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Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos
A porté la machine ronde,

Ton bras peut me tirer d'ici.
Sa prière étant faite, il entend dans la nuc
Une voix qui lui parle ainsi :

Hercule veut qu'on se remue;

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient:

Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue

Qui jusqu'à l'essieu les enduit;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait? Oui, dit l'homme.
Or bien je vais t'aider, dit la voix : prends ton fouet.
Je l'ai pris... Qu'est-ce ci! mon char marche à souhait!
Hercule en soit loué! Lors la voix : Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

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Le monde n'a jamais manqué de charlatans:
Cette science de tout temps
Fut en professeurs très-fertile.

Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron;
Et l'autre affiche par la ville
Qu'il est un passe-Cicéron.

Un des derniers se vantoit d'être

En éloquence si grand maître,

Qu'il rendroit disert un badaud,

Un manant, un rustre, un lourdaud ;

Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne:
Que l'on m'amène un âne, un âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,

Et veux qu'il porte la soutane.

Le prince sut la chose il manda le rhéteur.
J'ai, dit-il, en mon écurie

Un fort beau roussin d'Arcadie;

J'en voudrois faire un orateur.

Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme.

On lui donna certaine somme.

Il devoit au bout de dix ans

Mettre son âne sur les bancs :

Sinon il consentoit d'être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa rhétorique,

Et les oreilles d'un baudet.

Quelqu'un des courtisans lui dit qu'à la potence
Il vouloit l'aller voir; et que, pour un pendu,
Il auroit bonne grâce et beaucoup de prestance :
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fût au long étendu;
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servît à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L'autre reprit : Avant l'affaire,

Le roi, l'âne, ou moi, nous mourrons.

Il avoit raison. C'est folie

De compter sur dix ans de vie.

Soyons bien buvants, bien mangeants;

Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.

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La déesse Discorde ayant brouillé les dieux,

Et fait un grand procès là-haut pour une pomme, On la fit déloger des cieux.

Chez l'animal qu'on appelle homme

On la reçut à bras ouverts,

Elle et Que-si-que-non, son frère,
Avecque Tien-et-mien, son père.

Elle nous fit l'honneur en ce bas univers
De préférer notre hémisphère

A celui des mortels qui nous sont opposés,
Gens grossiers, peu civilisés,

Et qui, se mariant sans prêtre et sans notaire,
De la discorde n'ont que faire.

Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandoit qu'elle fût présente,

La Renommée avoit le soin
De l'avertir; et l'autre, diligente,
Couroit vite aux débats, et prévenoit la Paix,
Faisoit d'une étincelle un feu long à s'éteindre.

La Renommée enfin commença de se plaindre

Que l'on ne lui trouvoit jamais

De demeure fixe et certaine;

Bien souvent l'on perdoit, à la chercher, sa peine:
Il falloit donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un séjour d'où l'on pût en toutes les familles
L'envoyer à jour arrêté.

Comme il n'étoit alors aucun couvent de filles,
On y trouva difficulté.
L'auberge enfin de l'hyménée
Lui fut pour maison assignée.

XXI. - La jeune Veuve.

La perte d'un époux ne va point sans soupirs:
On fait beaucoup de bruit; et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole;
Le Temps ramène les plaisirs.

Entre la veuve d'une année

Et la veuve d'une journée

La différence est grande; on ne croiroit jamais

Que ce fût la même personne :

L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne,
C'est toujours même note et pareil entretien.
On dit qu'on est inconsolable:
On le dit; mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.

L'époux d'une jeune beauté

Partoit pour l'autre monde. A ses côtés sa femme
Lui crioit Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler.
Le mari fait seul le voyage.

La belle avoit un père, homme prudent et sage:
Il laissa le torrent couler.

A la fin, pour la consoler :

Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes : Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes? Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l'heure

Une condition meilleure

Change en des noces ces transports:

Mais après certain temps souffrez qu'on vous propose Un époux, beau, bien fait, jeune, et tout autre chosc Que le défunt. Ah! dit-elle aussitôt,

Un cloître est l'époux qu'il me faut. Le père lui laissa digérer sa disgrâce.

