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lee, et presse du pied les flocons amoncelés de la neige étincelante : bientôt ils se divisent, se répandent en tournoyant sur la terre affligée, et l'enveloppent d'un immense vêtement de deuil. Des oiseaux aquatiques fendent d'un vol rapide l'atmosphère glaciale. Le tyran de l'année est vêtu d'un manteau, où s'imprime la morne couleur dont il flétrit la végétation. Ce manteau lui sert d'ornement, et lui couvre à peine les épaules. Ses bras robustes, ses cuisses et ses jambes nerveuses et à découvert, décèlent sa force indomtable. Ses cheveux, sa barbe et ses sourcils, semblables aux pies des glaces éternelles des Alpes ou des Pyrénées, hérissent son aspect farouche. Les brouillards et les noirs orages s'engendrent de sa tête menaçante; ils siégent sur son front tristement baissé vers la terre, qu'il glace de ses sombres regards. Une couronne de branches mortes, monument de son triomphe sur l'Eté, ceint sa tête : quelques feuilles desséchées y tiennent encore ; d'autres s'en détachent, et vont à ses pieds joncher la neige. Mais les lois puissantes de la nature ne permettent point à l'Hiver d'outrager toutes ses productions; il les respecte encore; et pour preuve de son obéissance aux immuables volontés de la Déesse, il a joint à son lugubre diadême quelques tiges de ces arbres toujours verdoyans, dont il accroît et rehausse encore, pour lui plaire, la sombre et majestueuse beauté.

Girodet.

DEFINITIONS.

L'Amour-propre.

L'Amour-propre est l'amour de soi-même et de toutes choses pour soi; il rend les hommes idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Il n'est rien de si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que sa conduite. Ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinemens ceux de la chimie : on ne peut sonder la profondeur ni percer les ténèbres de ses abîmes. Là il est à couvert des yeux les plus pénétrans, il fait mille insensibles tours et retours; là il est souvent invisible à lui-même; il y conçoit, il y nourrit, il y élève, sans le savoir, un grand nombre d'affections et de haines. Il en forme de si monstrueuses, que, lorsqu'il les a mises au jour, il les méconnaît, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre, naissent les ridicules persuasions qu'il a de lui-même, ses erreurs, ses ignorances sur son sujet. De là vient qu'il croit que ses sentimens sont morts lorsqu'ils ne sont qu'endormis; qu'il s'imagine n'avoir plus envie de courir dès qu'il se repose, et qu'il pense avoir perdu tous les goûts qu'il à rassasiés. Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même n'empêche pas qu'il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est semblable à nos yeux. Il veut obtenir des choses qui ne lui sont pas avantageuses, et qui même lui sont nuisions, mais qu'il poursuit parce qu'il les veut; il est bizarre, et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles, et

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Il

trouve tout son plaisir dans les plus fades, et conserve toute sa fierté dans les plus méprisables. est dans tous les états de la vie et dans toutes les conditions, il vit partout; il vit de tout, il vit de rien; il s'accommode des choses, et de leur privation; il passe même dans le parti des gens qui lui font la guerre, il entre dans leurs desseins, et, ce qui est admirable, il se hait lui-même avec eux; il conjure à sa perte, il travaille même à sa ruine; enfin, il ne se soucie que d'être, et, pourvu qu'il soit, il veut bien être son ennemi. Il ne faut donc pas s'étonner s'il se joint quelquefois à la plus rude austérité, et s'il entre hardiment en société avec elle pour se détruire, parce que, dans le même temps qu'il se ruine dans un endroit, il se rétablit dans un autre. Quand on pense qu'il quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre ou le changer; et lors même qu'il est vaincu, et qu'on croit en être défait, on le trouve qui triomphe dans sa propre défaite. Voilà la peinture de l'Amour-propre, dont toute la vie n'est qu'une grande et longue agitation. La mer en est une image sensible, et l'Amour-propre trouve dans le flux et le reflux de ses vagues une fidèle expression de la succession turbulente de ses pensées et de ses éternels La Rochefoucault.

mouvemens.

La Médisance.

