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Tu vas fonder le trône où le destin t'appelle;
Et moi je te déclare une guerre immortelle !
Mon peuple héritera de ma haine pour toi:
Le tien doit hériter de ton horreur pour moi.
Que ces peuples rivaux, sur la terre et sur l'onde,
De leurs divisions épouvantent le monde!

Que pour mieux se détruire ils franchissent les mers;
Qu'ils ne puissent ensemble habiter l'univers ;
Qu'une égale fureur sans cesse les dévore ;
Qu'après s'être assouvie elle renaisse encore;
Qu'ils violent entre eux et la foi des traités,
Et les droits les plus saints et les plus respectés!
Qu'excités par mes cris, les enfans de Carthage,
Jurent dès le berceau de venger mon outrage;
Et puissent en mourant mes derniers successeurs
Sur tes derniers neveux être encor mes vengeurs !

Ma honte et mon amour remplissent l'univers,
J'en rougis. Il est temps que ma douleur finisse !
Il est temps que je fasse un entier sacrifice,
Que je brise à jamais de funestes liens !
Le ciel en ce moment m'en ouvre les moyens.
Témoins des vœux cruels qu'arrachent à mon âme
La fuite d'un parjure et l'excès de ma flamme,
Contre lui, justes Dieux! ne les exaucez pas !
Mourons....à cet ingrat pardonnez mon trépas!

(Elle se frappe.)

Vous voyez ce que peut une aveugle faiblesse ?
Mes malheurs ne pouvaient finir que par ma mort.
Que n'ai-je su, grands Dieux! maîtresse de mon sort,
Garder jusqu'au tombeau cette paix innocente
Qui fait les vrais plaisirs d'une âme indifférente!
J'en ai goûté long-temps les tranquilles douceurs......
Mais je sens du trépas les dernières langueurs....
Et toi, dont j'ai troublé la haute destinée,
Toi qui ne m'entends plus, adieu, mon clter Enée....
Ne crains point ma colère....elle expire avec moi...
Et mes derniers soupirs sont encore pour toi.

Lefranc de Pompignan. Didon, tragédie,

scène dernière.

Désespoir d'Hermione, et ses reproches, ses plaintes, ses prières, ses menaces à Pyrrhus.

JE ne t'ai point aimé, cruel! qu'ai-je donc fait ? J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes; Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces;

J'y suis encor, malgré tes infidélités,

Et malgré tous mes Grecs, honteux de mes bontés :
Je leur ai commandé de cacher mon injure;
J'attendais en secret le retour d'un parjure;
J'ai cru que tôt ou tard; à ton devoir rendu,
Tu me rapporterais un cœur qui m'était dû.
Je t'aimais inconstant ; qu'aurai-je fait fidèle ?
Et même, en ce moment, où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.
Mais, seigneur, s'il le faut, si le ciel en colère
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y consens; mais du moins,
Ne forcez pas ines yeux d'en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être;
Différez-le d'un jour, demain vous serez maître.....
Vous ne répondez point? Perfide! je le voi,
Tu comptes les moinens que tu perds avec moi.
Ton cœur, impatient de revoir ta troyenne,
Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne;
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux :
Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée ;
Va profaner des Dieux la majesté sacrée.
Ces Dieux, ces justes Dieux, n'auront pas oublié
Que les mêmes sermens avec moi t'ont lié.

Porte au pied des autels ce cœur qui m'abandonne :
Va, cours; mais crains encor d'y trouver Hermione.

Racine. Andromaque, acte IV, scène V.

Electre repousse avec horreur la proposition qu'ose lui faire Clytemnestre de donner sa main au fils d'Egisthe.

A quel oubli, grands Dieux, ose-t-on m'inviter?
Quel horrible avenir m'ose-t-on présenter?

O sort! ô derniers coups tombés sur ma fainille!
Songez-vous au héros dont Electre est la fille,
Madame? osez-vous bien, par un crime nouveau,
Abandonner Electre au fils de son bourreau ?

