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Les plus à craindre sont souvent les plus petits; L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,

Qui périt pour la moindre affaire.

X. - L'Ane chargé d'éponges, et l'Ane chargé de sel.

Un ânier, son sceptre à la main,

Menoit, en empereur romain,

Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier;

Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles :

Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux, et par chemins,

Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,

Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,

Qui, voulant en faire à sa tête,

Dans un trou se précipita,
Revint

sur

l'eau, puis échappa Car au bout de quelques nagées Tout son sel se fondit si bien, Que le baudet ne sentit rien Sur ses épaules soulagées.

:

Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrai.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,

Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison

Firent à l'éponge raison.
Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'âne, succombant, ne put gagner le bord.

L'ânier l'embrassoit, dans l'attente
D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours: qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point

Agir chacun de même sorte.

J'en voulois venir à ce point.

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Le soupé du croquant avec elle s'envole:

Point de pigeon pour une obole.

XIII. - L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits.

Un astrologue un jour se laissa choir

Au fond d'un puits. On lui dit: Pauvre bête,

Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.

Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,

Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d'entendre dire

Qu'au livre du destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le hasard parmi l'antiquité,

Et parmi nous la providence?

Or du hasard il n'est point de science :

S'il en étoit, on auroit tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort;

Toutes choses très-incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Auroit-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?

Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,

Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers?
Charlatans, faiseurs d'horoscope,

Quittez les cours des princes de l'Europe :
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps,
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop: revenons à l'histoire
De ce spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui baillent aux chimères
Cependant qu'ils sont en danger,

Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

XIV. - Le Lièvre et les Grenouilles.

Un lièvre en son gîte songeoit,

(Car que faire en un gite, à moins que l'on ne songe?) Dans un profond ennui ce lièvre se plongeoit :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux

Sont, disoit-il, bien malheureux!

Ils ne sauroient manger morceau qui leur profite :
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.

Eh! la peur se corrige-t-elle?
Je crois même qu'en bonne foi

Les hommes ont peur comme moi.

Ainsi raisonnoit notre lièvre,

Et cependant faisoit le guet.

Il étoit douteux, inquiet;

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre.

Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal

Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire! Ma présence

Effraie aussi les gens! Je mets l'alarme au camp!

Et d'où me vient cette vaillance?

Comment! des animaux qui tremblent devant moi!

Je suis donc un foudre de guerre!

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre, Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

XV. - Le Coq et le Renard.

Sur la branche d'un arbre étoit en sentinelle

Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse:

Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.

Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires.
Nous vous y servirons en frères;
Faites-en les feux dès ce soir;

Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.

Ami, reprit le coq, je ne pouvois jamais

Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle

Que celle

De cette paix,

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m'assure, sont courriers,
Que pour ce sujet on envoie:

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends: nous pourrons nous entrebaiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt

Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.

Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

XVI. - Le Corbeau voulant imiter l'Aigle.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,

Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,

En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,

Un vrai mouton de sacrifice:

On l'avoit réservé pour la bouche des dieux.

Gaillard corbeau disoit, en le couvant des yeux:

Je ne sais qui fut ta nourrice,

Mais ton corps me paroît en merveilleux état;

Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bêlant, à ces mots, il s'abat.

La moutonnière créature

Pesoit plus qu'un fromage; outre que sa toison

Etoit d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon

Que la barbe de Polyphème.

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,

Que le pauvre animal ne put faire retraite :

Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,

Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette :

Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.

L'exemple est un dangereux leurre:

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

XVII. - Le Paon se plaignant à Junon.

Le paon se plaignoit à Junon:
Déesse, disoit-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure;
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature:

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit, en colère:

Oiseau jaloux, et qui devrois te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col

Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;
Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux

La boutique d'un lapidaire!

Est-il quelque oiseau sous les cieux

Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétés.

Nous vous avons donné diverses qualités :

Les uns ont la grandeur et la force en partage;

Le faucon est léger, l'aigle plein de courage,

Le corbeau sert pour le présage,

La corneille avertit des malheurs à venir.

Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, Je t'ôterai ton plumage.

XVIII. - Le Chatte métamorphosée en femme.

Un homme chérissoit éperdument sa chatte;
Il la trouvoit mignonne, et belle, et délicate,

Qui miauloit d'un ton fort doux:
Il étoit plus fou que les fous.

Cet homme donc, par prières, par larmes,

Par sortiléges et par charmes,
Fait tant qu'il obtient du destin
Que sa chatte, en un beau matin,
Devient femme : et, le matin même,
Maitre sot en fait sa moitié.

Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il étoit d'amitié.
Jamais la dame la plus belle
Ne charma tant son favori,
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l'amadoue; elle le flatte:

Il n'y trouve plus rien de chatte;
Et, poussant l'erreur jusqu'au bout,
La croit femme en tout et partout:

Lorsque quelques souris qui rongeoient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.

Aussitôt la femme est sur pieds.

Elle manqua son aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture :
Pour cette fois, elle accourut à point;

Car, ayant changé de figure,

Les souris ne la craignoient point.

Ce lui fut toujours une amorce :

Tant le naturel a de force!

Il se moque de tout: certain âge accompli,

Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli;

En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer:

Quelque chose qu'on puisse faire,
On ne sauroit le réformer.

Coups de fourches ni d'étrivières
Ne lui font changer de manières;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en serez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

XIX. - Le Lion et l'Ane chassant.

Le roi des animaux se mit un jour en tête

De giboyer. Il célébroit sa fête.

Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,

Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.

Pour réussir dans cette affaire,

Il se servit du ministère

De l'âne, à la voix de Stentor.

L'âne à messer lion fit office de cor.

Le lion le posta, le couvrit de ramée,

Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son

Les moins intimidés fuiroient de leur maison.

Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée

A la tempête de sa voix;

L'air en retentissoit d'un bruit épouvantable:

La frayeur saisissoit les hôtes de ces bois;

Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable

Où les attendoit le lion.

N'ai-je pas bien servi dans cette occasion?

Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.

Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :

Si je ne connoissois ta personne et ta race,

J'en serois moi-même effrayé.

L'àne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison.
Car qui pourroit souffrir un âne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.

XX. - Testament expliqué par Ésope.

Si ce qu'on dit d'Esope est vrai,
C'étoit l'oracle de la Grèce :
Lui seul avoit plus de sagesse
Que tout l'aréopage. En voici pour essai
Une histoire des plus gentilles,
Et qui pourra plaire au lecteur.

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveuse; une coquette;
La troisième, avare parfaite.
Cet homme par son testament,
Selon les lois municipales,

Leur laissa tout son bien par portions égales,

En donnant à leur mère tant,
Payable quand chacune d'elles

Ne possèderoit plus sa contingente part.
Le père mort, les trois femelles

Courent au testament, sans attendre plus tard.

On le lit; on tâche d'entendre
La volonté du testateur;

Mais en vain: car comment comprendre
Qu'aussitôt que chacune sœur

Ne possèdera plus sa part héréditaire
Il lui faudra payer sa mère?
Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer que d'être sans bien.
Que vouloit donc dire le père?

L'affaire est consultée; et tous les avocats,

Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,

Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,
Et conseillent aux héritières

De partager le bien sans songer au surplus.
Quant à la somme de la veuve,

Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve:

Il faut que chaque sœur se charge par traité

Du tiers, payable à volonté;

Si mieux n'aime la mère en créer une rente,

Dès le décès du mort courante.

La chose ainsi réglée, on composa trois lots:

En l'un, les maisons de bouteille,

Les buffets dressés sous la treille,

La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs,

Les magasins de Malvoisie,

Les esclaves de bouche, et, pour dire en deux mots,

L'attirail de la goinfrerie :

Dans un autre, celui de la coquetterie,

La maison de la ville, et les meubles exquis,

Les eunuques et les coeffeuses,

Et les brodeuses,

Les joyaux, les robes de prix :

Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,

Les troupeaux et le pâturage,

Valets et bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le sort pourroit faire

Que peut-être pas une sœur
N'auroit ce qui lui pourroit plaire.

Ainsi chacune prit son inclination;
Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes
Que cette rencontre arriva.

Petits et grands, tout approuva

Le partage et le choix. Esope seul trouva
Qu'après bien du temps et des peines
Les gens avoient pris justement
Le contre-pied du testament.

Si le défunt vivoit, disoit-il, que l'Attique
Auroit de reproches de lui!
Comment! ce peuple, qui se pique
D'être le plus subtil des peuples d'aujourd'hui,

A si mal entendu la volonté suprême

D'un testateur! Ayant ainsi parlé,

Il fait le partage lui-même,

Et donne à chaque sœur un lot contre son gré;

Rien qui pût être convenable,

Partant rien aux sœurs d'agréable :

A la coquette, l'attirail

Qui suit les personnes buveuses :
La biberonne eut le bétail;
La ménagère eut les coeffeuses.
Tel fut l'avis du Phrygien;
Alléguant qu'il n'étoit moyen
Plus sûr pour obliger ces filles
A se défaire de leur bien;

Qu'elles se marîroient dans les bonnes familles
Quand on leur verroit de l'argent;
Paîroient leur mère tout comptant;
Ne possèderoient plus les effets de leur père :
Ce que disoit le testament.

