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qu'un mot, c'est que l'idée seule de Sully était pour Henri IV, ce que la pensée de l'Etre-suprême est pour l'homme juste, un frein pour le mal, un encouragement pour le bien.

Thomas, Eloge de Sully.

Mazarin.

Déjà pour le soutien d'une minorité et d'une Régence tumultueuse, s'était élevé à la Cour un de ces hommes en qui Dieu met ses dons d'intelligence et de conseil, et qu'il tire de temps en temps des trésors de sa providence pour assister les Rois, et pour gouverner les Royaumes. Son adresse à concilier les esprits par des persuasions efficaces, à préparer les événemens par des négociations pressées ou lentes, à exciter ou calmer les passions par des intérêts et des vues politiques, à faire mouvoir avec habileté les ressorts ou de la guerre ou de la paix, l'avait fait regarder comme un Ministre non-seulement utile, mais encore nécessaire. La pourpre dont il était revêtu, la capacité qu'il fit voir, et la douceur dont il usa, après plusieurs agitations, le mirent enfin au-dessus de l'envie; et, tout concourant à sa gloire, le Ciel même faisant servir à son élévation, et sa faveur et ses disgraces, il prit les rênes de l'Etat : heureux d'avoir aimé la France comme sa patrie, d'avoir laissé la paix aux peuples fatigués d'une longue guerre, et plus encore d'avoir appris l'art de régner et les secrets de la Royauté au premier Monarque du monde.

Fléchier, Oraisons funèbres.

Le Cardinal de Retz.

On a de la peine à comprendre comment un homme qui passa sa vie à cabaler n'eut jamais de véritable objet. Il aimait l'intrigue pour intriguer: esprit hardi, délié, vaste et un peu romanesque, sachant tirer parti de l'autorité que son état lui donnait sur le peuple, et faisant servir la religion à sa politique; cher

chant quelquefois à se faire un mérite de ce qu'il ne devait qu'au hasard, et ajustant souvent après coup les moyens aux événemens. Il fit la guerre au Roi; mais le personnage de rebelle était ce qui le flattait le plus dans sa rebellion: magnifique, bel esprit, turbulent, ayant plus de saillies que de suite, plus de chimères que de vues, déplacé dans une Monarchie, et n'ayant pas ce qu'il fallait pour être républicain, parce qu'il n'était ni sujet fidèle, ni bon citoyen; aussi vain, plus hardi et moins honnête homme que Cicéron, enfin, plus d'esprit, moins grand et moins méchant que Catilina. Ses Mémoires sont très-agréables à lire; mais conçoit-on qu'un homme ait le courage, ou plutôt la folie de dire de lui-même plus de mal que n'en eût pu dire son plus grand ennemi? Ce qui est étonnant, c'est que ce même homme, sur la fin de sa vie, n'était plus rien de tout cela, et qu'il devint doux, paisible, sans intrigue, et l'amour de tous les honnêtes gens de son temps; comme si toute son ambition d'autrefois n'avait été qu'une débauche d'esprit, et des tours de jeunesse dont on se corrige avec l'âge ; ce qui prouve bien qu'en effet il n'y avait en lui aucune passion réelle. Après avoir vécu avec une magnificence extrême, et avoir fait pour plus de quatre millions de dettes, tout fut payé, soit de son vivant, soit après sa Le Président Hénault.

mort.

Colbert.

L'éclat et la prospérité du règne de Louis XIV, la grandeur du Souverain, le bonheur des peuples, feront regretter à jamais le plus grand ministre qu'ait eu la France: ce fut par lui que les arts furent portés à ce degré de splendeur qui a rendu le règne de Louis XIV le plus beau règne de la Monarchie; et ce qui est à remarquer, c'est que cette protection signalée qu'il leur accorda n'était peut-être pas en lui l'effet seul du goût et des connaissances : ce n'était pas par sentiiment qu'il aimait les artistes et les savans; c'était comme homme d'Etat qu'il les protégeait, parce qu'il avait reconnu que les beaux-arts sont seuls capables

de former et d'immortaliser les grands Empires. Homme mémorable à jamais! ses soins étaient partagés entre l'économie et la prodigalité; il économisait dans son cabinet, par l'esprit d'ordre qui le caractérisait, ce qu'il était obligé de prodiguer aux yeux de l'Europe, tant pour la gloire de son maître, que par la nécessité de lui obéir; esprit sage, et n'ayant point les écarts du génie Par negotiis neque suprà erat. (Tacite.) Il ne fut que huit jours malade on a dit qu'il était mort hors de la faveur: grande instruction pour les Ministres ! Le même.

