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Dans une ménagerie

De volatiles remplie

Vivoient le cygne et l'oison:

Celui-là destiné pour les regards du maître;

Celui-ci pour son goût : l'un qui se piquoit d'être
Commensal du jardin; l'autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne; et, le tenant au cou,
Il alloit l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, près de mourir, se plaint en son ramage.
le cuisinier fut fort surpris,

Et vit bien qu'il s'étoit mépris.

Quoi je mettrois, dit-il, un tel chanteur en soupe!
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien !

Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.

XIII. Les Loups et les Brebis.

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'étoit apparemment le bien des deux partis:
Car si les loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisoient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages:

Ils ne pouvoient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens.
La paix se conclut donc on donne des otages;

Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits, et friants de tùrie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étoient pas,
Etranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avoient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui sur leur foi reposoient sûrement,
Furent étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait, qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi;

J'en conviens : mais de quoi sert-elle

Avec des ennemis sans foi?

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Le loup un coup de dents, le bœuf un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin sans faire aucunes plaintes;
Quand voyant l'âne même à son antre accourir :
Ah! c'est trop, lui dit-il : je voulois bien mourir;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.
XV. — Philomèle et Progné.

Autrefois Progné l'hirondelle
De sa demeure s'écarta,

Et loin des villes s'emporta

Dans un bois où chantoit la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue :
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique!

Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles:
Aussi bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois
Parmi des demeures pareilles

Exerça sa fureur sur vos divins appas.

Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage

Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas.
En voyant les hommes, hélas !

Il m'en souvient bien davantage.

XVI. — La Femme noyée.

Je ne suis pas de ceux qui disent : Ce n'est rien, C'est une femme qui se noie.

Je dis que c'est beaucoup et ce sexe vaut bien
Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie.
Ce que j'avance ici n'est point hors de propos,
Puisqu'il s'agit, en cette fable,

D'une femme qui dans les flots
Avoit fini ses jours par un sort déplorable.
Son époux en cherchoit le corps
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.

Il arriva que sur les bords

Du fleuve auteur de sa disgrace

Des gens se promenoient ignorant l'accident.

Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avoient de sa femme aperçu nulle trace:
Nulle, reprit l'un d'eux; mais cherchez-la plus bas,
Suivez le fil de la rivière.

Un autre repartit: Non, ne le suivez pas,
Rebroussez plutôt en arrière;

Quelle que soit la pente ou l'inclination
Dont l'eau par sa course l'emporte,
L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte.

Cet homme se railloit assez hors de saison.
Quant à l'humeur contredisante,

Je ne sais s'il avoit raison:

Mais, que cette humeur soit ou non
Le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu'au bout contredira,
Et, s'il peut, encor par delà.

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Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours,

C'est, dit-elle, l'endroit; me voilà bien surprise :
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours.

Un rat, qui la voyoit en peine,

Lui dit : Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir.
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres :
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres.

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Se niche et se blottit dans une huche ouverte.

Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour.
C'étoit un vieux routier, il savoit plus d'un tour;
Même il avoit perdu sa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des chats:
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serois sac, je n'approcherois pas.
C'étoit bien dit à lui: j'approuve sa prudence:
Il étoit expérimenté,

Et savoit que la méfiance
Est mère de la sûreté.

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Le Meunier, son Fils, et l'Anc.

XVIII.

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Le Chat et le vieux Rat.

J'ai lu, chez un conteur de fables,

Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats,
L'Attila, le fléau des rats,

Rendoit ces derniers misérables:
J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde:

Il vouloit de souris dépeupler tout le monde.

Les planches qu'on suspend sur un léger appui,
La mort aux rats, les souricières,
N'étoient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les souris étoient prisonnières,

Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher,
Le galant fait le mort, et du haut d'un plancher

Se pend la tête en bas : la bête scélérate

A de certains cordons se tenoit par la patte.
Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin, qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement

Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quête.
Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite, et, sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.

Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant :

C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétisoit vrai : notre maître Mitis,

Le Loup et la Cicogne.

Amour est un étrange maître!
Heureux qui peut ne le connoître
Que par récit, lui ni ses coups!
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir.
Celle-ci prend bien l'assurance
De venir à vos pieds s'offrir,
Par zèle et par reconnoissance.