Le peuple s'étonna comme il se pouvoit faire
Qu'un homme seul eût plus de sens
Qu'une multitude de gens.

LIVRE TROISIÈME.

FABLE I. - Le Meunier, son Fils, et l'Ane.

AM. D. м.

L'invention des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce :
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes:
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé:
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confioient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,

Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé;
A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense.
Vous connoissez mon bien, mon talent, ma naissance:
Dois-je dans la province établir mon séjour?

Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes:
La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes :
Si je suivois mon goût, je saurois où buter;
Mais j'ai les miens, la cour, le peuple, à contenter.
Malherbe là-dessus: Contenter tout le monde!

Ecoutez ce récit avant que je réponde.

J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils,
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Alloient vendre leur âne, un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit :

Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre!
Le premier qui les vit de rire s'éclata :
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.
Le meunier, à ces mots, connoît son ignorance :
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L'âne, qui goûtoit fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure;
Il fait monter son fils, il suit; et, d'aventure,
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put :
Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise!
C'étoit à vous de suivre, au vieillard de monter.
Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter.
L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte.
Quand trois filles passant, l'une dit: C'est grand'honte
Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,
Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,
Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage.
Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge:
Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez.
Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe
Trouve encore à gloser, L'un dit: Ces gens sont fous!

Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups.
Hé quoi! charger ainsi cette pauvre bourrique!
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?
Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
Parbleu! dit le meunier, est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.
Essayons toutefois si par quelque manière
Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux:
L'âne se prélassant marche seul devant eux.
Un quidam les rencontre, et dit: Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode?
Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne!
Nicolas, au rebours: car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.
Beau trio de baudets! Le meunier repartit:
Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu'on dise quelque chose, ou qu'on ne dise rien,
J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le prince;
Allez, venez, courez; demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement:
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

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Je devois par la royauté

Avoir commencé mon ouvrage;
A la voir d'un certain côté,

Messer Gaster 1 en est l'image:

S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.

De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster.
Il faudroit, disoient-ils, sans nous qu'il vécût d'air.
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme;
Et pour qui? pour lui seul : nous n'en profitons pas;
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.

Chômons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,

Les bras d'agir, les jambes de marcher:
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent:
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur;
Chaque membre en souffrit; les forces se perdirent.

Par ce moyen les mutins virent
Que celui qu'ils croyoient oisif et paresseux
A l'intérêt commun contribuoit plus qu'eux.
Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale.
Elle reçoit et donne; et la chose est égale.
Tout travaille pour elle; et réciproquement

Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paye au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,

Entretient seule tout l'Etat.

Ménénius le sut bien dire.

La commune s'alloit séparer du sénat.

Les mécontents disoient qu'il avoit tout l'empire,

Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité :

Au lieu que tout le mal étoit de leur côté,

Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.

Le peuple hors des murs étoit déjà posté,

La plupart s'en alloient chercher une autre terre;

Quand Ménénius leur fit voir

Qu'ils étoient aux membres semblables,

Et par cet apologue, insigne entre les fables,
Les ramena dans leur devoir.

III. - Le Loup devenu berger.

Un loup qui commençoit d'avoir petite part

Aux brebis de son voisinage

Crut qu'il falloit s'aider de la peau du renard,

Et faire un nouveau personnage.

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton,

Fait sa houlette d'un bâton,

* L'estomac.

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Dormoit alors profondément;

Son chien dormoit aussi, comme aussi sa musette;

La plupart des brebis dormoient pareillement.

L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,

Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyoit nécessaire.
Mais cela gâta son affaire:

Il ne put du pasteur contrefaire la voix.

Le ton dont il parla fit retentir les bois,

Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,

Les brebis, le chien, le garçon.
Le pauvre loup dans cet esclandre,

Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.

Quiconque est loup, agisse en loup;
C'est le plus certain de beaucoup.

IV. - Les Grenouilles qui demandent un Roi.

Les grenouilles, se lassant
De l'état démocr

démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique : Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,

Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,

S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu'elles croyoient être un géant nouveau.

Or c'étoit un soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première

Qui, de le voir s'aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant;
Il en vint une fourmilière :

Et leur troupe à la fin se rendit familière

Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.

Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :

Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue!

