'adresse aux convoiteux. L'avare aura pour lui le reste de l'exemple. Un loup vit en passant ce spectacle piteux : (Ainsi s'excusent les avares.) J'en aurai, dit le loup, pour un mois, pour autant. Un, deux, trois, quatre corps; ce sont quatre semaines, Si je sais compter, toutes pleines. Commençons dans deux jours; et mangeons cependant La corde de cet arc: il faut que l'on l'ait faite De vrai boyau, l'odeur me le témoigne assez. En disant ces mots il se jette Sur l'arc, qui se détend, et fait de la sagette Un nouveau mort: mon loup a les boyaux percés. Je reviens à mon texte. Il faut que l'on jouisse; Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun : La convoitise perdit l'un; L'autre périt par l'avarice. LIVRE NEUVIÈME. FABLE I. - Le Dépositaire infidèle. Grâce aux Filles de mémoire, M'auroient acquis moins de gloire. Mais que tous, tant que nous sommes, Si quelque autre l'avoit dit, Et même qui mentiroit Comme Esope et comme Homère, Le doux charme de maint songe Sous les habits du mensonge L'un et l'autre a fait un livre eux ne ment pas qui vcut. Mais mentir comme sut faire Payé par son propre mot, Voici le fait. Un trafiquant de Perse, Chez son voisin, s'en allant en commerce, Mit en dépôt un cent de fer un jour. Mon fer? dit-il quand il fut de retour. Votre fer! il n'est plus : j'ai regret de vous dire Qu'un rat l'a mangé tout entier. J'en ai grondé mes gens: mais qu'y faire ? un grenier A toujours quelque trou. Le trafiquant admire Le père, qui s'excuse, et lui dit en pleurant: Dispensez-moi, je vous supplie; Je n'ai que lui; que dis-je! hélas! je ne l'ai plus! Et ne vois rien qui vous oblige Où le quintal de fer par un seul rat se mange Il rendit le fer au marchand, Qui lui rendit sa géniture. Même dispute avint entre deux voyageurs. Qui n'ont jamais rien vu qu'avec un microscope; J'ai vu, dit-il, un chou plus grand qu'une maison. On le fit pour cuire vos choux. L'homme au pot fut plaisant: l'homme au fer fut habile. Deux pigeons s'aimoient d'amour tendre : L'un d'eux, s'ennuyant au logis, L'autre lui dit: Qu'allez-vous faire? L'absence est le plus grand des maux: Non pas pour vous, cruel! Au moins, que les travaux, Les dangers, les soins du voyage, Encor, si la saison s'avançoit davantage! Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau Je ne songerai plus que rencontre funeste, Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut : Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, Bon soupé, bon gîte, et le reste? Ce discours ébranla le cœur De notre imprudent voyageur : Mais le désir de voir et l'humeur inquiète L'emportèrent enfin. Il dit: Ne pleurez point : Je reviendrai dans peu conter de point en point Mes aventures à mon frère; Je le désennuîrai. Quiconque ne voit guère Je dirai: J'étois là; telle chose m'avint: Les menteurs et traîtres appâts. Le lacs étoit usé; si bien que, de son aile, Sembloit un forçat échappé. Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues Crut pour ce coup que ses malheurs Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) La volatile malheureuse, Traînant l'aile, et tirant le pié, Voilà nos gens rejoints: et je laisse à juger Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau, Je servis, engagé par mes premiers serments. 111. - Le Singe et le Léopard. Le singe avec le léopard Gagnoient de l'argent à la foire. Ils affichoient chacun à part : L'un d'eux disoit: Messieurs, mon mérite et ma gloire Sont connus en bon lieu: le roi m'a voulu voir; Et si je meurs, il veut avoir Un manchon de ma peau, tant elle est bigarrée, Pleine de taches, marquetée, Et vergetée, et mouchetée. La bigarrure plaît: partant chacun le vit. Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit. Le singe de sa part disoit: Venez, de grâce, Mon voisin léopard l'a sur soi seulement : Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille, Cousin et gendre de Bertrand, Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler : Faire des tours de toute sorte, Passer en des cerceaux: et le tout pour six blancs; N'ont que l'habit pour tous talents! IV. - Le Gland et la Citrouille. Dieu fait bien ce qu' qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant, Dans les citrouilles je la treuve. Un villageois, considérant Tel fruit, tel arbre, pour bien faire. C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré Au conseil de celui que prêche ton curé; Tout en eût été mieux: car pourquoi, par exemple, Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit? Dieu s'est mépris: plus je contemple Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo Et que ce gland eût été gourde? J'en vois bien à présent la cause. Garo retourne à la maison. V. - L'Écolier, le Pédant, et le Maître d'un jardin. Que le possesseur du jardin Voilà le verger plein de gens Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce, Accrut le mal en amenant Cette jeunesse mal instruite : Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite Se souvînt à jamais comme d'une leçon. Là-dessus il cita Virgile et Cicéron, Avec force traits de science. Son discours dura tant, que la maudite engeance Eut le temps de gåter en cent lieux le jardin. Je hais les pièces d'éloquence Hors de leur place, et qui n'ont point de fin; Et ne sais bête au monde pire Que l'écolier, si ce n'est le pédant. Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire, Ne me plairoit aucunement. VI. - Le Statuaire et la Statue de Jupiter. Un bloc de marbre étoit si beau, Il sera dieu: même je veux L'artisan exprima si bien Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien Même l'on dit que l'ouvrier A la foiblesse du sculpteur Le poëte autrefois n'en dut guère, Les enfants n'ont l'âme occupée Qu'on ne fâche point leur poupéc. Le cœur suit aisément l'esprit : Ils embrassoient violemment Le bramin fut surpris de chose si nouvelle. Il dit à cet objet si doux : Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux De l'honneur d'être votre époux. En ce cas, je donne, dit-elle, Ma voix au plus puissant de tous. Soleil, s'écria lors le bramin à genoux, C'est toi qui seras notre gendre. Non, dit-il; ce nuage épais Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits : Je vous conseille de le prendre. Eh bien! dit le bramin au nuage volant, Es-tu né pour ma fille? Hélas! non; car le vent Me chasse à son plaisir de contrée en contrée : Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée. Le bramin fâché s'écria : O vent, donc, puisque vent ya, Il accouroit: un mont en chemin l'arrêta. Il le renvoie, et dit: J'aurois une querelle Ce seroit être fou, lui qui peut me percer. L'Huître et les Plaideurs. VII. La Souris métamorphosée en Fille. Une souris tomba du bec d'un chat-huant : Je ne l'eusse pas ramassée; Mais un bramin le fit: je le crois aisément; Chaque pays a sa pensée. La souris étoit fort froissée. De cette sorte de prochain Nous nous soucions peu: mais le peuple bramin Le traite en frère. Ils ont en tête Que notre âme, au sortir d'un roi, Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête Qu'il plaît au Sort: c'est là l'un des points de leur loi. Pythagore chez eux a puisé ce mystère. Sur un tel fondement le bramin crut bien faire De prier un sorcier qu'il logeât la souris Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis. Le sorcier en fit une fille De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille, Que le fils de Priam pour elle auroit tenté Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté. Toutes sont donc de même trempe; Mais, agissant diversement Selon l'organe seulement, L'une s'élève, et l'autre rampe. D'où vient donc que ce corps si bien organisé Ne put obliger son hôtesse De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse. Tout débattu, tout bien pesé, VIII. - Le Fou qui vend la sagesse. Jamais auprès des fous ne te mets à portée. Je ne te puis donner un plus sage conseil. Il n'est enseignement pareil A celui-là de fuir une tête éventée. On en voit souvent dans les cours : Le prince y prend plaisir; car ils donnent toujours Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules. Un fol alloit criant par tous les carrefours Qu'il vendoit la sagesse : et les mortels crédules De courir à l'achat; chacun fut diligent. On essuyoit force grimaces; Puis on avoit pour son argent, Avec un bon soufilet, un fil long de deux brasses. Ou de s'en aller sans rien dire De chercher du sens à la chose, On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant. La raison est-elle garant De ce que fait un fou? le hasard est la cause Du fil et du soufflet pourtant embarrassé, Un des dupes un jour alla trouver un sage, Qui, sans hésiter davantage, Lui dit: Ce sont ici hiéroglyphes tout purs : Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire, Entre eux et les gens fous mettront pour l'ordinaire La longueur de ce fil; sinon je les tiens sûrs De quelque semblable caresse. Vous n'êtes point trompé, ce fou vend la sagesse. IX. - L'Huître et les Plaideurs. Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent L'un se baissoit déjà pour amasser la proie; L'autre le pousse, et dit: Il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie. Celui qui le premier a pu l'apercevoir En sera le gobeur; l'autre le verra faire. Si par là l'on juge l'affaire, Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci. Je ne l'ai pas mauvais aussi, Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie. Eh bien! vous l'avez vue; et moi je l'ai sentie. Pendant tout ce bel incident, Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge. Perrin, fort gravement, ouvre l'huître, et la gruge, Nos deux messieurs le regardant. Ce repas fait, il dit, d'un ton de président: 4 |