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Il avait, ainsi que Périclès, contracté cette habitude, d'après l'exemple d'Anaxagore leur maître. Les facéties l'indignaient. Je hais, dit-il dans une de ses pièces, ces hommes inutiles, qui n'ont d'autre mérite que de s'égayer aux dépens des sages qui les méprisent. Il faisait surtout allusion à la licence des auteurs de comédies, qui, de leur côté, cherchaient à décrier ses mœurs, comme ils décriaient celles des philosophes. Pour toute réponse, il eût suffi d'observer qu'Euripide était l'ami de Socrate, qui n'assistait guère aux spectacles que lorsqu'on donnait les pièces de ce poète.

Il mourut âgé d'environ 76 ans. Les Athéniens envoyèrent des députés en Macédoine, pour obtenir que son corps fût transporté à Athènes. Mais Archélaûs, qui avait déjà donné des marques publiques de sa douleur, rejeta leurs prières, et regarda comme un honneur pour ses Etats, de conserver les restes d'un grand homme; il lui fit élever un tombeau magnifique, près de la capitale, sur le bord d'un ruisseau dont l'eau est si excellente, qu'elle invite le voyageur à s'arrêter, et à contempler en conséquence le monument exposé à ses yeux. En même temps les Athéniens lui dressèrent un cénotaphe sur le chemin qui conduit de la ville au Pirée. Ils prononçaient son nom avec respect, quelquefois avec transport. A Salamine, lieu de sa naissance, on s'empressait de conduire les étrangers à une grotte où l'on prétendait qu'il avait composé la plupart de ses pièces; comme au bourg de Colone, les habitans montraient la maison où Sophocle avait passé une partie de sa vie. Malgré les préventions et la haine d'Aristophane contre Euripide, sa décision, en assignant le premier rang à Eschyle, le second à Sophocle, et le troisième à Euripide, était alors conforme à l'opinion de la plupart des Athéniens. Le même.

Platon.

On peut dire que Socrate ne put avoir un panégyriste plus célèbre, ni plus digne de lui. On a sou

vent attaqué Platon comme philosophe; on l'a toujours admiré comme écrivain. En se servant de la plus belle langue de l'univers, Platon ajouta encore à sa beauté. Il semble qu'il eût contemplé et vu de près cette beauté éternelle dont il parle sans cesse, et que par une méditation profonde il l'eût transportée dans ses écrits. Elle anime ses images, elle préside à son harmonie, elle répand la vie et une grâce sublime sur les sons qui représentent ses idées. Souvent elle donne à son style ce caractère céleste que les artistes Grecs donnaient à leurs divinités. Comme l'Apollon du Vatican, comme le Jupiter Olympien de Phidias, son expression est grande et calme; son élévation parait tranquille comme celle des Cieux. On dirait qu'il en a le langage. Son style ne s'élance point, ne s'arrête point; ses idées s'enchaînent aux idées, les mots qui composent les phrases, les phrases qui composent le discours, tout s'attire et se déploie ensemble; tout se développe avec rapidité et avec mesure, comme une armée bien ordonnée qui n'est ni tumultueuse, ni lente, et dont les soldats se meuvent d'un pas égal et harmonieux pour avancer au même but. Thomas. Essai sur les Eloges.

Xénophon.

Ce philosophe avait été, comme Platon, le disciple et l'ami de Socrate; mais l'un se contenta d'éclairer les hommes, et l'autre voulut encore les servir. Il fut à la fois écrivain et homme d'Etat. On sait qu'il commanda les Grecs dans la retraite des Dix-Mille; mais on ne sait pas également que, pour récompense, il fut exilé de son pays. Son caractère avait cette espèce de physionomie antique que nous ne connaissons plus. C'est lui à qui on vint annoncer, au milieu d'un sacrifice, que son fils venait de mourir.

avait une couronne de fleurs sur la tête, et il l'ôta. On lui dit qu'il était mort dans une bataille en combattant avec courage; il remit la couronne sur sa tête, et continua d'offrir de l'encens aux Dieux. Tour à

tour guerrier et philosophe, il écrivit dans son exil plusieurs ouvrages de politique, de morale et d'histoire. Celui qui avait dans l'âme toute la vigueur d'un Spartiate, eut dans l'esprit toutes les grâces d'un Athénien.

Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages, et qu'on définit si peu; ce charme qui est nécessaire à l'écrivain comme au statuaire et au peintre, qu'Homère et Anacréon eurent parmi les poètes Grecs, Apelles et Praxitèle parmi les artistes; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu'on ne trouva presque point ailleurs; que l'Arioste posséda peut-être plus que le Tasse; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grâce que la beauté); dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénélon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se refusent peut-être, parce qu'ils ne peuvent nous donner ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre; enfin cette grâce, ce don si rare, et qu'on ne sent même qu'avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon. meme. ibid.