Un mois de la sorte se passe :

L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coeffure;
Le deuil enfin sert de parure,

En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours

Revient au colombier; les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin:

On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.

Le père ne craint plus ce défunt tant chéri.
Mais comme il ne parloit de rien à notre belle:

Où donc est le jeune mari

Que vous m'avez promis? dit-elle.

ÉPILOGUE.

Bornons ici cette carrière;

Les longs ouvrages me font peur. Loin d'épuiser une matière, On n'en doit prendre que la fleur. Il s'en va temps que je reprenne Un peu de forces et d'haleine Pour fournir à d'autres projets. Amour, ce tyran de ma vie, Veut que je change de sujets : Il faut contenter son envie. Retournons à Psyché. Damon, vous m'exhortez A peindre ses malheurs et ses félicités : J'y consens; peut-être ma veine

En sa faveur s'échauffera.

Heureux si ce travail est la dernière peine
Que son époux me causera!

A MADAME DE MONTESPAN.

L'apologue est un don qui vient des immortels;

Ou si c'est un présent des hommes,

Quiconque nous l'a fait mérite des autels :

Nous devons tous, tant que nous sommes,
Eriger en divinité

Le sage par qui fut ce bel art inventé.

C'est proprement un charme : il rend l'âme attentive, Ou plutôt il la tient captive,

Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.
O vous qui l'imitez, Olympe, si ma muse
A quelquefois pris place à la table des dieux,
Sur ces dons aujourd'hui daignez porter les yeux;
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.

Le temps qui détruit tout, respectant votre appui,
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout auteur qui voudra vivre encore après lui
Doit s'acquérir votre suffrage.

C'est de vous que mes vers attendent tout leur prix;
Il n'est beauté dans nos écrits

Dont vous ne connoissiez jusques aux moindres traces:
Eh! qui connoît que vous les beautés et les grâces!
Paroles et regards, tout est charme dans vous.
Ma muse, en un sujet si doux,
Voudroit s'étendre davantage :

Mais il faut réserver à d'autres cet emploi;
Et d'un plus grand maître que moi
Votre louange est le partage.

Olympe, c'est assez qu'à mon dernier ouvrage
Votre nom serve un jour de rempart et d'abri;
Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer une seconde vie :
Sous vos seuls auspices ces vers
Seront jugés, malgré l'envie,
Dignes des yeux de l'univers.

Je ne mérite pas une faveur si grande;

La fable en son nom la demande :
Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous.
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un temple pour salaire:
Mais je ne veux bâtir des temples que pour vous.

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Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisoit aux animaux la guerre.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés: On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie,

Nul mets n'excitoit leur envie :

Ni loups ni renards n'épioient

La douce et l'innocente proie:

Les tourterelles se fuyoient;

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,

Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune:

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents

On fait de pareils dévoûments.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait? nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le berger.

Je me dévoùrai donc, s'il le faut : mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;

.

Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il étoit digne de tous maux,

Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses:

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins,
Au dire de chacun, étoient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net.

A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue

Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'étoit capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

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Que le bon soit toujours camarade du beau,

Dès demain je chercherai femme :

Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle âme,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J'ai vu beaucoup d'hymens, aucuns d'eux ne me tentent :
Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J'en vais alléguer un, qui, s'étant repenti,
Ne put trouver d'autre parti
Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare et jalouse.

Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut;
On se levoit trop tard, on se couchoit trop tôt;
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageoient; l'époux étoit à bout.
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose.
Elle en dit tant, que monsieur à la fin,
Lassé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoie à la campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons,

Avec les gardeurs de cochons.

Au bout de quelque temps qu'on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien! qu'avez-vous fait?
Comment passiez-vous votre vie?
L'innocence des champs est-elle votre fait?
Assez, dit-elle : mais ma peine
Etoit de voir les gens plus paresseux qu'ici;

Ils n'ont des troupeaux nul souci.

Je leur savois bien dire, et m'attirois la haine
De tous ces gens si peu soigneux.

Eh! madame, reprit son époux tout à l'heure,
Si votre esprit est si hargneux
Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous, et ne revient qu'au soir,
Est déjà lassé de vous voir,

Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous?
Retournez au village: adieu. Si de ma vie

Je vous rappelle, et qu'il m'en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés!

