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d'œil, d'Antioche à Jérusalem; tantôt, se rapprochant de tout ce qui les environne, ils sondent la lointaine profondeur du rivage; enfiu l'attention, fixée par des objets distincts, observe avec détail les rochers, les bois, les torrens, les côteaux, les villages et les villes. On prend un plaisir secret à trouver petits ces objets qu'on a vus si grands. On regarde avec complaisance la vallée couverte de nuées orageuses, et l'on sourit d'entendre sous ses pas ce tonnerre qui gronda si long-temps sur la tête; on aime à voir à ses pieds ces sommets, jadis menaçans, devenus dans leur abaissement semblables aux sillons d'un champ, ou aux gradins d'un amphithéâtre; l'on est flatté d'être devenu le point le plus élevé de tant de choses, et l'orgueil les fait regarder avec plus de complaisance.

Lorsque le voyageur parcourt l'intérieur de ces montagnes, l'aspérité des chemins, la rapidité des pentes, la profondeur des précipices, commencent par l'effrayer. Bientôt l'adresse des mulets qui le portent le rassure, et il examine à son aise les incidens pittoresques qui se succèdent pour le distraire. Là, comme dans les Alpes, il marche des journées entières pour arriver dans un lieu qui, dès le départ, est en vue il tourne, il descend, il cotoie, il grimpe; et, dans ce changement perpétuel de sites, on dirait qu'un pouvoir magique varie à chaque pas les décorations de la scène. Tantôt, ce sont des villages prêts à glisser sur des pentes rapides, et tellemenst disposées, que les terrasses d'un rang de maisons servent de rue au rang qui les domine. Tantôt, c'est un couvent placé sur un cône isolé; ici, un rocher, percé par un torrent, est devenu une arcade naturelle; là, un autre rocher taillé à pic, ressemble à une haute muraille; souvent, sur les côteaux, les bancs de pierre dépouillés et isolés par les eaux, ressemblent à des ruines que l'art aurait disposées. En plusieurs lieux, les eaux, trouvant des couches inclinées, ont miné la terre intermédiaire, et ont formé des cavernes ; ailleurs, elle se sont pratiqué des cours souterrains, où coulent des ruisseaux pendant une partie de l'année.

Quelquefois ces incidens pittoresques sont devenus tragiques; on a vu, par des dégels et des tremblemens de terre, des rochers perdre leur équilibre, se renverser sur les maisons voisines, et en écraser les habitans. Il y a environ vingt ans qu'un accident semblable ensevelit un village qui n'a laissé aucunes traces. Plus récemment, et près du même lieu, le terrain d'un côteau, chargé de mûriers et de vignes, s'est détaché par un dégel subit; et, glissant sur le talus du roc qui le portait, il est venu, semblable à un vaisseau qu'on lance du chantier, s'établir tout d'une pièce dans la vallée inférieure.

Volney. Voyage en Syrie.

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Source du Rhône.

C'est là que les yeux, enchantés par la vue riante du Valais, se saisissent avec empressement de ces lieux désolés. On monte le long de la gorge d'où descend le Rhône, par un sentier taillé dans le roc, ayant le fleuve à sa droite, des pins au-dessus de sa tête, et des rochers suspendus devant soi; ce lieu sauvage offre sans cesse de nouvelles scènes dans la profondeur des abîmes où le torrent se précipite. Dans l'aspect des rochers prêts à s'écrouler, tout fait spectacle, tout paraît être en mouvement; le bruit de l'eau, l'agitation de l'air, les pins renversés, les cascades, concourent à rendre ces lieux intéressans; l'horizon se développe, la gorge s'agrandit, et annonce un nouvel ordre de choses et des beautés d'un autre genre: bientôt on voit le fleuve s'ensevelir sous des amas de neiges durcies par les hivers; à quelque distance, des débris de rochers, des troncs d'arbres couchés pêle-mêle le coupent; plus haut d'énormes rochers forment une magnifique voûte, et servent de ponts aux voyageurs, qui de là voient le fleuve écumer à cent pieds au-dessous d'eux. Enfin on arrive au dernier échelon de ce passage, tout à la fois sauvage et magnifique; c'est là qu'on est arrêté par l'aspect étonnant et majestueux d'un mur énorme

de glaces, resplendissant comme le soleil, et éclairant comme lui tout ce qui l'environne: sa hauteur est de quatre mille pieds, sa largeur de dix mille; et ce prodigieux amas de glaces semble descendre du ciel, et se montrer entre d'immenses rochers, comme le paroi d'un temple auguste se voit entre un portail. Tel est l'aspect du glacier du Rhône, élevé par la nature, et d'après un plan qu'il n'appartient qu'à elle d'exécuOn admire le cours majestueux d'un fleuve; on ne soupçonne pas que ce qui le fait naître et l'entretient, puisse être plus majestueux et plus magnifique Anonyme.

ter.

encore.

