Un lion d'immense stature Les regardants en tiroient gloire. Je vois bien, dit-il, qu'en effet Avec plus de raison nous aurions le dessus, XI. Le Renard et les Raisins. Certain renard gascon, d'autres disent normand, Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des raisins mûrs apparemment, Et couverts d'une peau vermeille. Le galant en eût fait volontiers un repas. Mais comme il n'y pouvoit atteindre : Ils sont trop verts, dit-il; et bons pour des goujats. XII. - Le Cygne et le Cuisinier. Dans une ménagerie De volatiles remplie Vivoient le cygne et l'oison: Celui-là destiné pour les regards du maître; I e cuisinier fut fort surpris, Et vit bien qu'il s'étoit mépris. Quoi! je mettrois, dit-il, un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe La gorge à qui s'en sert si bien! Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe Le doux parler ne nuit de rien. XIII. - Les Loups et les Brebis. Après mille ans et plus de guerre déclarée, Les bergers de leur peau se faisoient maints habits. Jamais de liberté, ni pour les pâturages, Ni d'autre part pour les carnages: Ils ne pouvoient jouir, qu'en tremblant, de leurs biens. La paix se conclut donc : on donne des otages; Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens. L'échange en étant fait aux formes ordinaires, Et réglé par des commissaires, Au bout de quelque temps que messieurs les louvats Se virent loups parfaits, et friants de tûrie, Ils vous prennent le temps que dans la bergerie Messieurs les bergers n'étoient pas, Etranglent la moitié des agneaux les plus gras, Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avoient averti leurs gens secrètement. Les chiens, qui sur leur foi reposoient sûrement, Furent étranglés en dormant: Cela fut sitôt fait, qu'à peine ils le sentirent. Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa. Nous pouvons conclure de là Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle. La paix est fort bonne de soi; J'en conviens: mais de quoi sert-elle Avec des ennemis sans foi? XIV. - Le Lion devenu vieux. Le lion, terreur des forêts, Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse, Fut enfin attaqué par ses propres sujets, Devenus forts par sa foiblesse. Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied, Le loup un coup de dents, le bœuf un coup de corne. XV. - Philomèle et Progné. Autrefois Progné l'hirondelle De sa demeure s'écarta, Dans un bois où chantoit la pauvre Philomèle. Le désert est-il fait pour des talents si beaux ? Aussi bien, en voyant les bois, Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois Parmi des demeures pareilles Exerça sa fureur sur vos divins appas. Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas. En voyant les hommes, hélas! Il m'en souvient bien davantage. XVI. - La Femme noyée. Je ne suis pas de ceux qui disent: Ce n'est rien, C'est une femme qui se noie. Je dis que c'est beaucoup: et ce sexe vaut bien Que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie. Ce que j'avance ici n'est point hors de propos, Puisqu'il s'agit, en cette fable, Les honneurs de la sépulture. Il arriva que sur les bords Du fleuve auteur de sa disgrace Des gens se promenoient ignorant l'accident. S'ils n'avoient de sa femme aperçu nulle trace: Suivez le fil de la rivière. Un autre repartit: Non, ne le suivez pas, Dont l'eau par sa course l'emporte, L'aura fait flotter d'autre sorte. Cet homme se railloit assez hors de saison. XVII. - La Belette entrée dans un grenier. Damoiselle belette, au corps long et fluet, Entra dans un grenier par un trou fort étroit : Elle sortoit de maladie. Là, vivant à discrétion, La galande fit chère lie, Mangea, rongea: Dieu sait la vie, Et le lard qui périt en cette occasion! La voilà, pour conclusion, Grasse, maflue et rebondie. Au bout de la semaine, ayant diné son sou, Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou, Pour la seconde fois, les trompe et les affine, Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise. Après avoir fait quelques tours, C'est, dit-elle, l'endroit; me voilà bien surprise : J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours. Un rat, qui la voyoit en peine, Se niche et se blottit dans une huche ouverte. Ce fut à lui bien avisé : La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte. Rien ne te sert d'être farine; Car, quand tu serois sac, je n'approcherois pas. C'étoit bien dit à lui: j'approuve sa prudence : Il étoit expérimenté, Et savoit que la méfiance Est mère de la sûreté. Le Meunier, son Fils, et l'Anc. XVIII. - Le Chat et le vieux Rat. J'ai lu, chez un conteur de fables, L'Attila, le fléau des rats, J'ai lu, dis-je, en certain auteur, Que ce chat exterminateur, Vrai Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde: La mort aux rats, les souricières, Comme il voit que dans leurs tanières Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher, Toutes, dis-je, unanimement Se promettent de rire à son enterrement, Puis enfin se mettent en