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sous leurs pas, et danser ensemble au son de la flûte, sous ces peupliers dont l'ombrage s'étend au loin. Heureux mortel! tout te promet le lendemain que tu désires; les Dieux eux-mêmes se plaisent à combler tes vœux. Déjà le crépuscule paraît, l'horizon s'enflamme, et le Soleil va se lever plus éclatant que jamais.

Reyrac. Hymne au Soleil.

Les Mines et leurs Travaux.

Le règne minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant; ses richesses, renfermées dans le sein de la terre, semblent avoir été éloignées des regards de l'homme, pour ne pas tenter sa cupidité: elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses, qui sont plus à sa portée, et dont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il appelle l'industrie, la peine et le travail, au secours de ses misères ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens imaginaires à la place des biens réels.qu'elle lui offrait d'elle-même quand il savait en jouir. Il fuit le soleil et le jour, qu'il n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. La, des carriéres, des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes, de marteaux, de fumée et de feu, succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages hâves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux Cyclopes, sont le spectacle que l'appareil des mines substitue, au sein de la terre, à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux, et des laboureurs robustes, sur sa surface.

J. J. Rousseau. Œuvres posthumes.

Les Forgerons.

Hier an soir à Cône, nous allâmes dans un véritable enfer ce sont des forges de Vulcain; nous trouvâmes huit on dix Cylopes forgeant, non pas les armes d'Enée, mais des ancres pour les vaisseaux ; jamais, vous n'avez vu redoubler des coups si justes, ni d'une si admirable cadence. Nous étions au milieu de quatre fourneaux; de temps en temps, ces démons, venaient autour de nous, tout fondus de sueur, avec des visages pâles, les yeux farouches, des moustaches brutes, des cheveux longs et noirs; cette vue pouvait effrayer des gens moins polis que nous. Pour moi, je ne comprenais pas qu'il fût possible de résister à nulle des volontés de ces messieurs-là dans leur enfer. Enfin nous en sortîmes avec une pluie de pièces de quatre sous, dont nous eûmes soin de les rafraîchir, pour faciliter notre sortie.

Madame de Sévigné.

Mœurs, union, bonheur des familles dans l'Amérique Septentrionale.

Les mœurs sont ce qu'elles doivent être chez un peuple nouveau, chez un peuple cultivateur, chez un peuple qui n'est ni poli, ni corrompu par le séjour des grandes cités. Il règne généralement de l'économie, de la propreté, du bon ordre dans les familles. La galanterie et le jeu, ces passions de l'opulence oisive, altèrent rarement cette heureuse tranquillité. Les femmes sont encore ce qu'elles doivent être, douces, modestes, compatissantes et secourables, elles ont ces vertus qui perpétuent l'empire de leur charmes. Les hommes sont occupés de leurs premiers devoirs, du soin et du progrès de leurs plantations, qui seront le soutien de leur postérité. Un sentiment de bienveillance unit toutes les familles. Rien ne contribue à cette union, comme une certaine égalité d'aisance, comme la sécurité qui naît de la propriété, comme l'espérance et la facilité communes d'augmenter ces

possessions; comme l'indépendance réciproque où tous les hommes sont pour leurs besoins, jointe au besoin mutuel de société pour leurs plaisirs. A la place du luxe qui traîne la misère à sa suite, au lieu de ce contraste affligeant et hideux, un bien-être universel, réparti sagement par la première distribution des terres, par le cours de l'industrie, a mis dans tous les cœurs le désir de se plaire mutuellement, désir plus satisfaisant, sans doute, que la secrète envie de nuire, qui est inséparable d'une extrême inégalité dans les fortunes et les conditions. On ne se voit jamais sans plaisir, quand on n'est, ni dans un état d'éloignement réciproque qui conduit à l'indifférence, ni dans un état de rivalité qui est près de la haine. On se rapproche, on se rassemble; on mène enfin dans les colonies cette vie champêtre, qui fut la première destination de l'homme, la plus convenable à la santé, à la fécondité. On y jouit peut-être de tout le bonheur compatible avec la fragilité de la condition humaine. On n'y voit pas ces grâces, ces talens, ces jouissances recherchées, dont l'apprêt et les frais usent et fatiguent tous les ressorts de l'âme, amènent les vapeurs de la mélancolie après les soupirs de la volupté, mais les plaisirs domestiques, l'attachement réciproque des parens et des enfans, l'amour conjugal, cet amour si pur, si délicieux pour qui sait le goûter et mépriser les autres amours. C'estlà le spectacle enchanteur qu'offre partout l'Amérique Septentrionale; c'est dans les bois de la Floridė et de la Virginie, c'est dans les forêts même du Canada, qu'on peut aimer toute sa vie ce qu'on aima pour la première fois, l'innocence et la vertu, qui ne laissent jamais périr la beauté toute entière. Raynal. Liv. 18.