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Isocrate. UNIVERSITY

Cet orateur eut la plus grande réputation dans son siècle. Il était digne d'avoir des talens, car il eut des vertus. Très-jeune encore, comme les trente oppresseurs qui régnaient dans sa patrie faisaient traîner au supplice un citoyen vertueux, il osa seul paraître pour le défendre, et donna l'exemple du courage quand tout donnait l'exemple de l'avilissement. Après la mort de Socrate, dont il avait été le disciple, il osa paraître en deuil dans Athènes, aux yeux de ce même

A

peuple assassin de son maître ; et des hommes qui parlaient de vertus et de lois en les outrageant, ne manquèrent pas de le nommer séditieux lorsqu'il n'était que sensible. Ayant perdu des biens considérables, il ouvrit une école, et acquit des richesses immenses. Le fils d'un Roi lui paya soixante mille écus un discours, où il prouvait très-bien qu'il faut obéir au Prince. Mais bientôt après il en composa un autre, où il prouvait au Prince qu'il devait faire le bonheur des sujets. Plusieurs de ses disciples devinrent de grands hommes; et, comme partout le succès fait le mérite, leur gloire ajouta à la sienne. Il avait eu le malheur d'être l'ami de Philippe, de ce Philippe, le plus adroit des conquérans et le plus politique des Princes: aimé de l'oppresseur de son pays, il,s'en justifia en mourant; car il ne put survivre à la bataille de Chéronée : Voilà pour sa personne. l'égard de son éloquence, si nous en jugeons par la célébrité, il fut du nombre des hommes qui honorèrent leur patrie et la Grèce. Les calomnies de ses rivaux nous attestent sa gloire, car l'envie ne tourmente point ce qui est obscur. Nous savons qu'on venait l'entendre de tous les pays, et il compta parmi ses auditeurs des Généraux et des Rois. Aux hommages de la foule, qui flattent d'autant plus qu'ils tiennent toujours un peu de la superstition et de l'enthousiasme d'un culte, il joignit le suffrage de quelques-uns de ces hommes qu'on pourrait, au besoin, opposer à un peuple entier. On prétend que Démosthène l'admirait. Il fut loué par Socrate. Platon en a fait un magnifique éloge. Cicéron l'appelle le père de l'Eloquence. Quintilien le met au rang des grands écrivains. Denys d'Halicarnasse le vante comme orateur, philosophe et homme d'Etat. Enfin, après sa mort, on lui érigea deux statues, et sur son mausolée on éleva une colonne de quarante pieds, au haut de laquelle était placée une syrène, image et symbole de son éloquence. Il est difficile que, dans les plus beaux temps de la Grèce, on ait rendu ces honneurs à un homme médiocre.

Le même. ibid.

Démosthène.

Malgré la décision de Virgile, les gens de lettres n'ont point encore prononcé unanimement entre Cicéron et Démosthène : ces deux orateurs sont à peu près au même rang. Cicéron a une prééminence incontestable sur son rival en littérature et en philosophie, mais il ne lui a point arraché le sceptre de l'éloquence; il le regardait lui-même comme son maître, il le louait avec tout l'enthousiasme de la plus vive admiration. Il traduisait ses ouvrages; et si ces traductions étaient parvenues jusqu'à nous, il est probable que Cicéron se serait mis lui-même pour jamais au-dessous de Démosthène. C'est la force irrésistible du raisonnement, c'est l'entraînante rapidité des mouvemens oratoires qui caractérisent l'éloquence de l'orateur Athénien : il n'écrit que pour donner du nerf, de la chaleur et de la véhémence à ses pensées ; il parle, non comme un écrivain élégant, mais comme un homme passionné que la vérité tourmente, comme un citoyen menacé du plus grand des malheurs, et qui ne peut plus contenir les transports de son indignation contre les ennemis de sa patrie. C'est l'athlète de la raison; il la défend de toutes les forces de son génie, et la tribune où il parle devient une arène. Il subjugue à la fois ses auditeurs, ses adversaires, ses juges; il ne paraît point chercher à vous attendrir: écoutez-le cependant, et il vous fera pleurer par réflexion. Il accable ses concitoyens de reproches ; mais alors il n'est que l'interprète de leurs propres remords. Réfute-t-il un argument, il ne discute point, il propose une simple question pour toute réponse, et l'objection ne reparaîtra jamais. Veut-il soulever les Athéniens contre Philippe, ce n'est plus un orateur qui parle, c'est un Général, c'est un Roi, c'est un Prophète, c'est l'ange tutélaire de sa patrie; et quand il menace ses concitoyens de l'esclavage, on croit entendre retentir dans le lointain, de distance en distance, le bruit des chaînes que leur apporte le tyran.

Maury. Discours sur l'Eloquence.

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