Le Meschacebé.*

Ce fleuve, dans un cours de plus de mille lieues, arrose une délicieuse contrée, que les habitans des Etats-Unis appellent le nouvel Eden, et à qui les Français ont laissé le doux nom de Louisiane. Mille autres fleuves tributaires du Meschacebé, le Missouri, l'Illinois, l'Akansas, l'Ohio, le Wabash, le Ténéssée, l'engraissent de leur limon et la fertilisent de leurs eaux. Quand tous ces fleuves se sont gonflés des déluges de l'hiver, quand les tempêtes ont abattu des pans entiers de forêts, le temps assemble, sur toutes les sources, les arbres déracinés: il les unit avec des lianes, il les cimente avec des vases, il y plante de jeunes arbrisseaux, et lance son ouvrage sur les ondes. Charriés par les vagues écumantes, ces radeaux descendent de toutes parts au Meschacebé. Le vieux fleuve s'en empare, et les pousse à son embouchure pour y former une nouvelle branche. Par intervalle, il élève sa grande voix, en passant sous les monts, il répand ses eaux débordées autour des colonnades des forêts, et des pyramides des tombeaux Indiens: c'est le Nil des déserts. Mais la grâce est toujours unie à la magnificence dans les scènes de la

* Vrai nom du Mississipi ou Meschassipi, Vieux Père des Eaux.

nature: et tandis que le courant du milieu entraîne vers la mer les cadavres des pins et des chênes; on voit sur les deux courans latéraux remonter, le long des rivages, des îles flottantes de Pistia et de Nénuphar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits papillons. Des serpens verts, des hérons bleus, des flaman roses, de jeunes crocodiles, s'embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleurs, et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, va aborder, endormie, dans quelque anse retirée du fleuve.

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Les deux rives du Meschacebé présentent le tableau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, des savannes se déroulent. perte de vue: leurs flots de verdure, en s'éloignant, semblent monter dans l'azur du ciel, où ils s'évanouissent. On voit dans ces prairies sans bornes, errer à l'aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison chargé d'années, fendant les flots à la nage, se vient coucher parmi les hautes herbes dans une île du Meschacebé. A son front orné de deux croissans, à sa barbe antique et limoneuse, vous le prendriez pour le dieu mugissant du fleuve, qui jette un œil satisfait sur la grandeur de ses ondes, et la sauvage abondance de ses rivés.

Telle est la scène sur le bord occidental, mais elle change tout à coup sur la rive opposée, et forme avec la première un admirable contraste, Suspendus sur le cours des ondes, groupés sur les rochers et sur les montagnes, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, croissent ensemble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sauvages, les bignonias, les coloquintes, s'entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l'extrémité des branches, s'élancent de l'érable au tulipier, du tulipier à l'alcée, en formant mille grottes, mille voûtes, mille portiques. Souvent égarées d'arbre en arbre, ces lianes traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts et des arches de fleurs. Du sein de ces massifs embaumés, le superbe magnolia

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élève son cône immobile: surmonté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, et n'a d'autre rival que le palmier, qui balance légèrement auprès de lui ses éventails de verdure.

Une multitude d'animaux, placés dans ces belles retraites par la main du Créateur, y répandent l'enchantement et la vie. De l'extrémité des avenues, on aperçoit des ours enivrés de raisin, qui chance!lent sur les branches des ormeaux; des troupes de cariboux se baignent dans un lac, des écureuils noirs se jouent dans l'épaisseur des feuillages; des oiseaux moqueurs, des colombes virginiennes, de la grosseur d'un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises; des perroquets verts, à tête jaune, des piverts empourprés, des cardinaux de feu grimpent, en circulant, au haut des cyprès; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpensoiseleurs sifflent suspendus aux dômes des bois, en s'y balançant comme des lianes.

Si tout est silence et repos dans les savannes de l'autre côté du fleuve, tout ici, au contraire, est mouvement et murmure: des coups de bec contre le tronc des chênes, des froissemens d'animaux, qui marchent, broutent ou broient entre leurs dents les noyeaux des fruits; des bruissemens d'ondes, de faibles gémissemens, de sourds meuglemens, de doux roucoulemens, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage harmonie. Mais quand une brise vient à animer toutes ces solitudes, à balancer tous ces corps flottans, à confondre toutes ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous les murmures; alors il sort de tels bruits du fond de ces forêts; que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont point parcouru ces champs primitifs de la nature.

Chateaubriand. Génie du Christianisme.

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