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écrits à toute la liberté de l'enjouement; qui n'a ja mais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et qui obtint plus de renommée que de récompenses; homme d'une simplicité rare, qui sans doute ne pouvait pas ignorer son génie, mais ne l'appréciait pas ; et qui même, s'il pouvait être témoin des honneurs qu'on lui rend aujourd'hui, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révelât le secret de son mérite.

La Harpe. Eloge de La Fontaine.

Fontenelle.

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On sait que Fontenelle est le premier qui ait orné les sciences des grâces de l'imagination; mais, comme il le dit lui-même, il est très-difficile d'embellir ce qui ne doit l'être que jusqu'à un certain degré. Un tact très-fin, et pour lequel l'esprit ne suffit pas, a pu seul lui indiquer cette mesure. Fontenelle a sur-tout cette clarté qui, dans les sujets philosophiques, est la première des grâces. Son art de présenter les objets est pour l'esprit ce que le télescope est pour l'œil de l'observateur : il abrège les distances. L'homme peu instruit voit une surface d'idées qui l'intéresse ; l'homme savant découvre la profondeur cachée sous cette surface. Ainsi il donne des idées à l'un, et réveille les idées de l'autre. Pour la partie morale, Fontenelle a l'air d'un philosophe qui connaît les hommes, qui les observe, qui les craint, qui quelquefois les méprise, mais qui ne trahit son secret qu'à demi. Presque toujours il glisse à côté des préjugés, se tenant à la distance qu'il faut pour que les uns lui rendent justice, et que les autres ne lui en fassent pas un crime. Il ne compromet point la raison, ne la montre que de loin, mais la montre toujours. A l'égard de sa manière, (car il en a une), la finesse et la grâce y dominent, comme on sait, bien plus que la force; il n'est point éloquent, ne doit et ne veut point l'être, mais il attache et il plaît. D'autres relèvent les choses communes par des expressions noblest; lui,

presque toujours, peint les grandes choses sous des images familières. Cette manière peut-être critiquée, mais elle est piquante. D'abord, elle donne le plaisir de la surprise par le contraste et par les nouveaux rapports qu'elle découvre; ensuite, on aime à voir un homme qui n'est pas étonné des grandes choses: ce point de vue semble nous agrandir. Peut-être même lui savons-nous gré de ne pas vouloir nous forcer à l'admiration, sentiment qui nous accuse toujours un peu ou d'ignorance, ou de faiblesse.

Thomas. Essai sur les Elogès.

Buffon.

Quel est celui qui s'avance d'un pas ferme et gigantesque dans cette route encore infréquentée ? c'est un orateur, c'est un poète, c'est un philosophe : c'est Buffon! Buffon, dont la tête est vaste comme le monde, dont l'imagination est féconde comme la nature. Les siècles qui se sont écoulés, les siècles qui s'écouleront lui sont présens: ni la hauteur des cieux, ni les profondeurs de la terre, ni l'immensité que le regard humain ne peut embrasser, ni l'exiguité qu'il ne peut saisir, ne dérobent un secret à son génie. Confident de l'origine et de la fin des choses, il voit, il devine, il explique, depuis l'énorme quadrupède qui pèse sur le globe, jusqu'au chétif animal dont l'herbe abrite la petitesse; ses yeux ont tout observé, sa plume a tout décrit: exact et magnifique, majestueux et simple, il semble imaginer quand il définit; quand il peint, il semble créer. Un idiome vulgaire ne traduit qu'imparfaitement les conceptions de cet esprit supérieur. Cette langue neuve et sublime comme ses idées, cette langue que parle Buffon, il se l'est faite.

Arnaud. Discours prononcé à la distribution

des grands prix de l'an XI.

CARACTERES ANCIENS.

Plutarque.