Le monarque des dieux leur envoie une gruc,

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir:

Et grenouilles de se plaindre;

Et Jupin de leur dire: Eh quoi! votre désir

A ses lois croit-il nous astreindre?

Vous avez dû premièrement

Garder votre gouvernement;

Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devoit suffire

Que votre premier roi fût débonnaire et doux:

De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.

V. Le Renard et le Bouc.

Capitaine renard alloit de compagnie
Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyoit pas plus loin que son nez;
L'autre étoit passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits :

Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi;
Mets-les contre le mur: le long de ton échine

Je grimperai premièrement;

• Trompeur.

Puis sur tes cornes m'élevant,

A l'aide de cette machine,

De ce lieu-ci je sortirai,

Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe! dit l'autre, il est bon; et je loue

Les gens bien sensés comme toi:

Je n'aurois jamais, quant à moi,

Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,

Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience :

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence

Autant de jugement que de barbe au menton,

Tu n'aurois pas, à la légère,

Descendu dans ce puits. Or, adieu, j'en suis hors: Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car pour moi j'ai certaine affaire

Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.

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Où la laie étoit en gésine.

Ma bonne amie et ma voisine,

Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis :

L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits.

Obligez-moi de n'en rien dire :

Son courroux tomberoit sur moi.

Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,

La chatte en son trou se retire.
L'aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins

De ses petits; la laie encore moins :

Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins Ce doit être celui d'éviter la famine.

A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine,

Pour secourir les siens dedans l'occasion:

L'oiseau royal, en cas de mine;
La laie, en cas d'irruption.

La faim détruisit tout; il ne resta personne
De la gent marcassine et de la gent aiglonne
Qui n'allât de vie à trépas:

Grand renfort pour messieurs les chats.

Que ne sait point ourdir une langue traîtresse

Par sa

pernicieuse adresse!

Des malheurs qui sont sortis

De la boîte de Pandore,

Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre,

C'est la fourbe, à mon avis.

VII. - L'Ivrogne et sa Femme.

Chacun a son défaut, où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.

Sur ce propos, d'un conte il me souvient;

Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus

Altéroit sa santé, son esprit et sa bourse :
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course

Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avoit laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.

Là, les vapeurs du vin nouveau Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve L'attirail de la mort à l'entour de son corps, Un luminaire, un drap des morts.

Oh! dit-il, qu'est-ce ci? ma femme est-elle veuve?
Là-dessus son épouse, en habit d'Alecton,
Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière

Qu'il ne soit citoyen d'enfer.

Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme.

La cellérière du royaume

De Satan, reprit-elle; et je porte à manger

A ceux qu'enclôt la tombe noire.

Le mari repart, sans songer :

Tu ne leur portes point à boire?

VIII. - La Goutte et l'Araignée.

Quand l'enfer eut produit la goutte et l'araignée,
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter

D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.

Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étroites,

Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés?

Je me suis proposé d'en faire vos retraites.

Tenez donc, voici deux bûchettes :
Accommodez-vous, ou tirez.

Il n'est rien, dit l'aragne, aux cases qui me plaise.

L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins

De ces gens nommés médecins,

Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant: Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet

Jamais Hippocrate me somme.

L'aragne cependant se campe en un lambris,

Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer: voilà sa toile ourdie,

Voilà des moucherons de pris.

Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.

Le pauvre bestion tous les jours déménage.

Enfin, après un vain essai,

Il va trouver la goutte. Elle étoit en campagne,

Plus malheureuse mille fois

Que la plus malheureuse aragne.

Son hôte la menoit tantôt fendre du bois,

Tantôt fouir, houer: goutte bien tracassée

Est, dit-on, à demi pansée.

Oh! je ne saurois plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sœur l'aragne. Et l'autre d'écouter.
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane:
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.

La goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un prélat, qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger.

Cataplasmes, Dieu sait! les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son compte,

Et fit très-sagement de changer de logis.

IX. - Le Loup et la Cicogne.

Les loups mangent gloutonnement.

Un loup donc étant de frairie

Se pressa, dit-on, tellement,

Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier.

De bonheur pour ce loup, qui ne pouvoit crier,

Près de là passe une cicogne.

Il lui fait signe; elle accourt.

Voilà l'opératrice aussitôt en besogne,

Elle retira l'os: puis, pour un si bon tour,

Elle demanda son salaire.

Votre salaire! dit le loup:

Vous riez, ma bonne commère!

Quoi! ce n'est pas encor beaucoup

D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate:
Ne tombez jamais sous ma patte.

X. - Le Lion abattu par l'Homme.

On exposoit une peinture

Où l'artisan avoit tracé

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