Page images
PDF
EPUB

que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie comme du raisonnement le plus fort; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut par abstraction un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant de Dieu que de l'homme cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal1. CHATEAUBRIAND, Génie du christianisme.

V

Pascal a le langage propre à la misanthropie chrétienne, misanthropie forte et douce. Comme peu ont ce sentiment, peu aussi ont eu ce style... Derrière la pensée de Pascal, on voit l'attitude de cet esprit fermé et exempt de toute passion. C'est là surtout ce qui le rend très imposant.

JOUBERT.

VI

Pascal est le premier homme de génie qui ait manié l'instrument créé par Descartes, et Pascal, c'est encore un philosophe et un géomètre. Loin donc de s'altérer entre ses mains, le caractère imprimé à la langue s'y fortifia. Cette régularité géométrique du Discours de la méthode, qui forme un si piquant contraste avec l'allure capricieuse de la phrase de Montaigne, devient en quelque sorte plus rigide sous le compas de Pascal. Descartes, qui invente et produit sans cesse, tout en écrivant avec soin, laisse encore échapper bien des négligences. Pascal n'a pas cette fécondité inépuisable; mais tout ce qui sort de sa main est exquis et achevé... Pascal est venu à cette heureuse époque de la littérature et de la langue où l'art se joignait à la nature dans une juste mesure pour produire des œuvres accomplies. Avant lui, et après lui, cette parfaite harmonie, qui dure si peu dans la vie littéraire d'un peuple, ou n'est pas encore ou bientôt n'est plus. Avant Pascal, dans Descartes même, la nature est puissante, mais l'art manque un peu ; et quelque temps après Pascal, dès les premières années du XVIIIe siècle, l'art paraît

1. Il est à peine besoin de mettre le lecteur en garde contre ce qu'il y a d'un peu théâtral dans ce morceau, et aussi de discutable dans le jugement qui suit, où Joubert montre Pascal « exempt de toute passion ».

déjà trop... C'est par l'âme que Pascal est grand, et comme homme et comme écrivain; le style qui réfléchit cette âme en a toutes les qualités, la finesse, l'amère ironie, l'ardente imagination, la raison austère, le trouble à la fois et la chaste discrétion ce style est, comme cette âme, d'une beauté incomparable... Il n'a mis dans le monde aucun principe nouveau, mais tout ce qu'il a touché, il l'a porté d'abord à la suprême perfection. Il a plus de profondeur dans le sentiment que dans la pensée, plus de force que d'étendue. Ce qui le caractérise, c'est la rigueur, cette rigueur inflexible qui aspire en toute chose à la dernière précision, à la dernière évidence. De là ce style net et lumineux, ce trait ferme et arrêté, sur lequel se répand ensuite ou la grâce de l'esprit le plus aimable, ou la mélancolie sublime de cette âme que le monde lassa bien vite, et que le doute poursuivit jusque dans les bras de la foi.

V. COUSIN, Rapport à l'Académie française sur la nécessité d'une nouvelle édition des Pensées de Pascal; 1842.

VII

Nulle part vous ne trouverez plus d'audace et de simplicité, plus de grandeur et de naturel, plus d'enthousiasme et de familiarité. Un écrivain célèbre a remarqué qu'il est peut-être le seul génie original que le goût n'ait presque jamais le droit de reprendre; on le conçoit, mais on n'y songe pas en le lisant. VILLEMAIN, Discours et mélanges. DIDIER.

VIII

Pascal, jusque dans les joies de l'extase, ne peut se défendre d'un reste de tristesse et de sombre mélancolie: c'est par là surtout qu'il n'a ressemblé à personne et qu'il se prête si mal à l'imitation. Bossuet, par un merveilleux accord du bon sens et de l'enthousiasme, garde, au milieu des aspirations les plus hardies de sa pensée, une inaltérable sérénité : c'est qu'il a trouvé le calme avec la force dans le ferme attachement à la tradition qui le fait bientôt reconnaître par-les contemporains eux-mêmes pour le continuateur naturel et le légitime héritier des Pères de l'Église. Pascal, plus sévère et plus pressant, pénètre au fond des cœurs pour y mettre et pour y laisser le

trouble. Bossuet a le don de rassurer ceux qu'il entraîne comme

de gagner ceux qu'il maîtrise.

GANDAR, De la Prose française au milieu
du dix-septième siècle.

IX

Ce qui caractérise Pascal, c'est la réunion, dans les proportions les plus justes, de l'esprit de géométrie et de l'esprit de finesse. Ils peuvent sans trop de peine se réunir dans une intelligence ordinaire; mais ce qui est rare, c'est que l'un des deux, porté au degré le plus élevé, ne nuise pas à l'autre et lui permette même de s'élever à une hauteur égale. Un esprit éminemment géométrique, et aussi fin qu'il est géométrique, voilà une apparition devant laquelle il vaut la peine de s'incliner. Pascal nous offre en sa personne ce beau phénomène. VINET, Études sur Blaise Pascal.