Le sang d'Agamemnon! qui? moi ? la sœur d'Oreste,
Electre au fils d'Egisthe, au neveu de Thyeste!
Ah! rendez-moi mes fers; rendez-moi tout l'affront
Dont la main des tyrans a fait rougir mon frout;
Rendez-moi les horreurs de cette servitude,
Dont j'ai fait une épreuve et si longue et si rude,
L'opprobre est mon partage; il convient à mou sort.
J'ai supporté la honte, et vu de près la mort.

Votre Egisthe cent fois m'en avait menacée,
Mais enfin c'est par vous qu'elle m'est annoncée,
Cette mort à mes sens inspire moins d'effroi
Que les horribles vœux qu'on exige de moi.
Allez; de cet affront je vois trop bien la cause,
Je vois quels nouveaux fers un lâche me propose.
Vous n'avez plus de fils; son assassin cruel
Craint les droits de ses sœurs au trône paternel:
Il veut forcer mes mains à seconder sa rage:
Assurer à Plistène un sanglant héritage ;
Joindre un droit légitime aux droits des assassins;
Et m'unir aux forfais par les næends les plus saints.
Ab! si j'ai quelques droits, s'il est vrai qu'il les craigne,
Dans ce sang malheureux que sa main les éteigne:
Qu'il achève, à vos yeux, de déchirer mon sein:
Et, si ce n'est assez, prêtez-lui votre main,

Frappez; joignez Electre à son malheureux frère ;
Frappez, dis-je; à vos coups je connaîtrai ma mère.

Voltaire. Oreste, acte II, scène V.

Achille, à qui Agamemnon rappelle l'Oracle qui menace sa tête, brave son sort, et préfère la Gloire

à la Vie.

MOI, je m'arrêterais à de vaines menaces!
Et je fuirais l'honneur qui m'attend sur vos traces!
Les Parques à ma mère, il est vrai, l'ont prédit
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans son lit:
Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup d'ans sans gloire,
Ou peu de jours suivis d'une longue mémoire.
Mais, puisqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrais-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d'un sang reçu d'une déesse,
Attendre chez mon père une obscure vieillesse,
Et, toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?
Ah! ne nous formons point ces indignes obstacles:
L'honneur parle, il suffit; ce sont-là nos oracles.
Les Dieux sont de nos jours les maîtres souverains;
Mais, seigneur, notre gloire est dans nos propres mains.
Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres suprêmes?

Ne songeons qu'à nous rendre immortels comme eux-mêmes;
Et, laissant faire au sort, conrons où la valeur

Nous promet un destin aussi grand que le leur.

C'est à Troie, et j'y cours; et, quoi qu'on me prédise,
Je ne demande aux Dieux qu'un vent qui m'y conduise;
Et quand moi seul enfin il faudrait l'assiéger,

Patrocle et moi, seigneur, nous irons vous venger.

Racine. Iphigénie, acte I, scène II.

Ulysse emploie tout l'art de son Eloquence, pour déterminer Agamemnon à sacrifier le sang de sa fille à la Gloire de la Grèce.

DE ce soupir que faut-il que j'angure?

