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pour cela, qu'à l'heure dite, ils s'écorchent la main avec leurs ongles et qu'ils fassent couler le sang. En d'autres pays, on doit s'oindre avec de la graisse d'enfant. Deux jeunes gens, entraînés par leurs camarades, racontent que le sabbat est une réunion monstrueuse d'hommes et de bêtes qui dansent, qui folâtrent et poussent des cris à faire dresser les cheveux sur la tête. L'un d'eux, âgé seulement de quatorze ans, couchant, au temps de la moisson, dans une grange de la commune du Bernard, avec des glaneuses de la Tranche, avouait, un matin, au retour d'un sabbat qui l'avait horriblement fatigué, que le malin esprit l'avait présidé comme de coutume et, qu'avant la danse et le repas, tous les initiés lui avaient embrassé le derrière. Tous les livres écrits, depuis trois siècles sur le sabbat, nous parlent de cet hommage rendu au président, qui prend d'habitude la forme d'un bouc (1).

L'origine du sabbat est très-ancienne. Les uns la font remonter jusqu'à un certain Sabasius, disciple d'Orphée, qui lui aurait donné son nom. La source de ces orgies, suivant les autres, a pris naissance dans les bacchanales où l'on invoquait Bacchus en criant Saboé (2). Plusieurs prétendent qu'il tire son nom du sabbat des juifs, et cela avec d'autant plus de raison, qu'il a lieu les nuits qui précédent le jeudi et le samedi, et que l'on voit plus d'un juif, dans l'histoire de la sorcellerie, condamné à être pendu par suite de sabbats nocturnes, où l'on perçait des hosties et où l'on immolait de petits enfants.

Un dernier mot sur la Tranche: il est impossible de calculer le nombre d'êtres, même inanimés, sur lesquels les sorciers ont jeté des sorts. Nous n'en citerons qu'un exemple : le devin, pour guérir une femme malade, avait appliqué sur sa poitrine,

(1) Vita S. Radegunda, Bolland. acta sanct., XIII August., p. 81.

(2) Dict. des sciences occultes, t. II, c. 450.

Alfred Maury, la magie et l'astrologie, p. 177. Histoire des religions de la Grèce antique, par le même; origine des sabasies, t. III, p. 103.

un certain nombre de feuilles de sabine, avec ordre de les brûler, à onze heures du soir, dans la cheminée, avec une branche de sarment; au moment où s'accomplissait cette mystérieuse opération, les portes fermées à double verrou, un cousin, qui passait pour sorcier, apparaît soudain au milieu. de l'appartement. Mal accueilli par la pauvre malade, il prend le fusil du mari, sort à la porte, le décharge en plein air, le retourne à sa place et disparaît. Le fusil ensorcelé n'a jamais pu fonctionner depuis, il a fallu le briser en morceaux et en vendre les débris. Le maître du fusil, âgé, à l'heure qu'il est, de 86 ans, disait à son curé, en lui racontant cette histoire : < Mon bon Monsieur le Curé, j'aime bien le bon Dieu, et je dis tous les jours mon chapelet pour le salut de mon âme, mais s'il est défendu de croire aux sorciers, je n'irai jamais dans le paradis. Voilà le peuple.

Saint-Benoît-sur-Mer.

Saint-Benoît a conservé de l'époque celtique une large table en granit; c'était un dolmen. Aujourd'hui qu'elle repose sur le sol, on la nomme la pierre couchée ou le palet de Gargantua (1). Les menhirs du moulin de Bel-Air d'Avrillé servaient de minches (de but) au géant, si on en croit la chronique de village que nous avons citée l'année dernière. Cette pierre a 5 mètres 20 de longueur, 1 mètre 80 de largeur et une épaisseur de 75 centimètres.

On montrait, jusqu'à ces dernières années, à la Bergerie (2), un énorme caillou, que l'on a détruit pour le pavage de la route; il en existe un autre à la Maratte (3). Ils portaient tous les deux le nom de cailloux de Gargantua.

(1) Section A, no 621 de la commune.

(2) Section B, no 46.

(3) Section B, no 300.

Le fiet de la Pierre paraît avoir tiré son nom d'une pierre antique qui n'existe plus (1). On trouve proche Lieu-Dieu la Grande et la Petite-Garne (2).

Nous avons dit précédemment que le souvenir de Gargantua qui est si vivant dans notre pays, pouvait rappeler celui des druides. On sait que Merlin, le plus illustre des enchanteurs, composa, avec un os de baleine et une fiole de sang, la poudre d'où furent formés Grand-Gosier et Gargamelle, père et mère de Gargantua (3). Or, Merlin, dit la légende, naquit d'une druidesse issue d'un roi breton et d'un démon. L'ile dans laquelle quelques-uns le font naître, n'est pas très-éloignée de l'embouchure de la Loire. M. François Piet et M. Edouard Richer, prétendent que cette île est l'île de Noirmoutier (5).