La Médisance est un feu dévorant qui flétrit tout ce qu'il touche, qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le sacré ; qui ne laisse, partout où il a passé, que la ruine et la désolation; qui creuse jusques dans les entrailles de la terre, et va s'attacher aux choses les plus cachées; qui change en de viles cendres ce qui nous avait paru, il n'y a qu'un moment, si précieux et si brillant; qui, dans le temps même qu'il paraît couvert et presque éteint, agit avec plus de violence et de danger que jamais; qui noircit ce qu'il ne peut consumer, et qui sait plaire et briller quelquefois avant que de nuire.

La Médisance est un orgueil secret qui nous découvre la paille dans l'œil de notre frère, et nous cache la poutre qui est dans le nôtre; une envie. basse, qui, blessée des talens ou de la prospérité d'autrui, en fait le sujet de sa censure, et s'étudie à obscurcir l'éclat de tout ce qui l'efface; une haine déguisée, qui répand sur ses paroles l'amertume cachée dans le cœur ; une duplicité indigne, qui loue en face et déchire en secret; une légèreté honteuse, qui ne sait pas se vaincre et se retenir sur un mot, et qui sacrifie souvent sa fortune et son repos à l'imprudence d'une censure qui sait plaire; une barbarie de sang-froid, qui va percer notre frère absent; un scandale pour ceux qui vous écoutent; une injustice où vous ravissez à votre frère ce qu'il a de plus cher.

La Médisance est un mal inquiet qui trouble la société, qui jette la dissension dans les cités, qui désunit les amitiés les plus étroites, qui est la source des haines et des vengeances, qui remplit tous les lieux où elle entre, de désordres et de confusion; partout ennemie de la paix, de la douceur et de la politesse. Enfin, c'est une source pleine d'un venin mortel: tout ce qui en part est infecté, et infecte tout ce qui l'environne; ses louanges mêmes sont empoisonnées, ses applaudissemens malins, son silence criminel; ses gestes, ses mouvemens, ses regards, tout a son poison, et le répand à sa manière. Massillon.

La Vie humaine et les Hommes.

Qu'est-ce que la Vie humaine? qu'une mer furieuse et agitée, où nous sommes sans cesse à la merci des flots, et où chaque instant change notre situation, et nous donne de nouvelles alarmes. Que sont les Hommes eux-mêmes? que les tristes jouets de leurs passions insensées et de la vicissitude éternelle des événemens. Liés par la corruption de leur cœur à toutes les choses présentes, ils sont avec elles dans un mouvement perpétuel: semblables à ces

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figures que la roue rapide entraîne, ils n'ont jamais de consistance assurée; chaque moment est pour eux une situation nouvelle; ils flottent au gré de l'inconstance des choses humaines; voulant sans cesse se fixer dans les créatures, et sans cesse obligés de s'en déprendre; croyant toujours avoir trouvé le lieu de leur repos, et sans cesse forcés de recommencer leur course; lassés de leurs agitations, et cependant toujours emportés par le tourbillon, ils n'ont rien qui les fixe, qui les console, qui les paie de leurs peines, qui leur adoucisse le chagrin des événemens; ni le monde qui le cause, ni leur conscience qui le rend plus amer, ni l'ordre de Dieu contre lequel ils se révoltent. Ils boivent jusqu'à la lie toute l'amertume de leur calice; ils ont beau le verser d'un vase dans un autre, se consoler d'une passion par une passion nouvelle, d'une perte par un nouvel attachement, d'une disgrace par de nouvelles espérances, l'amertume les suit partout; ils changent de situation, mais ils ne changent pas de supplice,

Massillon.

Le Monde.

Qu'est-ce que le Monde, pour ceux-mêmes qui l'aiment, qui paraissent enivrés de ses plaisirs, et qui ne peuvent se passer de lui? Le Monde? c'est une servitude éternelle, où nul ne vit pour soi, et où, pour être heureux, il faut pouvoir baiser ses fers, et aimer son esclavage. Le Monde? c'est une révolution journalière d'événemens qui réveillent tour à tour dans le cœur de ses partisans les passions les plus violentes et les plus tristes; des baines cruelles, des perplexités odieuses, des craintes amères, des jalousies dévorantes, des chagrins accablans. Le Monde? c'est une terre de malédiction, où les plaisirs mêmes portent avec eux leurs épines et leur amertume. Le jeu lasse par ses fureurs et par ses caprices; les conversations ennuient par les oppositions d'humeurs et la contrariété des sentimens; les passions et les at

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