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proie, le fracas d'un torrent qui se précipite d'une roche escarpée, rejaillit en vapeur, et fait gronder les échos de ces lieux bruts et incultes, ou le bruit des rochers que la main du temps fait rouler au milieu de ces forêts retentissantes.

Là, habitent dans des cavernes, des hommes durs, féroces, indomptables, ne vivant que de leur chasse, ne se nourrissant que de sang, et ne désirant que de le boire dans le crâne de leurs ennemis. Lorsque l'hiver vient étendre ses glaces sur ces âpres contrées, qu'il répand à grands flots la neige, que les eaux cessent de couler, se glacent et se durcissent; que les fleuves sont changés en masse solide, capable de soutenir les plus lourds fardeaux, et que la mer ne présente plus qu'une plaine rigide de glace dure et compacte, ces hommes féroces sortent de leurs tanières. Tout va leur servir de chemin; ils trouveront même, sur la mer et sur les fleuves, des routes plus sûres, plus courtes et moins embarrassées que celles qui traversent leurs forêts. La massue d'une main et la hache de l'autre, ils partent pour aller au loin surprendre les animaux dont ils se nourrissent, et enlever des bourgades entières pour servir à leurs repas inhumains. Ils vont donner la mort ou peutêtre la recevoir. Pressés par la faim, agités par la férocité, pleins de courage, de cruauté et de force, s'animant par le souvenir de leurs victoires passées, cherchant à s'étourdir sur le danger qui les menace, ils profèrent à haute voix l'expression de leurs sensations profondes et horribles; ils crient, ils élèvent leurs voix avec effort, et tâchent d'en remplir tous les lieux qu'ils parcourent: un enthousiasme atroce s'empare de leur âme; une espèce de chant sauvage, une chanson barbare sort de leur bouche avec leurs paroles de mort et de carnage.

Lacépède. Poétique de la Musique.

De la Nature dans l'Amérique méridionale.

Dans ces contrées de l'Amérique méridionale, où la nature plus active, fait descendre à grands flots, du sommet des hautes Cordillières, des fleuves immenses, dont les eaux s'étendant en liberté, inondent au loin des campagnes nouvelles, et où la main de l'homme n'a jamais opposé aucun obstacle à leur cours; sur les rives limoneuses de ces fleuves rapides, s'elèvent de vastes et antiques forêts. L'humidité chaude et vivifiante qui les abreuve devient la source intarissable d'une verdure toujours nouvelle pour ces bois touffus, image sans cesse renaissante d'une fécondité sans bornes, et où il semble que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plaît à entasser les germes productifs. Les végétaux ne croissent pas seuls au milieu de ces vastes solitudes; la nature a jeté sur ces grandes productions la variété, le mouvement et la vie. En attendant que l'homme vienne régner au milieu de ces forêts, elles sont le domaine de plusieurs animaux qui, les uns par la beauté de leurs écailles, l'éclat de leurs couleurs, la vivacité de leurs mouvemens, l'agilité de leur course, les autres par la fraîcheur de leur plumage, l'agrément de leur parure, la rapidité de leur vol, tous, par la diversité de leurs formes, font, des vastes contrées du Nouveau-Monde, un grand et magnifique tableau, une scène animée, aussi variée qu'immense. D'un côté, des ondes majestueuses roulent avec bruit; de l'autre, des flots écumans se précipitent avec fracas des rochers élevés, et des tourbillons de vapeurs réfléchissent au loin les rayons éblouissans du soleil; ici, l'émail des fleurs se mêle au brillant de la verdure, et est effacé par l'éclat plus brillant encore du plumage varié des oiseaux; là, des couleurs plus vives, parce qu'elles sont renvoyées par des corps plus polis, forment la parure de ces grands quadrupèdes ovipares, de ces gros lézards que l'on est tout étonné de voir décorer le sommet des arbres, et partager la demeure des habitans ailés. Le même. Histoire Naturelle des Qvipares.

Le Spectacle d'une belle nuit dans les déserts du
Nouveau-Monde.

Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monta peu à peu dans le ciel tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée, tantôt elle reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écume, ou formaient dans les cieux des - bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène sur la terre n'était pas moins ravissante ; le jour bleuâtre et velouté de la lunê descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés ça et là dans la savane, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissemens rares et interrompus de la hulotte; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulemens solennels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans des langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En-vain, dans nos champs cultivés, l'imag

ination cherche à s'étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes; mais dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu.

Chateaubriand. Génie du Christianisme.

Le Grand Général et son Armée, au moment d'une Bataille.

Quel moment qu'une bataille, pour un homme tel que Catinat, déjà familiarisé avec l'art de vaincre, et capable de la considérer en philosophe, en même temps qu'il la dirigeait en guerrier! Quel spectacle, que cette foule d'hommes rassemblés de toutes parts, qui tous semblent n'avoir alors d'autre âme que celle que leur donne le Général; qui, agrandis les uns par les autres, élevés au-dessus d'eux-mêmes, vont exécuter des prodiges dont peut-être chacun d'eux, abapdonné à ses propres forces, n'eût jamais conçu l'idée ! Ab! la multitude est dans la main du grand homme; on n'en fait rien qu'en la transformant, pour ainsi dire, qu'en faisant passer en elle un instinct qui la domine, et qu'elle n'est pas maîtresse de repousser. Alors le péril, la mort, la crainte, les petits intérêts, les passions viles s'éloignent et disparaissent; le cri de l'honneur, plus fort, plus imposant, plus retentissant que le bruit des instrumens militaires, et que le fracas des foudres, fait naître dans tous les esprits un même enthousiasme; le Général le meut, le dirige, l'anime, et ne le ressent pas; seul, il n'en a pas besoin. La pensée du salut de tous le remplit sans l'agiter; elle occupe toutes les forces de sa raison recueillies. Tout ce qui se fait de grand lui appartient, et lui-même est au-dessus de cette grandeur. Son œil, toujours attaché sur la victoire, la suit dans tous les mouvemens qui semblent l'éloigner ou la rapprocher; il la fixe, l'enchaîne enfin, et voyant

alors tout le sang qu'elle a coûté, il se détourne du carnage, et se console en regardant la patrie.

La Harpe. Eloge de Catinat.

Le Culte du Feu.

C'est dans les climats où le froid exerce un long empire, où réside l'hiver accompagné de glaces perpétuelles et accumulées, que la découverte du feu a été une faveur du ciel, un bienfait pour l'humanité. L'homme qui sentait prêtes à se glacer les sources de la vie, a dû croire que la vie lui était rendue. Le froid est un ennemi que lui suscitait la nature; le feu qui le combat, qui le force à disparaître, ne pouvait être qu'un Dieu bienfaisant et secourable. Vous imaginez combien l'essence même du feu a favorisé ces idées; le feu, remarquable par le mouvement le plus actif, par la puissance qu'il a de tout détruire! on lui a livré les troncs des arbres, les dépouilles mortes de la terre, et on lui a dit : consumez, vivez, pourvu que nous vivions. En même temps le feu a présenté à l'homme attristé par l'absence du soleil, vivant dans la nuit, une lumière consolante; il a éclairé les ténèbres d'une partie de l'année, il en a chassé l'ennui, la peur et toutes les chimères qui voltigent dans l'ombre. It a donc réchauffé les corps glacés, et ranimé, égayé les imaginations devenues sombres comme la terre. Ces services valaient bien des autels. Mais ce feu produit par la foudre descendue des cieux, ou donné par le hasard, par le choc d'un caillou; ce feu, né au sein des glaces, et qui dût y paraître étranger, vous jugez comme il a dû être précieux! on craignit de le perdre et de ne pouvoir le retrouver. De là le soin de le conserver, ce soin sacré confié à des prêtres, à des vierges pures comme lui. Bailly. Lettres sur l'Atlantide.

Le Volcan de Quito.

Heureux les peuples qui cultivent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables

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