Le Palet de Gargantua était autrefois le but d'un pèlerinage superstitieux. Au printemps, le peuple allait déposer sur la pierre une poignée de trèfle pour se préserver du cheval malet (5), cheval blanc que les gens trouvent la nuit, sellé et bridé sur leur route et qui les sollicite de monter sur son dos, pour les jeter dans les précipices et surtout dans les fontaines. Un coureur de cabarets et de veillées, rencontre, un soir, le complaisant animal qui fléchit le genou pour lui donner la facilité de se bien placer en selle; mais à peine a-t-il saisi les rênes, qu'il se sent emporté avec une rapidité effrayante à travers plaines, collines, ruisseaux et broussailles; vingt fois le coursier cherche à le désarçonner, vingt fois il résiste aux efforts de son indomptable adversaire; force fut au cheval malet de ramener, au lieu où il l'avait pris, le villageois qui ruisselait,

(1) Section B, no 363 de la commune.

(2) Section B, no 27.

(3) Voir le vieux conte populaire conservé à la bibliothèque bleue et que Rabelais n'a pas toujours suivi.

(4) Recherches sur l'île de Noirmoutier, par F. Piet, p. 414.

(5) Ce cheval est connu en Normandie, comme dans le Poitou. Voir la légende du moine de Saire (Manche).- Magasin catholique, janvier 1857, p. 27.

il est vrai, de sueur, de poussière et de sang, mais qui était demeuré vainqueur. Il devait son salut à la médaille de SaintBenoit, dite croix des sorciers, qu'il portait à son cou. Comme cette médaille figurera de temps en temps dans nos légendes, nous en donnons ici la description.

Au droit, croix grecque, aux angles de laquelle on lit les quatre lettres C. S. P. B., qui signifient Crux sancti patris Benedicti; dans le champ les cinq lettres C. S. S. M. L., qui veulent dire Crux sancta sit mihi lux, et dans les croisillons les cinq autres N. D. S. M. D., Non Dæmon sit mihi Dux ; Au revers, le monogramme du Christ (Jehesus), et, au-dessous, les trois clous de la Passion; autour sont les lettres V. R. S. N. S. M. V. S. V. Q. L. I. V. B., que l'on traduit par ces vers léonins :

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On dit que le cheval malet se présente quelquefois au voyageur, n'ayant ni queue, ni tête, ce qui ne l'empêche pas de partir au galop, quand il le sent monté sur son dos.

C'est un cheval de cette espèce qui porte la Guilla-neu, si on en croit les habitants de Saint-Benoit, c'est-à-dire la nouvelle année. Aussi, les jeunes gens aimaient-ils autrefois à chanter à la porte de chaque maison, la nuit qui précède le premier de l'an:

La Guilla-neu, e l'est dans la méson,

Y la voyons par la fenaitre,

Manté sus in chevale bllonc,
Qui n'a ni quoue, ni taite;
Qu'a les quat' patt' ferré'à neu;
Donnez-nous va, la guilla-neu.

Cet usage de courir la guilla-neu, qui est européen, se rattache, si on en croit M. Amédée Thierry, à la cérémonie du

gui de chêne que le chef des druides coupait avec une faucille d'or au renouvellement de l'année (1).

Si les marais de Saint-Benoit fournissent d'excellents chevaux pour l'agriculture et pour l'armée, c'est qu'ils sont souvent fréquentés, la nuit, par les Dames Blanches. Ces fées tiennent des chandelles de cire allumées dont elles font tomber des gouttes sur le toupet et le crin des chevaux, qu'elles peignent et qu'elles tressent ensuite fort proprement. Quelquefois même elles pénètrent dans les écuries, où elles accomplissent le même devoir.

Les dames blanches ou miloraines sont d'origine germanique. Ce sont les anciennes prêtresses qui exerçaient sur la nation. une autorité théocratique. Les noms d'Aurinia, fille de Sido, prince des Markomans, au 11° siècle; de Villeda, de Gauna, de Fréjà ont passé à la postérité. Les Celtes avaient aussi leurs druidesses vêtues de blanc.

Les fées et les fradets ent joué également un grand rôle à Saint-Benoit. Ils habitaient les vastes souterrains-refuges audessus desquels s'élève le bourg, et dont il est facile encore de constater l'existence. Voici quelques-unes des histoires qui se racontent dans les soirées d'hiver.

Une nuit, une fée emporte, dans la casse près de laquelle a été planté le calvaire, un enfant à la mamelle, qu'elle avait dérobé dans une maison voisine; elle l'avait remplacé, dans son berceau, par un petit fradet. La mère voyant que ce fradet ne profitait point, et se doutant du tour qui lui avait été joué, va consulter le prieur, qui était le grand désensorceleur du pays; celui-ci lui ordonne d'allumer, le soir, sur l'âtre du foyer, trois cents lampions. Cet expédient lui réussit à merveille; en effet, le fradet, en voyant ces flambeaux, parle pour la première fois et se fait connaître en disant :

(1) Histoire des Gaulois, t. I, p. 490. D'autres ne voient dans la Guilla-neu qu'une corruption des trois mots latins illo anno novo, ce qui semble plus rationel.

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