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brisés et de leurs branches fracassées. Des dents de rochers, détachées, marquaient la place des torrens ; leur lit profond était bordé d'un nombre effrayant d'animaux doux, cruels, timides, féroces, qui avaient été submergés et revomis par les eaux.

Cependant ces eaux écoulées, laissaient les bois et les campagnes se ranimer aux feux du jour naissant. Le ciel semblait avoir fait la paix avec la terre, et lui sourire en signe de faveur et d'amour. Tout ce qui respirait encore, recommençait à jouir de la vie ; les oiseaux, les bêtes sauvages, avaient oublié leur effroi ; car le prompt oubli des maux est un don que la nature leur a fait, et qu'elle a refusé à l'homme.

Marmontel. Les Incas.

L'Eruption d'un Volcan et ses ravages.

Tout à coup au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreilles; ils entendent de loin la mer mugir, et rouler vers le rivage ses ondes amoncelées; les souterrains profonds sont frappés à coups redoublés, la terre tremble sous leurs pas; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine s'entrouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente, qui répand au milieu de l'obscurité une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe, une mer de feu, s'avançant avec rapidité, inonde les campagnes à son approche; les forêts s'embrasent; la surface de la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie, qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortunés? de quelque côté que vous cherchiez un asyle, comment éviterez-vous la mort qui vous menace? de nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas, de nouveaux tourbillons de flamme, de pierre, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes; et la mer écu

meuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage, et s'avance pour vous engloutir.

Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu à peu; les feux s'amortissent; la mer, à demi calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes; la terre se raffermit; le bruit cesse, et le jour paraît. Quel triste et lugubre tableau présente la campagne ravagée! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés sans ordre, que des torrens de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets funèbres qu'une clarté pâle et terne: un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs; et la mer répond par de sourds gémissemens au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est courte, mais touchante; ils la recommencent souvent, et chaque fois avec un ton plus pénétré; ils cherchent en quelque sorte à faire parvenir leur voix jusques à l'être dont ils implorent la clémence: tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent, et qu'ils soutiennent avec effort.

Lacepède. Poétique de la Musique.

La Peste d'Athènes.

Jamais ce fléau terrible ne ravagea tant de climats. Sorti de l'Ethiopie, il avait parcouru l'Egypte, la Libye, une partie de la Perse, l'île de Lemnos, et d'autres lieux encore. Un vaisseau marchand l'introduisit sans doute au Pirée, où il se manifesta d'abord; de là il se répandit avec fureur dans la ville,

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et surtout dans ces demeures obscures et mal saines, où les habitans de la campagne se trouvaient entassés.

Le mal attaquait successivement toutes les parties du corps: les symptômes en étaient effrayans, les progrès rapides, les suites presque toujours mortelles. Dès les premières atteintes, l'âme perdait ses forces, le corps semblait en acquérir de nouvelles, et c'était un cruel supplice de résister à la maladie, sans pouvoir résister à la douleur. Les insomnies, les terreurs, des sanglots redoublés, des convulsions effrayantes, n'étaient pas les seuls tourmens réservés aux malades. Une chaleur brûlante les dévorait intérieurement. Couverts d'ulcères et de taches livides, les yeux enflammés, la poitrine oppressée, les entrailles déchirées, exhalant une odeur fétide de leur bouche souillée d'un sang impur, on les voyait se traîner dans les rues, pour respirer plus librement; et ne pouvant éteindre la soif brûlante dont ils étaient consumés, se précipiter dans des puits ou dans des rivières couvertes de glaçons.

La plupart périssaient au septième ou au neuvième jour. S'ils prolongeaient leur vie au delà de ces termes, ce n'était que pour éprouver une mort plus douleureuse et plus lente.

Ceux qui ne succombaient pas à la maladie n'en étaient presque jamais atteints une seconde fois. Faible consolation! car ils n'offraient plus aux yeux que les restes infortunés d'eux-mêmes. Les uns avaient perdu l'usage de plusieurs de leurs membres; les autres ne conservaient aucune idée du passé : heureux sans doute d'ignorer leur état ; mais ils ne pouvaient reconnaître leurs amis.