Evoque devant moi les grands hommes: je veux les voir et converser avec eux, disait un jeune Prince plein d'imagination et d'enthousiasme, à une pythonisse célèbre qui passait dans l'Orient pour évoquer les morts. Un sage qui n'était pas loin de là, et qui passait sa vie dans la retraite, approcha, et lui dit: Je vais exécuter ce que tu demandes: tiens, prends ce livre ; parcours avec attention les caractères qui le composent ; à mesure que tu liras, tu verras s'élever autour de toi les ombres des grands hommes, et elles ne te quitteront plus. Ce livre était les Hommes Illustres, du philosophe de. Chéronée. C'est là en effet que toute l'antiquité se trouve. Là, chaque homme paraît tour à tour avec son génie, et les talens et les vertus qui ont influé sur le sort des peuples. Naissance, éducation, mœurs, principes, ou qui tiennent au caractère, ou qui le combattent; concours de plusieurs grands hommes qui se développent en se choquant grands hommes isolés, et qui semblent jetés hors des routes de la nature dans des temps de faiblesse et de langueur; lutte d'un grand caractère contre les mœurs avilies d'un peuple qui tombe; développement rapide d'un peuple naissant à qui un homme de génie imprime sa force; mouvement donné à des nations par les lois, par les conquêtes, par l'éloquence; grandes vertus, toujours plus rares que les talens, les unes impétueuses et fortes, les autres calmes et raisonnées; desseins tantôt conçus profondément, et mûris par les années, tantôt inspirés, conçus, exécutés presqu'à la fois, et avec cette vigueur qui renverse tout, parce qu'elle ne donne le temps de rien prévoir; enfin des vies éclatantes, des morts illustres et presque toujours violentes; car, par une loi inévitable, l'action de ces

hommes qui remuent tout, produit une résistance égale dans ce qui les entoure ; ils pèsent sur l'univers, et l'univers sur eux; et derrière la gloire est presque toujours caché l'exil, le fer ou le poison; tel est à peu près le tableau que nous offre Plutarque.

A l'égard du style et de la manière, c'est celle d'un vieillard plein de sens, accoutumé au spectacle des choses humaines, qui ne s'échauffe pas, qui ne s'éblouit pas, admire avec tranquillité, et blâme sans indignation. Sa marche est mesurée, et il ne la précipite jamais. Semblable à une rivière calme, il s'arrête, il revient, il suspend son cours, il embrasse lentement un terrain vaste; I sème tranquillement, et comme au hasard, sur sa route tout ce que sa mémoire vient lui offrir. Enfin, partout il converse avec le lecteur: c'est le Montaigne des Grecs; mais il n'a point comme lui cette manière pittoresque et hardie de peindre ses idées, et cette imagination de style que peu de poètes même ont eue comme Montaigne. A cela près, il attache et intéresse comme lui, sans. paraître s'en occuper. Son grand art surtout est de faire connaître les hommes par les petits détails. Il ne fait donc point de ces portraits brillans dont Salluste le premier donna des modèles, et que le cardinal de Retz, par ses Mémoires, mit si fort à la mode parmi nous; il fait mieux, il peint en action. On croit voir tous ces grands hommes agir et converser. Toutes ces figures sont vraies et ont les proportions exactes de la nature. Quelques personnes pensent que c'est dans ce genre qu'on devrait écrire tous les éloges. On éblouirait peut-être moins, disent-elles, mais on satisferait plus; et il faut savoir quelquefois renoncer à l'admiration pour l'estime.

Thomas. Essai sur les Eloges.

Homère.

Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers; mais.

je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier planer, pour ainsi dire, sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue; assistant au conseil des Dieux; sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et ne pouvant plus supporter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec elles-mêmes; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talens supérieurs, nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre âme une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir. Car ce qui distingue sur-tout Homère, c'est de tout animer et de nous pénétrer sans cesse des mouvemens qui l'agitent; c'est de tout subordonner à la passion principale, de la suivre dans ses fougues, dans ses écarts, dans ses inconséquences, de la porter jusqu'aux nues, et de la faire tomber, quand il le faut, par la force du sentiment et de la vertu, comme la flamme de l'Etna que le vent repousse au fond de l'abîme; c'est d'avoir saisi de grands caractères, d'avoir différencié la puissance, la bravoure et les autres qualités de ses personnages, non par des descriptions froides et fastidieuses, mais par des coups de pinceau rapides et vigoureux, ou par des fictions neuves et semées presque au hasard dans ses ouvrages. Je monte avec lui dans les cieux : je reconnais Vénus toute entière à cette ceinture d'où s'échappent sans cesse les feux de l'amour, les désirs impatiens, les grâces séduisantes, et les charmes inexprimables du langage et des jeux : je reconnais Pallas et ses fureurs, à cette égide où sont suspendues la Terreur, la Discorde, la Violence, et la tête épouvantable de l'horrible Gorgone: Jupiter et Neptune sont les plus puissants des Dieux; mais il faut à Neptune un trident pour secouer la terre; à Jupiter, un clin d'œil pour ébranler l'Olympe. Je descends sur la terre: Achille, Ajax et Diomède, sont les plus redou

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