Du temps que les bêtes parloient,
Les lions entre autres vouloient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non? puisque leur engeance
Valoit la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,

Et belle hure outre cela.
Voici comment il en alla.

Un lion de haut parentage,
En passant par un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
11 la demande en mariage.
Le père auroit fort souhaité

Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui sembloit bien dur:

La refuser n'étoit pas sûr;
Même un refus eût fait, possible,
Qu'on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin;

Car, outre qu'en toute manière
La belle étoit pour les gens fiers.
Fille se coeffe volontiers

D'amoureux à longue crinière.
Le père donc ouvertement
N'osant renvoyer notre amant,
Lui dit: Ma fille est délicate;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne; et pour les dents,
Qu'on vous les lime en même temps:
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux,
Car ma fille y répondra mieux
Etant sans ces inquiétudes.

Le lion consent à cela :
Tant son âme étoit aveuglée!
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.

On lâcha sur lui quelques chiens :

Il fit fort peu de résistance.
Amour! Amour! quand tu nous tiens,
On peut bien dire: Adieu prudence!

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Si sa fortune étoit petite,

Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien, qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.

Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef comme il étoit jadis
Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage:
Celui qui s'étoit vu Coridon ou Tircis

Fut Pierrot et rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux,
Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre.
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

2.

Betall

L'Ane et le pett Chien.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.

Je me sers de la vérité

Pour montrer, par expérience,
Qu'un sou, quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en espérance;
Qu'il se faut contenter de sa condition;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition
Nous devons fermer les oreilles.

Pour un qui s'en loûra, dix mille s'en plaindront.
La mer promet monts et merveilles :
Fiez-vous-y; les vents et les voleurs viendront.

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Paris. Typographie Plon frères, rue de Vaugirard, 36.

Pendant que celle-ci, chétive et misérable,
Vit trois jours d'un fétu qu'elle a traîné chez soi.
Mais, ma mignonne, dites-moi,

Vous campez-vous jamais sur la tête d'un roi,
D'un empereur, ou d'une belle?

Je le fais; et je baise un beau sein quand je veux:
Je me joue entre des cheveux;

Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle;
Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,

C'est un ajustement des mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête

De vos greniers! Avez-vous dit?

Lui répliqua la ménagère.

Vous hantez les palais mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la première

De ce qu'on sert devant les dieux,
Croyez-vous qu'il en vaille mieux ?

Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
Sur la tête des rois, et sur celle des ânes,
Vous allez vous planter, je n'en disconviens pas;
Et je sais que d'un prompt trépas

Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie;

J'en conviens il est noir ainsi que vous et moi.

Je veux qu'il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi

Vous fassiez sonner vos mérites?

Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites?
Cessez donc de tenir un langage si vain :

N'ayez plus ces hautes pensées.

Les mouches de cour sont chassées;

Les mouchards sont pendus : et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,

Quand Phébus règnera sur un autre hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux :
Je n'irai, par monts ni par vaux,
M'exposer au vent, à la pluie;

Je vivrai sans mélancolie:

Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera.
Je vous enseignerai par là

Ce que c'est qu'une fausse ou véritable gloire.
Adieu; je perds le temps: laissez-moi travailler;
Ni mon grenier, ni mon armoire,
Ne se remplit à babiller.

IV. · Le Jardinier et son Seigneur.

Un amateur du jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédoit en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant.

Il avoit de plant vif fermé cette étendue :

Là croissoit à plaisir l'oseille et la laitue,

De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,

Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.

Cette félicité par un lièvre troublée

Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée

Soir et matin, dit-il, et des piéges se rit;

Les pierres, les bâtons, y perdent leur crédit :

Il est sorcier, je crois. Sorcier! je l'en défie,
Repartit le seigneur : fût-il diable, Miraut,

En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.

Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie;

Et quand? et dès demain, sans tarder plus longtemps.

La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.

Çà, déjeunons, dit-il; vos poulets sont-ils tendres ?

La fille du logis, qu'on vous voie, approchez:

Quand la marirons-nous? quand aurons-nous des gendres?
Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez,
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle.

Disant ces mots, il fait connoissance avec elle;
Auprès de lui la fait asseoir,

Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir;
Toutes sottises dont la belle

Se défend avec grand respect:

Tant qu'au père à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.

De quand sont vos jambons? ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le seigneur,
Je les reçois, et de bon cœur.