quête. Mais voici bien une autre fête : Le pendu ressuscite, et, sur ses pieds tombant, Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant : C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses Ne vous sauveront pas, je vous en avertis : Vous viendrez toutes au logis. Il prophétisoit vrai: notre maître Mitis, Le Loup et la Cicogne. Amour est un étrange maître! Du temps que les bêtes parloient, Un lion de haut parentage, Le père auroit fort souhaité La refuser n'étoit pas sûr; Même un refus eût fait, possible, Car, outre qu'en toute manière D'amoureux à longue crinière. lui quelques chiens : Il fit fort peu de résistance. Amour! Amour! quand tu nous tiens, On peut bien dire : Adieu prudence! II. - Le Berger et la Mer. Du rapport d'un troupeau, dont il vivoit sans soins, Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite. Si sa fortune étoit petite, Elle étoit sûre tout au moins. A la fin, les trésors déchargés sur la plage Le tentèrent si bien, qu'il vendit son troupeau, Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau. Čet argent périt par naufrage. Son maître fut réduit à garder les brebis, Non plus berger en chef comme il étoit jadis Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage : Celui qui s'étoit vu Coridon ou Tircis Fut Pierrot et rien davantage. Au bout de quelque temps il fit quelques profits, Racheta des bêtes à laine; Et comme un jour les vents, retenant leur haleine, Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux : Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux, Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre. Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre. 2. Betall L'Ane et le peut Chien. Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé. Je me sers de la vérité Pour montrer, par expérience, Qu'un sou, quand il est assuré, Vaut mieux que cinq en espérance; Qu'il se faut contenter de sa condition; Nous devons fermer les oreilles. Pour un qui s'en loûra, dix mille s'en plaindront. La mer promet monts et merveilles : Fiez-vous-y; les vents et les voleurs viendront. III. - La Mouche et la Fourmi. La mouche et la fourmi contestoient de leur prix. O Jupiter! dit la première, Faut-il que l'amour-propre aveugle les esprits D'une si terrible manière, Qu'un vil et rampant animal A la fille de l'air ose se dire égal! Je hante les palais, je m'assieds à ta table; Si l'on t'immole un bœuf, j'en goûte devant toi: : L'embarras des chasseurs succède au déjeuné. Chacun s'anime et se prépare : Je le fais; et je baise un beau sein quand je veux: Je me joue entre des cheveux; Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle; Et la dernière main que met à sa beauté Une femme allant en conquête, C'est un ajustement des mouches emprunté. Puis allez-moi rompre la tête De vos greniers! Avez-vous dit? Lui répliqua la ménagère. Vous hantez les palais: mais on vous y maudit. Et quant à goûter la première De ce qu'on sert devant les dieux, Croyez-vous qu'il en vaille mieux? Si vous entrez partout, aussi font les profanes. Sur la tête des rois, et sur celle des ânes, Vous allez vous planter, je n'en disconviens pas; Et je sais que d'un prompt trépas Cette importunité bien souvent est punie. J'en conviens: il est noir ainsi que vous et moi. Je veux qu'il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi Vous fassiez sonner vos mérites? Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites? Cessez donc de tenir un langage si vain : N'ayez plus ces hautes pensées. Les mouches de cour sont chassées; Les mouchards sont pendus: et vous mourrez de faim, De froid, de langueur, de misère, Quand Phébus règnera sur un autre hémisphère. Alors je jouirai du fruit de mes travaux : Je n'irai, par monts ni par vaux, M'exposer au vent, à la pluie; Je vivrai sans mélancolie: Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera. Ce que c'est qu'une fausse ou véritable gloire. Adieu; je perds le temps: laissez-moi travailler; Ni mon grenier, ni mon armoire, IV. Le Jardinier et son Seigneur. Un amateur du jardinage, Demi-bourgeois, demi-manant, Possédoit en certain village Un jardin assez propre, et le clos attenant. Il avoit de plant vif fermé cette étendue : Là croissoit à plaisir l'oseille et la laitue, De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet, Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet. Cette félicité par un lièvre troublée Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit. Ce maudit animal vient prendre sa goulée Soir et matin, dit-il, et des piéges se rit; Les pierres, les bâtons, y perdent leur crédit : Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie; Et quand? et dès demain, sans tarder plus longtemps. La partie ainsi faite, il vient avec ses gens. Çà, déjeunons, dit-il; vos poulets sont-ils tendres? La fille du logis, qu'on vous voie, approchez: Quand la marirons-nous? quand aurons-nous des gendres? Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez, Qu'il faut fouiller à l'escarcelle. Disant ces mots, il fait connoissance avec elle; Auprès de lui la fait asseoir, Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir; Toutes sottises dont la belle Se défend avec grand respect: Tant qu'au père à la fin cela devient suspect. Cependant on fricasse, on se rue en cuisine. De quand sont vos jambons? ils ont fort bonne mine. Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le seigneur, Je les reçois, et de bon cœur. Il déjeune très-bien; aussi fait sa famille, Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés: Il commande chez l'hôte, y prend des libertés, Boit son vin, caresse sa fille. Les trompes et les cors font un tel tintamarre, Que le bon homme est étonné. Le pis fut que l'on mit en piteux équipage Le pauvre potager: adieu planches, carreaux, Adieu chicorée et poireaux, Adieu de quoi mettre au potage. Le lièvre étoit gîté dessous un maître chou. On le quête, on le lance: il s'enfuit par un trou, Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie Que l'on fit à la pauvre haie Par ordre du seigneur; car il eût été mal Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval. Le bon homme disoit: Ce sont là jeux de prince. Mais on le laissoit dire; et les chiens et les gens Firent plus de dégât en une heure de temps Que n'en auroient fait en cent ans Petits princes, videz vos débats entre vous: V. - L'Ane et le petit Chien. Ne forçons point notre talent; C'est un point qu'il leur faut laisser, S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte, Cela n'est pas bien malaisé, Dans cette admirable pensée, Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement, Lève une corne tout usée, La lui porte au menton fort amoureusement, Non sans accompagner, pour plus grand ornement, Ainsi finit la comédie. VI. Le Combat des Rats et des Belettes. La nation des belettes, Plus d'un guéret s'engraissa Les efforts des combattants. VII. - Le Singe et le Dauphin. C'étoit chez les Grecs un usage De notre espèce: en son histoire Un dauphin le prit pour un homme, Si gravement, qu'on eût cru voir A l'honneur de votre présence? Le nom d'un port pour un nom d'homme. De telles gens il est beaucoup, Qui prendroient Vaugirard pour Rome; Et qui, caquetant au plus dru, Parlent de tout, et n'ont rien vu. Le dauphin rit, tourne la tête; Et, le magot considéré, Il s'aperçoit qu'il n'a tiré Du fond des eaux rien qu'une bête : Il l'y replonge, et va trouver Quelque homme afin de le sauver. VIII. - L'Homme et l'Idole de bois. Certain païen chez lui gardoit un dieu de bois, Il lui coûtoit autant que trois : Ce n'étoit que vœux et qu'offrandes, Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes. Jamais idole, quel qu'il fût, N'avoit eu cuisine si grasse; Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit S'amassoit d'une ou d'autre sorte, L'homme en avoit sa part; et sa bourse en souffroit : La pitance du dieu n'en étoit pas moins forte. Il vous prend un levier, met en pièces l'idole, Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels. Tu ressembles aux naturels On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton. IX. - Le Geai paré des plumes du Paon. Un paon muoit: un geai prit son plumage; Puis parmi d'autres paons tout fier se panada, Croyant être un beau personnage. Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué, Berné, sifflé, moqué, joué, Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte: Mème vers ses pareils s'étant réfugié, Il fut par eux mis à la porte. Il est assez de geais à deux pieds comme lui, Et que l'on nomme plagiaires. Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui. Ce ne sont pas là mes affaires. Χ. Le Chameau et les Bâtons flottants. Le premier qui vit un chameau S'enfuit à cet objet nouveau; Le second approcha; le troisième osa faire L'accoutumance ainsi nous rend tout familier : Ce qui nous paroissoit terrible et singulier Et puisque nous voici tombés sur ce sujet : Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet, Ne purent s'empêcher de dire Que c'étoit un puissant navire. Quelques moments après, l'objet devint brûlot, Et puis nacelle, et puis ballot, Enfin bâtons flottant sur l'onde, J'en sais beaucoup de par le monde A qui ceci conviendroit bien : De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien. ΧΙ. - La Grenouille et le Rat. Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui : Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris, Et qui ne connoissoit l'avent ni le carême, Sur le bord d'un marais égayoit ses esprits. Une grenouille approche, et lui dit en sa langue : Venez me voir chez moi, je vous ferai festin. Messire rat promit soudain : Il n'étoit pas besoin de plus longue harangue. Cent raretés à voir le long du marécage : Un jour il conteroit à ses petits enfants Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants, Et le gouvernement de la chose publique Aquatique. Un point sans plus tenoit le galant empêché : Il nageoit quelque peu, mais il falloit de l'aide. i |