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Les Levantins en leur légende

Disent qu'un certain rat, las des soins d'ici-bas,

Dans un fromage de Hollande

Se retira loin du tracas.

La solitude étoit profonde,
S'étendant partout à la ronde.

Notre ermite nouveau subsistoit là-dedans.

Il fit tant, de pieds et de dents,
Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras: Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vou d'être siens.

Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander quelque aumône légère :
Ils alloient en terre étrangère

Chercher quelque secours contre le peuple chat.
Ratopolis étoit bloquée :

On les avoit contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent

De la république attaquée.

Ils demandoient fort peu, certains que le secours Seroit prêt dans quatre ou cinq jours.

Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus.
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister? que peut-il faire,

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte,

Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désigné-je, à votre avis,

Par ce rat si peu secourable?

Un moine? Non, mais un dervis :

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.

Tous approchoient du bord, l'oiseau n'avoit qu'à prendre. Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivoit de régime, et mangeoit à ses heures.
Après quelques moments, l'appétit vint: l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortoient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas; il s'attendoit à mieux,
Et montroit un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace :

Moi, des tanches! dit-il moi, héron, que je fasse
Une si pauvre chère! Et pour qui me prend-on ?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.

Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!
J'ouvrirois pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

Gardez-vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle écoutez, humains, un autre conte;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

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Le Chien qui lâche sa proie pour l'ombre.

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Certaine fille, un peu trop fière,

Prétendoit trouver un mari

Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière,

Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.

Cette fille vouloit aussi

Qu'il eût du bien, de la naissance,

De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ? Le destin se montra soigneux de la pourvoir :

Il vint des partis d'importance,

La belle les trouva trop chétifs de moitié :
Quoi, moi! quoi, ces gens-là! l'on radote, je pense.
A moi les proposer! hélas! ils font pitié :
Voyez un peu la belle espèce!
L'un n'avoit en l'esprit nulle délicatesse,
L'autre avoit le nez fait de cette façon-là :
C'étoit ceci, c'étoit cela;

C'étoit tout, car les précieuses

Font dessus tout les dédaigneuses. Après les bons partis, les médiocres gens

Vinrent se mettre sur les rangs.

Elle de se moquer. Ah! vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne :
Grâce à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoiqu'en solitude.

La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L'âge la fit déchoir: adieu tous les amants.
Un an se passe et deux avec inquiétude :

Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour;

Puis ses traits choquer et déplaire :

Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu'elle échappât au Temps, cet insigne larron.
Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer : que n'est cet avantage
Pour les ruines du visage!

Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disoit : Prenez vite un mari;
Je ne sais quel désir le lui disoit aussi :
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'auroit jamais cra,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.

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Tiennent la maison propre, ont soin de l'équipage, Et quelquefois du jardinage.

Si vous touchez à leur ouvrage,

Vous gatez tout. Un d'eux près du Gange autrefois
Cultivoit le jardin d'un assez bon bourgeois.
Il travailloit sans bruit, avoit beaucoup d'adresse,
Aimoit le maître et la maîtresse,

Et le jardin surtout. Dieu sait si les zéphyrs,
Peuple ami du démon, l'assistoient dans sa tâche!
Le follet, de sa part, travaillant sans relâche,
Combloit ses hôtes de plaisirs.

Pour plus de marques de son zèle,
Chez ces gens pour toujours il se fût arrêté,
Nonobstant la légèreté

A ses pareils si naturelle :
Mais ses confrères les esprits

Firent tant que le chef de cette république,
Par caprice ou par politique,

Le changea bientôt de logis.

Ordre lui vient d'aller au fond de la Norvége
Prendre le soin d'une maison

En tout temps couverte de neige:
Et d'Indou qu'il étoit on vous le fait Lapon.
Avant que de partir, l'esprit dit à ses hôtes:
On m'oblige de vous quitter:
Je ne sais pas pour quelles fautes;.
Mais enfin il le faut : je ne puis arrêter

3.

Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une semaine. Employez-la formez trois souhaits; car je puis

Rendre trois souhaits accomplis:

Trois, sans plus. Souhaiter, ce n'est pas une peine
Etrange et nouvelle aux humains.