Du sang qui se révolte est-ce quelque murmure?
Croirai-je qu'une nuit a pu vous ébranler ?
Est-ce donc votre cœur qui vient de nous parler?
Songez-y, vous devez votre fille à la Grèce :
Vous nous l'avez promise; et, sur cette promesse,
Calchas, par tous les Grecs consulté chaque jour,
Leur a prédit des vents l'infaillible retour.
A ses prédictions si l'effet est contraire,
Pensez-vous que Calchas continue à se taire ?
Que ses plaintes, qu'en vain vous voudrez apaiser,
Laissent mentir les Dieux sans vous en accuser?
Et qui sait ce qu'aux Grecs, frustrés de leur victime,
Peut permettre un coutroux qu'il croiront légitime?
Gardez-vous de réduire un peuple furieux,
Seigneur, à prononcer entre vous et les Dieux.
N'est-ce pas vous enfin de qui la voix pressante
Nous a tous appelés aux campagnes du Xante,
Et, qui de ville en ville attestiez les sermens
Que d'Hélène autrefois firent tous les amans,
Quand presque tous les Grecs, rivaux de votre frère,
La demandaient en foule à Tyndare son père?
De quelque heureux époux que l'on dût faire choix,
Nous jurâmes dès-lors de défendre ses droits;
Et si quelque insolent Ini volait sa conquête,
Nos mains du ravisseur lui promirent la tête.
Mais sans vous, ce serment que l'amour a dicté,
Libres de cet amour, l'aurions-nous respecté ?
Vous sen!, nous arrachant à de nouvelles flammes,
Nous avez fait laisser nos enfans et nos femmes.
Et quand, de toutes parts assemblés en ces lieux,
L'honneur de vous venger brille seul à nos yeux ;
Quand la Grèce, déjà vous donnant son suffrage,
Vous reconnaît l'auteur de ce fameux ouvrage;
Que ses Rois, qui pouvaient vous disputer ce rang,
Sont prêts pour vous servir, de verser tout leur sang :
Le seul Agamemnon, refusant la victoire,
N'ose d'un peu de sang acheter tant de gloire,
Et, dès le premier pas se laissant effrayer,
Ne commande les Grecs que pour les renvoyer?
Je suis père, seigneur, et faible comine un autre :
Mon cœur se met sans peine en la place dú vôtre;
Et, frémissant du coup qui vous fait soupirer,
Loin de blâmer vos pleurs, je suis près de pleurer.
Mais votre amour n'a plus d'exense légitime.
Les Dieux ont à Calchas amené leur victime:

I le sait, il l'attend; et s'il la voit tarder,
Lui-même à haute voix viendra la demander.
Nous sommes seuls encor: hâtez-vous de répandre
Des pleurs que vous arrache un intérêt si tendre.
Pleurez ce sang, pleurez. Ou plutôt sans pâlir,
Considérez l'honneur qui doit en rejaillir.

Voyez tout l'Hellespont blanchissant sous nos rames,
Et la pertide Troie abandonnée aux flammes ;
Ses peuples dans vos fers, Priam à vos genoux,
Hélène par vos mains rendue à son époux :
Voyez de vos vaisseaux les poupes couronnées,
Dans cette même Aulide avec vous retournées ;
Et ce triomphe heureux, qui s'en va devenir
L'éternel entretien des siècles à venir.

Racine. Iphigénie, acte 1. scènes III. et V.`

Thésée reproche à Hippolyte le Crime dont Phèdre l'accuse.

PERFIDE! oses-tu bien te montrer devant moi ?
Monstre qu'a trop long-temps épargné le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j'ai purgé la terre.
Après que le transport d'un amour plein d'horreur
Jusqu'au lit de ton père a porté ta fureur,
Tu m'oses présenter une tête ennemie !
Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie,
Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
Des pays où mon nom ne soit point parvenu !
Fuis, traitre! ne viens point braver ici ma haine,
Et tenter un courroux que je retiens à peine :
C'est bien assez pour moi de l'opprobre éternel
D'avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,
De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.
Fuis. El, si tu ne veux qu'un châtiment soudain
T'ajoute aux scélérats qu'a punis cette main,
Prends garde que jamais l'astre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
Fuis, dis-je; et, sans retour précipitant tes pas,
De ton horrible aspect purge tous mes états.

Et toi, Neptune, et toi, si jadis non courage
D'infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que, pour prix de mes efforts heureux,
Tu promis d'exancer le premier de mes vœux.
Dans les longues rigueurs d'une prison cruelle,
Je n'ai point imploré ta puissance immortelle :
Avare du secours que j'attends de tes soins,

Mes vœux t'ont réservé pour de plus grands besoins.

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