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doit être, et l'est sans faste comme sans effort. En cela, il fut encore loin de Marc-Aurèle. Son extérieur était simple, son caractère ne l'était pas. Ses discours, ses actions avaient de l'appareil, et semblaient avertir qu'il était grand. Suivez-le la passion pour la gloire perce partout. Il lui faut un théâtre et des battemens de mains: Il s'indigne quand on les refuse. Il se venge, il est vrai, plus en homme d'esprit qu'en Prince irrité qui commandait à cent mille hommes; mais il se venge. Il court à la renommée, il l'appelle; il flatte pour être flatté. Il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre.

Thomas. Essai sur les Eloges.

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où tous les sentimens naturels étaient éteints, l'ami repoussa son ami, la mère son enfant, l'époux son épouse. Tout fut englouti dans les eaux : cités, palais, majestueuses pyramides, arcs detriomphe chargés des trophées des Rois; et vous aussi, qui auriez dû survivre à la ruine même du monde, paisibles grottes, tranquilles bocages, humbles cabanes, asyles de l'innocence! Il ne resta sur la terre aucune trace de la gloire ou du bonheur des mortels, dans ces jours de vengeance où la nature détruisit ses propres monu

mens.

Bernardin de Saint-Pierre. Etudes de la Nature.

Bataille de Rocroi.

A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant Capitaine, le Duc d'Enghien reposa le dernier; mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour, et, dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain, à l'heure marquée, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi vaincus, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelans ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattans; trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maî

tresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés ; le Prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier; mais la victoire va devenir plus terrible pour le Duc d'Enghien que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge inet les nôtres en furie. On ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que ce grand Prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes, et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les bras du vainqueur ! De quels yeux regardèrent-ils le jeune Prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore, volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! Mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le Prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régimens à la journée de Rocroi, en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le Prince fléchit le genou; et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées, la gloire qu'il lui envoyait. Là, on célébra Rocroi délivrée, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la Régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. L'armée commença l'action de grâces; toute la France suivit on y vait jusqu'au ciel le coup d'essai du Duc d'Enghien. C'en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne; mais pour lui c'est le premier pas de sa Bossuet. Oraisons funèbres.

course.

éle

Combat et triomphe de Duguay-Trouin. Duguay-Trouin s'avance, la victoire le suit. La ruse et l'audace, l'impétuosité de l'attaque et l'habileté de la manœuvre l'ont rendu maître du vaisseau commandant. Cependant, l'on combat de tous côtés ; sur une vaste étendue de mer règne le carnage. On se mêle les proues heurtent contre les proues ; les manœuvres sont entrelacées dans les manœuvres ; les foudres se choquent et retentissent. Duguay-Trouin observe d'un œil tranquille la face du combat, pour porter des secours, réparer des défaites, ou achever des victoires. Il aperçoit un vaisseau armé de cent canons défendu par une armée entière. C'est là qu'il porte ses coups; il préfère à un triomphe facile l'honneur d'un combat dangereux. Deux fois il ose l'aborder, deux fois l'incendie qui s'allume dans le vaisseau ennemi l'oblige de s'écarter. Le Devonshire, semblable à un volcan allumé, tandis qu'il est consumé au dedans, vomit au-dehors des feux encore plus terribles. Les Anglais, d'une main lancent des flammes, de l'autre tâchent d'éteindre celles qui les environnent. Duguay-Trouin n'eût désiré les vaincre que pour les sauver. Ce fut un horrible spectacle pour un cœur tel que le sien, de voir ce vaisseau immense brûlé en pleine mer, la lueur de l'embrasement réfléchie au loin sur les flots, tant d'infortunés erraus en furieux, ou palpitans immobiles au milieu des flammes, s'embrassant les uns les autres, ou se déchirant eux-mêmes, levant vers le ciel des bras consumés, ou précipitant leurs corps fumans dans la mer; d'entendre le bruit de l'incendie, les hurlemens des mourans, les vœux de la religion mêlés aux cris du désespoir et aux imprécations de la rage, jusqu'au moment terrible où le vaisseau s'enfonce, l'abîme se referme, et tout disparaît. Puisse le génie de l'humanité mettre souvent de pareils tableaux devant les yeux des Rois qui ordonnent les guerres ! Cependant Duguay-Trouin poursuit la flotte épouvantée. Tout fuit, tout se disperse! La mer est couverte de débris ; nos ports se remplissent de dépouilles ; et tel fut l'événement de ce combat, qu'aucun des vaisseaux qui portaient du secours

s;

ne passa chez les ennemis. Les fruits de la bataille d'Almanza furent assurés ; l'Archiduc vit échouer ses espérances, et Philippe V put se flatter que son trône serait un jour affermi.

Thomas. Eloge de Duguay-Trouin.

Duguay-Trouin enveloppé avec un seul bâtiment, par vingt-un vaisseaux de guerre ennemis, leur échappe.

Duguay-Trouin va être exposé à un des plus grands périls où se soit jamais trouvé un homme de mer. Vingt-un vaisseaux de guerre fondent sur lui, l'attaquent et l'environnent. Déjà il en a mis un hors de combat; mais de quoi lui sert ce triomphe? Ses ennemis peuvent renaître vingt fois pour l'accabler. Tout à coup le vent tombe, le combat cesse, la nuit vient. Le héros, entouré de toutes parts, ne peut échapper; enfin les Anglais tiennent enfermé cet homme terrible, qui tant de fois porta le carnage dans leurs vaisseaux. Cependant son âme n'est point abattue il veut du moins dans sa défaite, entraîner une partie de ses vainqueurs. Dès que le jour paraîtra, il doit se jeter avec ses troupes dans le plus redoutable des vaisseaux ennemis. Il a inspiré à tous ses officiers ce courage de désespoir, qui est le dernier sentiment d'une âme magnanime. Le sommeil ne peut suspendre ses inquiétudes. Pendant la nuit, il laisse tristement errer ses regards sur ses ennemis, sur la mer, sur ce ciel où bientôt va reparaître le jour qui sera témoin de son désastre. Tout à coup il aperçoit à l'horizon le présage d'un vent prêt à s'élever. Il donne des ordres, on obéit en silence; toutes ses voiles sont tendues; le vent s'élève, et son vaisseau s'échappe rapidement à travers les Anglais étonnés. Le même. ibid.

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