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Ces idées, par elles-mêmes, inspirent à l'imagination une espèce de terreur qui n'est pas loin du sublime; elles ont quelque chose d'indéfini et de vaste, où l'imagination se perd; elles réveillent dans l'esprit une multitude innombrable d'idées; elles portent l'âme à un recueillement austère qui lui fait mépriser les objets de ses passions comme indignes d'elle, et semble la détacher de l'univers. Bossuet tantôt s'arrête sur ces idées; tantôt, à travers une foule de sentimens qui l'entraînent, il ne fait que prononcer de temps en temps ces mots, et ces mots alors font frissonner, comme les cris interrompus que le voyageur entend quelquefois pendant la nuit, dans le silence des forêts, et qui l'avertissent d'un danger qu'il ne connaît

pas.

Bossuet n'a presque jamais de route certaine, ou plutôt il la cache. Il va, il vient, il retourne sur luimême; il a le désordre d'une imagination forte et d'un sentiment profond. Quelquefois il laisse échapper une idée sublime, et qui, séparée, en a plus d'éclat; quelquefois il réunit plusieurs grandes idées, qu'il jette avec la profusion de la magnificence et l'abandon de la richesse. Mais ce qui le distingue le plus, c'est l'ardeur de ses mouvemens, c'est son âme qui se mêle à tout. Il semble que du sommet d'un lieu élevé, il découvre de grands événemens qui se passent sous ses yeux, et qu'il les raconte à des hommes qui sont en bas. Il s'élance, il s'écrie, il s'interrompt; c'est une scène dramatique qui se passe entre lui et les personnes qu'il voit, et dont il partage ou les dangers ou les malheurs; quelquefois même le dialogue passionné de l'orateur s'étend jusqu'aux êtres inanimés, qu'il interroge comme complices ou témoins des événemens qui le frappent.

Comme le style n'est que la représentation des mouvemens de l'âme, son élocution est rapide et forte. Il crée ses expressions comme ses idées. Il force impérieusement la langue à le suivre; et au lieu de se plier à elle, il la domine et l'entraîne; elle devient l'esclave de son génie, mais c'est pour acquérir de la grandeur. Lui seul a le secret de sa langue; elle a je ne sais quoi d'antique et de fier, et

d'une nature inculte, mais hardie. Quelquefois il attire même les choses communes à la hauteur de son âme, et les élève par la vigueur de l'expression; plus souvent il joint une expression familière à une idéé grande; et alors il étonne davantage, parce qu'il semble même au-dessus de la hauteur de ses pensées. Son style est une suite de tableaux: on pourrait peindre ses idées, si la peinture était aussi féconde que son langage; toutes ses images sont des sensations vives ou terribles, il les emprunte des objets les plus grands de la nature, et presque toujours d'objets en mouvement.

Tel est cet orateur célèbre qui, par ses beautés et ses défauts, à le plus grand caractère du génie, et avec lequel tous les orateurs anciens et modernes n'ont rien de commun.

Thomas, Essai sur les Eloges, chap. 30.

Fléchier.

On a souvent comparé Fléchier avec Bossuet: je ne sais s'ils furent rivaux dans leur siècle, mais aujourd'hui ils ne le sont pas. Fléchier possède bien plus l'art et le mécanisme de l'éloquence, qu'il n'en a le génie. Il ne s'abandonne jamais, il n'a aucun de ces mouvemens qui annoncent que l'orateur s'oublie, et prend parti dans ce qu'il raconte. Son défaut est de toujours écrire, et de ne jamais parler. Je le vois qui arrange méthodiquement une phrase et en arrondit les sons. Il marche ensuite à une autre ; il у арplique le compas; et de là à une troisième. On remarque et l'on sent tous les repos de son imagination; au lieu que les discours de son rival, et peutêtre tous les grands ouvrages d'éloquence, sont, ou paraissent du moins, comme ces statues de bronze que l'artiste a fondues d'un seul jet.

Après avoir vu les défauts de cet orateur, rendons justice à ses beautés. Son style, qui n'est jamais impétueux et chaud, est du moins toujours élégant. Au défaut de la force, il a la correction et la grâce. S'il

lui manque de ces expressions originales, et dont quelquefois une seule représente une masse d'idées, il a ce coloris toujours égal qui donne de la valeur aux petites choses, et qui ne dépare point les grandes. Il n'étonne presque jamais l'imagination, mais il la fixe. Il emprunte quelquefois de la poésie, comme Bossuet, mais il en emprunte plus d'images, et Bossuet, plus de mouvemens. Ses idées ont rarement de la hauteur, mais elles sont toujours justes, et quelquefois ont cette finesse qui réveille l'esprit, et l'exerce sans le fatiguer. Il paraît avoir une connaissance profonde des hommes; par-tout il les juge en philosophe, et les peint en orateur. Enfin, il a le mérite de la double harmonie, soit de celle qui, par le mélange et l'heureux enchaînement des mots, n'est destinée qu'à flatter et à séduire l'oreille, soit de celle qui saisit l'analogie des nombres avec le caractère des idées, et qui, par la douceur ou la force, la lenteur ou la rapidité des sons, peint à l'oreille en même temps que l'image peint à l'esprit. En général, l'éloquence de Fléchier parait être formée de l'harmonie et de l'art d'Isocrate, de la tournure ingénieuse de Pline, de la brillante imagination d'un poète, et d'une certaine lenteur imposante qui ne messied peutêtre pas à la gravité de la Chaire, et qui était assortie à l'organe de l'orateur. Le même.

