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DOCUMENTS ANCIENS ET INÉDITS

SUR LE BAS-POITOU.

Pendant mon séjour à Paris, à l'occasion du Concours ouvert par Son Excellence M. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes entre les Sociétés savantes des départements, je fus à même de feuilleter un ou deux volumes de la collection manuscrite qui a été conservée de la correspondance adressée à Jean-Baptiste Colbert, durant son administration. Cette correspondance forme plus de 60 volumes in-folio, où les autographes sont fixés dans la pagination. Je n'ai pu feuilleter qu'un volume par séance de quatre à cinq heures, et je n'ai pu y donner que deux de ces séances. De véritables trésors sont promis à ceux qui pourront y consacrer quelques loisirs de leurs passages à Paris. Chaque province y trouve un intérêt égal. C'est aux enfants de chacune d'elles à y recueillir la part qui lui revient.

J'y ai pris copie de trois lettres fort curieuses pour notre littoral vendéen. Toutes trois sont adressées à Colbert: la première, datée du 21 février 1658, est signée Colbert de Terron. Charles Colbert du Terron, selon Moréri, seigneur de Terron, comme écrit Anselme, est le chef de tous les

Colbert sortis de la même tige. Il fut intendant de la marine, et mourut le 9 avril 1684. Charles Colbert de Terron n'avait laissé que quatre filles, et la branche ainée de la famille Colbert s'éteignit dès le commencement du xvIIe siècle.

Dans la première lettre, datée de Saint-Hilaire-de-Riez, il s'agit des troubles de la Fronde, importée dans le pays par la famille de Gondi. Cependant, les mémoires du Cardinal de Retz nous apprennent que la famille du turbulent prélat partageait médiocrement son animosité et qu'il en fut très-froidement accueilli en 1654, lorsque, avec son épaule fracturée ou luxée par suite de l'évasion du château de Nantes, il vint à Machecoul demander un asile à son cousin germain Pierre de Gondi, seigneur et duc du lieu. Le Marais a donc eu aussi sa Fronde, et il s'est mutiné contre l'impôt au point qu'il fallut songer à le brider par une forteresse. Il y a lieu de croire que ce projet n'a pas eu de suite, car je ne connais aucune trace de la fortification qui aurait pu être élevée en telle circonstance.

Les deux autres lettres sont écrites par Claude Pellot, qui fut intendant des Généralités de Poitiers et de Limoges, de 1665 à 1669.

A ces documents curieux nous sommes heureux de pouvoir en ajouter deux, provenant d'autres sources: l'un est la Charte de consécration de l'église de Sallertaine, extraite des archives de la préfecture de la Vendée, et l'autre, une lettre de Henri IV à un receveur de Beauvoir-sur-Mer. Nous devons la première de ces pièces à l'obligeance de M. Filaudeau, archiviste de la Vendée, et la deuxième à l'amitié de M. le Prince Augustin Galitzin, qui en a fait la copie à notre intention sur l'original conservé à la bibliothèque Mazarine.

CH. MOURAIN DE SOURDEVAL.

I.

Lettres à Colbert.

1.

De Saint-Hilaire-de-Riez, le 21 février 1658.

En arrivant dans ce pays-ci, nous avons trouvé toutes les paroisses du Marest soubs les armes et toutes les entrées fermées par des barricades gardées par les habitants. Enfin la présence des troupes et la crainte d'en voir encore en plus grand nombre a dissipé tous ces porteurs de fusilz; de sorte que hier nous entrâmes sans coup férir dans cette paroisse et nous avons appris que tous les passages pour aller dans les autres étaient libres, hormis celle du Perrier, dont toutes les avenues sont couvertes d'eau et tout-à-fait inondées. La plus grande partie des habitants se sont retirés à Saint-Gilles à cause de la protection de Mr le Surintendant qui a grand esclat dans les îles et dans le Perrier. Mais comme nous ne sommes pas ici pour un jour et que les bestiaux n'ont pu être emmenés, à cause des fourrages, je crois que tout le monde reviendra à la maison et que nous tirerons de l'argent.