Les Rochers de Meillerie.

Ce lieu solitaire formait un réduit sauvage et désert, mais plein de ces sortes de beautés qui ne plaisent qu'aux âmes sensibles, et paraissent horribles

aux autres. Un torrent, formé par la fonte des neiges, roulait à vingt pas de nous une eau bourbeuse, et charriait avec bruit du limon, du sable et des pierres. Derrière nous, une chaîne de roches inaccessibles, séparait l'esplanade où nous étions de cette partie des Alpes qu'on nomme Glacière, parce que d'énormes sommets de glaces, qui s'accroissent incessamment, les couvrent depuis le commencement du monde. Des forêts de noirs sapins nous ombrageaient tristement à droite. Un grand bois de chênes était à gauche au dela du torrent; et, au-dessous de nous, cette immense plaine d'eau que le lac forme au sein des Alpes, nous séparait des riches côtes du pays de Vaud, dont la cime du majestueux Jura couronnaît le tableau.

Au milieu de ces grands et superbes objets, le petit terrain où nous étions, étalait les charmes d'un séjour riant et champêtre; quelques ruisseaux filtraient à travers les rochers, et roulaient sur la verdure, en filets de cristal. Quelques arbres fruitiers sauvages penchaient leurs têtes sur les nôtres; la terre humide et fraîche était couverte d'herbe et de fleurs. En comparant un si doux séjour aux objets qui l'environnaient, il semblait que ce lieu désert dût être l'asyle de deux amans échappés seuls au bouleversement de la nature. J. J. Rousseau.

Les petites Cultures, ou le Pré Saint-Gervais.

De combien de récoltes et d'hommes se couvrent les petites Cultures! Voyez, aux environs de Paris, le Pré Saint-Gervais. Le fond en général en est médiocre, et cependant il n'y a aucune espèce de végétal de nos climats, que l'industrie de ses cultivateurs ne lui fasse produire. On y voit à la fois des pièces de bled, des prairies, des légumes, des carrés de fleurs, des arbres à fruit et de haute futaie. J'y ai vu, dans le même champ, des cerisiers au milieu des pommes de terre, des vignes qui grimpaient sur les cerisiers, et de grands noyers qui s'élevaient au-des

sus des vignes; quatre récoltes l'une sur l'autre, dans la terre, sur la terre, et dans l'air. On n'y voit point de haies qui y partagent les possessions, non plus que si c'était au temps de l'âge d'or. Souvent un jeune paysan avec un panier et une échelle, monté sur un arbre fruitier vous présente l'image de Vertumne ; tandis qu'une jeune fille qui chante dans quelque détour du vallon, pour en étre aperçue, vous rappelle celle de Pomone.

Bernardin de Saint-Pierre. Etudes de la Nature.

Le Lys et la Rose.

Pour me montrer le caractère d'une fleur, les botanistes me la font voir sèche, décolorée et étendue dans un herbier. Est-ce dans cet état où je reconnaîtrai un lys? N'est-ce pas sur le bord d'un ruisseau, élevant au milieu des herbes sa tige auguste, et refléchissant dans les eaux ses beaux calices plus blancs que l'ivoire, que j'admirerai le Roi des vallées? Sa blancheur incomparable n'est-elle pas encore plus éclatante quand elle est mouchetée, comme des gouttes de corail, par de petits scarabées écarlates, bémisphériques, piquetés de noir, qui y cherchent presque toujours un asyle? Qui est-ce qui peut reconnaître dans une rose sèche la reine des fleurs? Pour qu'elle soit à la fois un objet de l'amour et de la philosophie, il faut la voir, lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zéphir la balance sur sa tige hérissée d'épines, que l'aurore l'a couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son éclat et par ses parfums la main des amans. Quelquefois une cantharide, nichée dans sa corolle, en relève le carmin par son vert d'émeraude: c'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidité, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein. Le même..

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