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que roulent ses flots, et des dépouilles de la terre ! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes; le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlans et liquides, des flots de cendre et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chute, s'accumulaient au bord de ces gouffres ouverts! Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore. Sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondemens.

Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce ríche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le Roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan.. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent, et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rocher brûlans, qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots

étincelans à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond!

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur, se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns tremblans, s'élancent hors du temple; les autres consternés, embrassent l'autel de leur Dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête; et, courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir.

Marmontel. Les Ineas.

La Cataracte de Niagara.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sau

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vages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours. Chateaubriand. Génie du Christianisme.

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La Vallée de Tempé.

Les montagnes sont couvertes de peupliers, de platanes, de frênes d'une beauté suprenante. De leur pied jaillissent des sources d'une eau pure comme le crystal; et, des intervalles qui séparent leurs sommets, s'échappe un air frais que l'on respire avec une volupté secrète. Le fleuve présente presque partout un canal tranquille; et, dans certains endroits, il embrasse de petites îles, dont il éternise la verdure. Des grottes percées dans les flancs des montagnes, des pièces de gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l'asyle du repos et du plaisir. Ce qui nous étonnait le plus, était une certaine intelligence dans la distribution des ornemens qui parent ces retraites. Ailleurs, c'est l'art. qui s'efforce d'imiter la nature; ici on dirait que la nature veut imiter l'art. Les lauriers, et différentes. sortes d'arbrisseaux, forment d'eux-mêmes des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de bois placés au pied de l'Olympe. Les rochers sont tapissés d'une espèce de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc, s'entrelacent dans leurs branches, et tombent en festons et en guirlandes. Enfin, tout présente en ces beaux lieux la décoration la plus riante. De tous côtés l'œil semble respirer la fraîcheur, et l'âme recevoir un nouvel esprit de vie.

Barthélemy. Voyage d'Anacharsis.

Le Patriarche des Champs sur la fin d'un beau jour.

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Je t'entends invoquer cet astre bienfaisant, heureux vieillard, toi qu'une vie de près d'un siècle, une vie aussi pure que les plus clairs ruisseaux, rend vénérable à tous les mortels: je t'entends; tu l'invoques et le bénis avec allégresse, quand sur la fin d'un beau jour tu reviens à pas tardifs des champs longtemps cultivés par tes mains, suivant avec des yeux attendris les enfans de tes fils.

Les uns, chargés des trésors de Pomone, te prennent les mains en souriant, et les remplissent de fruits; ils te montrent du doigt un nid d'oiseau qu'ils ont découvert dans ce buisson épais, et que, pour les contenter, tu feins de voir d'un air satisfait. Les autres, suspendus à ton cou, te prodiguent de doux baisers; d'autres conduisent devant toi tes nombreux troupeaux qui descendent en bêlant de cette colline verdoyante; ils t'invitent à çaresser leur chien vigilant qui vient de sauver leur mouton le plus beau, en l'arrachant avec ardeur d'entre les dents ensanglantées d'un loup affamé.

Ceux-ci comptent de l'œil de jeunes agneaux, et se réjouissent de les ramener au bercail sans en avoir égaré un seul; ceux-là, montés sur un âne indocile qu'ils pressent inutilement, et dont l'aiguillon ne peut accélérer la marche paisible, essaient les pipeaux qu'ils ont taillés eux-mêmes, et chantent des airs rustiques qu'ils se plaisent à faire redire cent fois aux échos des vallons.

Dieux immortels! vous récompensez ainsi la simple vertu les ombres heureuses des Champs Elysées ne jouissent pas d'une félicité plus pure, ni de délices plus parfaites. O respectable vieillard! tu as vu déja quatre-vingt-dix moissons, et ta vie a été un printemps continuel; la source du bonheur est dans ton cœur, et ce bonheur est le prix de l'inno

cence.

Héros de l'humanité ! tu approches enfin de ta cabane que tu voyais fumer de loin à travers ces tilleuls et ces figuiers touffus qui en dérobent une partie aux

yeux. Là un repas frugal t'attend: vas t'asseoir au milieu de ta famille, et partager avec elle ce pain frais, ces fruits, ce lait que des mains pures ont préparés; vas renouveller tes forces dans les bras d'un sommeil tranquille, et ranimer cette vigueur que ni les glaces de l'âge, ni le bras d'airain de la pesante vieillesse n'ont pu énerver. Déjà tes paupières se ferment, tes mains tombent de lassitude, ta tête chancelle et s'appesantit insensiblement; tu t'endors dans la paix jusqu'à ce que le lever de l'astre du jour te rappelle à tes travaux.

1

Quels désirs, quels voeux peux-tu former? Tes champs sont couverts d'épis dorés, tes vignés couronnées de pampres et de raisins, tes arbres chargés de fruits odorants, tes troupeaux nombreux et féconds, la verdure riante de tes prés, ces fontaines pures qui les arrosent et ne tarissent jamais; tout favorise, tout prévient tes souhaits. Entends le murmure de ce ruisseau; vois-le réfléchir dans l'azur de ses flots limpides, l'éclat des astres reproduits et multipliés sur la surface tremblante de ses eaux ; entends le chant de ces rossignols qui expriment avec tant de douceur et d'harmonie leurs innocentes amours; ces Zéphirs qui soupirent dans les rameaux de ce vieux chêne, et les agitent mollement.

Vois ces légions d'étoiles qu'aucun nuage n'obscurcit, la Lune qui roule paisiblement son char d'argent dans un ciel pur et brillant: vois comme la douce rosée mouille ces humbles arbustes et ces saules vacillants; comme elle blanchit ces vastes prairies, comme elle luit de l'éclat des plus vives couleurs en tombant sur ce gazon et sur les fleurs dont cette plaine est émaillée ; comme elle sème de perles étincelantes l'hyèble et le serpolet, la marjolaine et l'amaranthe.

Vois ces faunes qui abandonnent leur grottes, ces satyres qui sortent du creux de ces vieux érables, autour desquels le lierre agreste s'élève en serpentant; vois ces dryades timides se poursuivre légèrement à travers ces épaisses forêts, où elles s'enfoncent et se cachent de manière à être aperçues; vois-les, se tenant par la main, folâtrer sur le gazon qui plie à peine

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