Les régiments de l'infanterie de Poitou et Guyenne ne sont pas encore arrivés; aussitôt qu'ils le seront, je ferai partir les recrues de la....... Je suis obligé d'attendre l'arrivée de ces régiments, n'y ayant nulle apparence que nous puissions demeurer ici avec les 150 hommes détachés des garnisons; au moins ce serait fort compromettre la sureté que l'on doit chercher en ces occasions-là: on doit croire que ces régiments ne tarderont guère à venir.

Le régiment de cavalerie de Morin est dans la Garnache ; je lui ai donné des assignations pour la moitié de la solde sur diverses paroisses voisines, qui ne payent guère de taille. Je crois qu'il commence à toucher de l'argent.

J'ai eu une petite contestation avec M. le duc de Retz pour les Marches de la Garnache, lesquelles ne payent jamais leur taille et prétendent n'en point devoir, quoiqu'il soit dit par les commissions qu'elles payeront une certaine somme faisant partie de celle à laquelle toute la paroisse est imposée. Mr de Retz prit l'affaire avec un peu de hauteur, ainsi que vous le verrez par la lettre qu'il écrivit à Mr de Launay. Je crois que Mr de Launay ayant l'autorité du Roi et les troupes entre les mains, ne doit pas mollir sous l'apparence de l'autorité d'un particulier. Ainsi, sur un bon fondement de justice et de raison, je parlai un peu fermement au gentilhomme que ce duc avait envoyé. Le lendemain il m'écrivit et renvoya le même gentilhomme avec un avocat pour contester de raison avec moi. Je convainquis cet avocat en présence de tout le peuple, de sorte que ces Marches s'engagèrent à payer 1,600 1., pour deux années de leur taille; et comme le temps qu'on leur donna pour le payement a été un peu court, je ne doute point que l'argent n'ait été donné.

Le gentilhomme de Mr de Retz étant entré en conversation avec Mr de Launay, il lui dit que Mr le Cardinal (1) pressait si fort la maison de Retz de tous côtés, qu'il lui était impossible de le souffrir davantage. Ce gentilhomme me parut être sage et fort modéré, aussi je crois bien qu'il ne me dit pas tout ce que son maître l'avait pu charger de dire.

Je vous remarque toutes ces petites particularités, parce que je crois bien que tout ce qui vient de cette part-là doit intéresser.

(1) Mazarin.

Je suis fort satisfait de Mr de Launay; il est fort désintéressé et s'applique autant qu'il peut à faire réussir l'affaire dont il est chargé.

Nous ne voyons pas de poste où l'on puisse faire un fort de l'importance du château de Beauvoir, et je ne vois pas que l'on puisse jamais porter ces paroisses à payer leur taille régulièrement sans une application continue. Aussi, si l'on ne prend la résolution de se servir de ce château, il faudra élever de la terre et faire quelque retraite pour cent hommes. Il n'y a personne à présent dans le château de Beauvoir, ainsi, il ne faut pas craindre la résistance qu'il pourrait faire. Mr le cardinal de Richelieu fit prendre le château des Sables au marquis de Royan (1) et y mit un nommé Chéverry (2) pour commandant, pour des raisons bien moins imposantes que celles que l'on a pour celui-ci. Ce serait un poste fort commode pour obtenir Machecoul, et pour tenir toute la côte de Poitou en sujétion et assurément elle en a besoin (3).

COLBERT DE TERRON.

(1) Philippe de la Trémoille, marquis de Royan, comte d'Olonne, sénéchal de Poitou, né en 1596, mort en 1670.

(2) Une famille de ce nom habitait la paroisse de Commequiers. François de Chéverry, capitaine au régiment du Dauphin, décéda à Charleroi par suite des blessures qu'il avait reçues quelques jours auparavant à la bataille de Sénef; mention en est faite au registre de Commequiers.

(3) Le château de Beauvoir appartenait au duc de Retz, comme seigneur de la Garnache et Beauvoir. L'auteur de la lettre fait observer qu'il n'est pas occupé par une garnison du seigneur et cite le précédent du cardinal de Richelieu à l'égard de la Chaume, pour insinuer qu'il serait convenable de s'en emparer, ce qui en effet pouvait économiser les frais d'un fort à construire.- Ce château a été démoli en 1698.

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