Il déjeune très-bien; aussi fait sa famille,

Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés :
Il commande chez l'hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.

L'embarras des chasseurs succède au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare:

Les trompes et les cors font un tel tintamarre,
Que le bon homme est étonné.

Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager : adieu planches, carreaux,
Adieu chicorée et poireaux,

Adieu de quoi mettre au potage.

Le lièvre étoit gîté dessous un maître chou.
On le quête, on le lance: il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disoit : Ce sont là jeux de prince.
Mais on le laissoit dire; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auroient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.

Petits princes, videz vos débats entre vous:
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

V. L'Ane et le petit Chien.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce :
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasşe,
Ne sauroit passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratific,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
Comment! disoit-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame:
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte,
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton!
Martin-baton accourt: l'àne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

VI. Le Combat des Rats et des Belettes.

La nation des belettes,

Non plus que celle des chats,

Ne veut aucun bien aux rats:
Et sans les portes étroites
De leurs habitations,
L'animal à longue échine
En feroit, je m'imagine,
De grandes destructions.
Or, une certaine année
Qu'il en étoit à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança:

Plus d'un guéret s'engraissa
Du sang de plus d'une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entière,
Quoi que pût faire Artarpax,
Psicarpax, Méridarpax,

Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps

Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine,
Il fallut céder au sort:
Chacun s'enfuit au plus fort,
Tant soldat que capitaine.
Les princes périrent tous.
La racaille, dans des trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail :
Mais les seigneurs sur leur tête
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d'honneur,
Soit afin que les belettes
En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse,
Ne fut large assez pour eux :
Au lieu que la populace

Entroit dans les moindres creux.
La principale jonchée

Fut donc des principaux rats.

Une tête empanachée
N'est pas petit embarras.

Le trop superbe équipage

Peut souvent en un passage
Causer du retardement.
Les petits en toute affaire
Esquivent fort aisément :

Les grands ne le peuvent faire.

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C'étoit chez les Grecs un usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menoient avec eux en voyage
Singes et chiens de bateleurs.
Un navire en cet équipage
Non loin d'Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami

De notre espèce: en son histoire
Pline le dit; il le faut croire.
Il sauva donc tout ce qu'il put.
Même un singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut:

Un dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement, qu'on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le dauphin l'alloit mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
Etes-vous d'Athènes la grande?
Oui, dit l'autre; on m'y connoît fort:
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi; car mes parents

Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est juge maire.
Le dauphin dit: Bien grand merci!
Et le Pirée a part aussi

A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense?
Tous les jours : il est mon ami;
C'est une vieille connoissance.
Notre magot prit, pour ce coup,

Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup,

Qui prendroient Vaugirard pour Rome;
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête;

Et, le magot considéré,

Il s'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête :

Il l'y replonge, et va trouver

Quelque homme afin de le sauver.

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Il lui coûtoit autant que trois :
Ce n'étoit que vœux et qu'offrandes,
Sacrifices de boeufs couronnés de guirlandes.

Jamais idole, quel qu'il fût,

N'avoit eu cuisine si grasse;

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.

Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassoit d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avoit sa part; et sa bourse en souffroit :
La pitance du dieu n'en étoit pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides :

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissois, plus mes mains étoient vides :
J'ai bien fait de changer de ton.

IX.

-

Le Geai paré des plumes du Paon.

Un paon muoit : un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,

Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte : Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,

Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui.
Ce ne sont pas là mes affaires.

X. Le Chameau et les Bâtons flottants.

Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier :
Ce qui nous paroissoit terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue

Quand ce vient à la continue.

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet :
On avoit mis des gens au guet,

Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire

Que c'étoit un puissant navire.

Quelques moments après, l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottant sur l'onde,

J'en sais beaucoup de par le monde

A qui ceci conviendroit bien :

De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien.

XI. · La Grenouille et le Rat.

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :

Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.

Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris :

Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris,

Et qui ne connoissoit l'avent ni le carême,

Sur le bord d'un marais égayoit ses esprits.

Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Messire rat promit soudain :

Il n'étoit pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain

La curiosité, le plaisir du voyage,

Cent raretés à voir le long du marécage :

Un jour il conteroit à ses petits enfants

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique

Aquatique.

Un point sans plus tenoit le galant empêché :

Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide.

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