Louvois.

Louvois était né avec de grands talens, qui avaient principalement la guerre pour objet : il rétablit l'ordre et la discipline dans les armées, ainsi qu'avait fait Colbert dans les finances. Mieux informé souvent que le Général lui-même ; aussi attentif à récompenser qu'à punir; économe et prodigue suivant les circonstances; prévoyant tout, et ne négligeant rien; joignant aux vues promptes et étendues la science des détails; profondément secret; formant des entreprises qui tenaient du prodige par leur exécution subite et dont le succès n'était jamais incertain, malgré la foule des combinaisons nécessaires qui devaient y concourir : l'instruction donnée au Maréchal d'Humières, pour le siége de Gand, fut regardée comme un chef-d'œuvre dans son genre. Mais il eût été à souhaiter qu'il n'eût pas porté trop loin le zèle pour la gloire de son maître, et que, se contentant de voir le Roi devenu l'objet du respect de l'Europe, il n'eût pas voulu encore qu'il en devint la terreur. Le même.

Turenne.

Turenne, si célébré, si regretté par nos aïeux, et dont nous ne prononçons pas encore le nom sans respect; qui, dans le siècle le plus fécond en grands hommes, n'eut point de supérieur, et ne compta qu'un rival; qui fut aussi simple qu'il était grand, aussi estimé pour sa

probité que pour ses victoires; à qui on pardonna ses fautes, parce qu'il n'eut jamais ni l'affectation de ses vertus, ni celle de ses talens ; qui, en servant Louis XIV et la France, eut souvent à combattre le Ministre de Louis XIV, et fut haï de Louvois, comme admiré de l'Europe; le seul homme, depuis Henri IV, dont la mort ait été regardée comme une calamité publique par le peuple; le seul, depuis Duguesclin, dont la cendre ait été jugée digne d'être mêlée à la cendre des Rois, et dont le mausolée attire plus nos regards que celui de beaucoup de Souverains dont il est entouré, parce que la renommée suit les vertus, et non les rangs, et que l'idée de la gloire est toujours supérieure à celle de la puissance.

Thomas, Essai sur les Eloges.

Vauban.

Jamais les traits de la simple nature n'ont été mieux marqués qu'en lui, ni plus exempts de tout mélange étranger. Un sens droit et étendu, qui s'attachait au vrai par une espèce de sympathie, et sentait le faux sans le discuter, lui épargnait les longs circuits par où les autres marchent; et d'ailleurs sa vertu était, en quelque sorte, un instinct heureux, si prompt qu'il prévenait sa raison. Il méprisait cette politesse superficielle dont le monde se contente et qui couvre souvent tant de barbarie; mais sa bonté, son humanité, sa libéralité lui composaient une autre politesse plus rare, qui était toute dans son cœur. Il seyait bien alors à tant de vertus de négliger des dehors qui, à la vérité, lui appartiennent naturellement, mais que le vice emprunte avec trop de facilité. Souvent M. le maréchal de Vauban à secouru, de sommes assez considérables, des officiers qui n'étaient pas en état de soutenir le service; et quand on venait à le savoir, il disait qu'il prétendait leur restituer ce qu'il recevait de trop des bienfaits du Roi. Il en a été comblé pendant le cours d'une longue vie, et il a eu la gloire de ne laisser, en mourant, qu'une fortune médiocre. Il

était passionnément attaché au Roi: sujet plein d'une fidélité ardente et zélée, et nullement courtisan, il aurait infiniment mieux aimé servir que plaire. Personne n'a été si souvent que lui, ni avec tant de courage, l'introducteur de la vérité; il avait pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement. Ses mœurs ont tenu bon contre les dignités les plus brillantes, et n'ont pas même combattu. En un mot, c'était un Romain qu'il semblait que notre siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la république.

Fontenelle.

Bossuet.

On a dit que c'était le seul homme vraiment éloquent sous le siècle de Louis XIV. Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire: mais si l'éloquence consiste à s'emparer fortement d'un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l'étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentimens aux sentimens, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l'âme, à l'étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l'oreille par une harmonie majestueuse, à n'avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment; à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s'élancer, à s'élever encore, imitant la nature qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l'ordre de l'univers par le désordre même; si telle est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet? Qui mieux que lui a parlé de la vie, de la mort, de l'éternité, du temps?

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