X

Pascal est à la fois plus violent que Bossuet et plus sympathique pour nous; il est plus notre contemporain par le sentiment. Le même jour où on a lu Childe-Harold ou Hamlet, René ou Werther, on lira Pascal, et il leur tiendra tête en nous, ou plutôt il nous fera comprendre et sentir un idéal moral et une beauté de cœur qui leur manque à tous, et qui, une fois entrevue, est un désespoir aussi.

SAINTE-BEUVE, Lundis, t. V; Garnier.

XI

Géométrie et passion, voilà tout l'esprit de Pascal, voilà aussi toute son éloquence... Bossuet est comme un général qui déploie son armée dans la plaine pour une grande bataille : tout est mouvement, tout est bruit; Pascal livre un combat singulier, rapide et silencieux, mais furieux et terrible. Tous deux ont des attendrissements et des larmes, mais il semble que celles de Bossuet rafraîchissent le cœur, et que celles de Pascal le brûlent. La foule est plus aisément touchée par Bossuet, comme plus aisément convaincue; mais certaines âmes d'une trempe plus dure sont moins pénétrées par ses discours : ceux de Pas

cal mordent sur les plus âpres. Bossuet enfin est toujours le maître de son pathétique comme de son argumentation: ce sont des forces dont son éloquence s'aide librement; celle de Pascal semble quelquefois emportée invinciblement comme par un poids, et n'en est que plus irrésistible. Dans ces Pensées, qu'il jette sur le papier pour lui seul, et où la passion qui le possède s'épanche sans obstacle, elle lui fait rencontrer de temps en temps un sublime où Bossuet lui-même n'atteint pas. Ces fragments épars, espèces d'oracles de l'esprit qui s'agite en lui, sont quelquefois d'une beauté et d'une originalité de style incomparables, et il faut dire avec M. Sainte-Beuve: «Pascal, admirable écrivain quand il achève, est peut-être encore supérieur là où il fut interrompu. »

cur,

ERNEST HAVET, Introduction des Pensées, édit. Delagrave.

XII

Pascal, qui est à la fois un grand philosophe et un grand artiste, et aussi éloigné en philosophie du cartésianisme qu'en littérature du genre classique, a pensé tout le contraire (de ce qu'ont pensé Boileau et Descartes). Son génie si compréhensif, qui subissait l'attraction de l'inconnaissable, et qui aimait naturellement la sensation troublante de l'obscur, n'a pas pu accepter cette restriction du domaine de la philosophie et de l'art à celui de la raison clairvoyante. Il a voulu rendre une place au sentiment de l'inintelligible, à l'émotion devant l'obsqui sont de hautes situations morales, qu'on ne supprime pas à volonté de l'âme humaine, et avec lesquelles la philosophie et l'art doivent compter... Sans doute on pourrait dire qu'il a beaucoup emprunté à Descartes. Mais quelle révolte contre l'esprit général de la doctrine cartésienne! Quel emploi tout contraire de la raison, quelle conception tout opposée des rapports de la philosophie et de la foi! Pascal a été disciple de Descartes comme il a été disciple de Montaigne, pour les épuiser tous deux par son assimilation dévorante, arriver également au bout du scepticisme et du dogmatisme, ne se satisfaire ni de l'un ni de l'autre, en montrer le néant, et appeler la grâce. C'est donc contre Descartes qu'il a été cartésien, et il a tourné la doctrine du maître contre elle-même.

KRANTZ, Essai sur l'esthétique de Descartes; Germer-Baillière.

NARRATIONS, LETTRES, PORTRAITS

ET DIALOGUES

I

Faire le portrait de Blaise Pascal d'après ses écrits.

[blocks in formation]

Lettre de Nicole à un ami de province sur la mort de Pascal. (Marseille. BACCALAURÉAT DE L'ENSEIGNEMENT SPÉCIAL, 1886.)

[ocr errors]

III

On sait que Richelieu accorda la grâce du père de Pascal à Jacqueline Pascal, dont la gentillesse et l'esprit l'avaient frappé. Le père, qui depuis sa disgrâce se cachait en Auvergne, vint à Paris remercier le cardinal. Il était accompagné de ses trois enfants, dont les deux autres, Gilberte et Blaise, étaient, dit-on, parfaitement beaux : Gilberte a dix-neuf ans déjà, Blaise n'en a que seize. Richelieu leur témoigne beaucoup d'amitié et dit même au père rassuré : « Je vous recommande ces enfants; j'en ferai un jour quelque chose de grand. >>

IV

Pendant l'automne de 1647, Pascal, déjà tourmenté par la maladie, vint de Rouen à Paris, où il consulta les médecins, et vit Descartes, médecin d'ailleurs, lui aussi. Le P. Mersenne leur servit d'intermédiaire. Opposition des deux grands hommes; dialogue.

V

Raconter l'accident du pont de Neuilly (octobre ou novembre 1654). Pascal, dans un carrosse attelé de quatre chevaux,

« PreviousContinue »