Bourdaloue.

Ce qui me plaît, ce que j'admire principalement dans Bourdaloue, c'est qu'il se fait oublier lui-même; c'est que, dans un genre trop souvent livré à la déclamation, il n'exagère jamais les devoirs du Christianisme, ne change point en préceptes les simples conseils, et que sa morale peut toujours être réduite en pratique; c'est la fécondité inépuisable de ses plans qui ne se ressemblent jamais, et l'heureux talent de disposer ses raisonnemens avec cet ordre dont parle Quintilien, lorsqu'il compare le mérite d'un orateur qui compose un discours à l'habileté d'un géné

ral qui commande une armée; c'est cette logique exacte et pressante qui exclut les sophismes, les contradictions, les paradoxes; c'est l'art avec lequel il fonde nos devoirs sur nos intérêts, et ce secret précieux, que je ne vois guères que dans ses sermons, de convertir les détails des mœurs en preuves de son sujet; c'est cette abondance de génie qui ne laisse rien à imaginer au-delà de chacun de ses discours, quoiqu'il en ait composé au moins deux, souvent trois, quelquefois même quatre, sur la même matière, et qu'on ne sache, après les avoir lus, auquel donner la préférence; c'est la simplicité d'un style nerveux et touchant, naturel et noble, la connaissance la plus profonde de la religion, l'usage admirable qu'il fait de l'Ecriture et des Pères: enfin, je ne pense jamais à ce grand homme, sans me dire à moi-même : voilà donc jusqu'où le génie peut s'élever quand il est soutenu par le travail !

Maury. Discours sur l'Eloquence.

Massillon.

Il excelle dans la partie de l'orateur, qui seule peut tenir lieu de toutes les autres, dans cette éloquence qui va droit à l'âme, mais qui l'agite sans la renverser, qui la consterne sans la flétrir, et qui la pénétre sans la déchirer. Il va chercher au fond du cœur ces replis cachés où les passions s'enveloppent, ces sophismes secrets dont elles savent si bien s'aider pour nous aveugler et nous séduire. Pour combattre et détruire ces sophismes, il lui suffit presque de les développer avec une onction si affectueuse et si tendre, qu'il subjugue moins qu'il n'entraîne ; et qu'en nous offrant même la peinture de nos vices, il sait encore nous attacher et nous plaire. Sa diction, toujours facile, élégante et pure, est par-tout de cette simplicité noble, sans laquelle il n'y a ni bon goût, ni véritable éloquence; simplicité qui, réunie dans Massillon à l'harmonie la plus séduisante et la plus douce, en emprunte encore des grâces nouvelles; et, ce qui

met le comble au charme que fait éprouver ce style enchanteur, on sent que tant de beautés ont coulé de source, et n'ont rien coûté à celui qui les a produites. Il lui échappe même quelquefois, soit dans les expressions, soit dans les tours, soit dans la mélodie si touchante de son style, des négligences qu'on peut appeler heureuses, parce qu'elles achèvent de faire disparaître non-seulement l'empreinte, mais jusqu'au soupçon du travail. C'est par cet abandon de luimême que Massillon se faisait autant d'amis que d'auditeurs; il savait que plus un orateur parait occupé d'enlever l'admiration, moins ceux qui l'écoutent sont disposés à l'accorder, et que cette ambition est l'écueil de tant de prédicateurs qui, chargés, si on se peut exprimer ainsi, des intérêts de Dieu même, veulent y mêler les intérêts si minces de leur vanité.

D'Alembert. Eloge de Massillon.

La Fontaine.

Il est donc aussi des honneurs publics pour l'homme simple et le talent aimable! Ainsi donc la postérité, plus promptement frappée en tout genre de ce qui se présente à ses yeux avec un éclat imposant, occupée d'abord de célébrer ceux qui ont produit des révolutions mémorables dans l'esprit humain, ou qui ont régné sur les peuples, par les puissantes illusions du théâtre, la postérité a tourné ses regards sur un homme qui, sans avoir à lui offrir des titres aussi magnifiques, ni d'aussi grands monumens, ne méritait pas moins ses attentions et ses hommages; sur un écrivain original et enchanteur, le premier de tous dans un genre d'ouvrage plus fait pour être goûté avec délices, que pour être admiré avec transport; à qui nul n'a ressemblé dans le talent de raconter ; que nul n'égala jamais dans l'art de donner des grâces à la raison, et de la gaîté au bon sens ; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence; sur un homme modeste qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvres, comme il vivait avec sagesse en se livrant dans ses

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