Le même traitement produisait des effets tour à tour salutaires et nuisibles: la maladie semblait braver les règles de l'expérience. Comme elle infestait aussi plusieurs provinces de la Perse, le Roi Artaxerxès résolut d'appeler à leur secours le célèbre Hippocrate, qui était alors dans l'île de Cos: il fit briller à ses yeux de l'or et des dignités; mais le grand homme répondit au grand Roi qu'il n'avait ni besoins,

ni désirs, et qu'il se devait aux Grecs plutôt qu'à leurs ennemis. Il vint ensuite offrir ses services aux Athéniens, qui le reçurent avec d'autant plus de reconnaissance, que la plupart de leurs médecins étaient morts victimes de leur zèle; il épuisa les ressources de son art, et exposa plusieurs fois sa vie. S'il n'obtint pas tout le succès que méritaient de si beaux sacrifices et de si grands talens, il donna du moins des consolations et des espérances. On dit que, pour purifier l'air, il fit allumer des feux dans les rues d'Athènes; d'autres prétendent que ce moyen fut employé, avec quelque succès, par un médecin d'Agrigente, nommé Acron.

Ön vit, dans les commencemens, de grands exemples de piété filiale, d'amitié généreuse; mais comme ils furent presque toujours funestes à leurs auteurs, ils ne se renouvelèrent que rarement dans la suite. Alors les liens les plus respectables furent brisés; les yeux, près de se fermer, ne virent de toutes. parts qu'une solitude profonde, et la mort ne fit plus couler de larmes.

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Cet endurcissement produisit une licence effrénée. La perte de tant de gens de bien, confondus dans un même tombeau avec les scélérats, le renversement de tant de fortunes, devenues tout à coup partage ou la proie des citoyens les plus obscurs, frappèrent vivement ceux qui n'ont d'autre principe que la crainte. Persuadés que les Dieux ne prenaient plus d'intérêt à la vertu, et que la vengeance des lois ne serait pas aussi prompte que la mort dont ils étaient menacés, ils crurent que la fragilité des choses bumaines leur indiquait l'usage qu'ils en devaient faire, et que, n'ayant plus que peu de momens à vivre, ils devaient du moins les passer dans le sein des plaisirs.

Au bout de deux ans, la peste parut se calmer. Pendant ce repos, on s'aperçut plus d'une fois que le germe de la contagion n'était pas détruit: il se développa dix-huit mois après; et, dans le cours d'une année entière, il reproduisit les mêmes scènes de deuil et d'horreur. Sous l'une et l'autre époque, il

périt un très-grand nombre de citoyens, parmi lesquels il faut compter près de cinq mille hommes en état de porter les armes. La perte la plus irréparable fut celle de Périclès, qui, dans la troisième année de la guerre, mourut des suites de la maladie.

Barthélemy. Voyage d'Anacharsis.

La Mort de Marc Aurèle.

Qui de vous, Romains,* ne faisait des vœux pour que ce grand homme fût immortel, ou que les Dieux lui accordassent du moins une longue vieillesse ? Quoi! les âmes bienfaisantes sont si rares, et la terre en jouit si peu ! Quoi! les maux nous environnent, ils nous assiégent, et lorsqu'il s'élève un Prince, dont l'unique soin est de les adoucir, quand le genre humain, flétri par l'infortune, se relève et commence à retrouver le bonheur, l'appui qui le soutenait lui échappe, et avec un homme périt la félicité d'un siècle Marc-Aurèle resta encore deux ans parmi nous, quand les ennemis éternels de cet empire le rappelèrent pour la troisième fois au fond de la Germanie. Alors, malgré une santé languissante, il retourna aux rives du Danube. C'est au milieu de ces travaux que nous l'avons perdu. Ses derniers momens (j'en ai été témoin, et je puis vous en rendre compte) ont été ceux d'un grand homme et d'un sage. La maladie dont il fut attaqué ne le troubla point. Accoutumé depuis cinquante ans à méditer sur la nature, il avait appris à connaître ses lois, et à s'y soumettre. Je me souviens qu'un jour il me disait: "Apollonius, tout change autour de moi; l'univers d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier, et celui de demain ne sera point le même. Parmi tous ces mouvemens, puis-je seul rester immobile? Il faut aussi que le torrent m'entraîne. Tout m'avertit

*Le philosophe Apollonius, son instituteur et son ami, fait ce récit au milien de Rome.

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