Ceux-ci, pour premier vou, demandent l'abondance.
Et l'Abondance à pleines mains

Verse en leurs coffres la finance,

En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins :
Tout en crève. Comment ranger cette chevance?
Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut!
Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.

Les voleurs contre eux complotèrent,
Les grands seigneurs leur empruntèrent,
Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.
Otez-nous de ces biens l'affluence inportune,
Dirent-ils l'un et l'autre heureux les indigents!
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, trésors; fuyez: et toi, déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos,
O Médiocrité, reviens vite! A ces mots
La Médiocrité revient. On lui fait place:
Avec elle ils rentrent en grâce,

Au bout de deux souhaits, étant aussi chanceux
Qu'ils étoient, et que sont tous ceux

Qui souhaitent toujours, et perdent en chimères
Le temps qu'ils feroient mieux de mettre à leurs affaires.
Le follet en rit avec eux.

Pour profiter de sa largesse,

Quand il voulut partir et qu'il fut sur le point,

Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36,

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Sa majesté lionne un jour voulut connoître
De quelles nations le ciel l'avoit fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture
Avec son sceau. L'écrit portoit
Qu'un mois durant le roi tiendroit
Cour plénière, dont l'ouverture
Devoit être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence

Le prince à ses sujets étaloit sa puissance.
En son louvre il les invita.

Quel louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'ours boucha sa narine:
Il se fût bien passé de faire cette mine;

Sa grimace déplut, le monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le singe approuva fort cette sévérité,
Et, flatteur excessif, il loua la colère

Et la griffe du prince, et l'antre, et cette odeur:
Il n'étoit ambre, il n'étoit fleur,

Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie:
Ce monseigneur du lion-là

Fut parent de Caligula.

Le renard étant proche: Or çà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le-moi parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,

Alléguant un grand rhume: il ne pouvoit que dire
Sans odorat. Bref, il s'en tire.

Ceci vous sert d'enseignement:

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand,

VIII. Les Vautours et les Pigeons.

Mars autrefois mit tout l'air en émute.
Certain sujet fit naître la dispute
Chez les oiseaux; non ceux que le printemps
Mène à sa cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants,
Font que Vénus est en nous réveillée;
Ni ceux encor que la mère d'Amour

Met en son char: mais le peuple vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,

Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang je n'exagère point.
Si je voulois conter de point en point
Tout le détail, je manquerois d'haleine.
Maint chef périt, maint héros expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C'étoit plaisir d'observer leurs efforts;
C'étoit pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnoient nuls moyens
De peupler l'air que respirent les ombres:
Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion

Dans les esprits d'une autre nation

Au cou changeant, au cœur tendre et fidèle.
Elle employa sa médiation

Pour accorder une telle querelle:
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis; et si bien travaillèrent,
Que les vautours plus ne se chamaillèrent;
Ils firent trève; et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur auroit dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un peuple si sauvage.

Tencz toujours divisés les méchants :

La sûreté du reste de la terre

Dépend de là. Semez entre eux la guerre;
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant. Je me tais.

IX. Le Coche et la Mouche.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiroient un coche.
Femmes, moine, vieillards, tout étoit descendu :
L'attelage suoit, souffloit, étoit rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit Un sergent de bataille allant en chaque endroit Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit scule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disoit son bréviaire :

Il prenoit bien son temps! Une femme chantoit :
C'étoit bien de chansons qu'alors il s'agissoit!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,

Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
Respirons maintenant! dit la mouche aussitôt;
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,

S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires;

Et, partout importuns, devroient être chassés.

X.

La Laitière et le Pot au lait,

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,

Bien posé sur un coussinet,

Prétendoit arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée
Comptoit déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employoit l'argent;
Achetoit un cent d'œufs; faisoit triple couvée :
La chose alloit à bien par son soin diligent.
Il m'est, disoit-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable :
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée:

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;

On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?

Picrocholle, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,

Autant les sages que les fous,

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi.
On m'élit roi, mon peuple m'aime;
Les diadèmes vont sur ma tète pleuvant :

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