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SERMON

POUR LE VENDREDI

APRÈS LES CENDRES.

Opposition de l'homme à la concorde. Dette de la charité fraternelle, ses obligations, ses caractères : jusqu'où doit s'étendre l'amour des ennemis: comment on doit combattre leur haine : vengeance qui nous est permise contre eux.

Diligite inimicos vestros, benefacite his qui oderunt vos, et orate pro persequentibus et calumniantibus vos.

Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous haïssent; priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. Matth. v. 44.

L'HOMME est celui des animaux qui est le plus né pour la concorde, et l'homme est celui des animaux où l'inimitié et la haine font de plus sanglantes tragédies. Nous ne pouvons vivre sans société, et nous ne pouvons aussi y durer long-temps: Nihil est homini amicum sine homine amico (1). La douceur de la conversation et la nécessité du commerce nous font désirer d'être ensemble; et nous n'y pouvons demeurer en paix : nous nous cherchons, nous nous déchirons; et dans une telle contrariété de nos dé(1) S. Aug. Epist. ad Prob. n. 4, tom. 11, col. 384.

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sirs, nous sommes contraints de reconnoître avec le grand saint Augustin, qu'il n'est rien de plus sociable ni de plus discordant que l'homme : le premier, par la condition de notre nature; le second, par le déréglement de nos convoitises: Nihil est quàm hoc genus tam discordiosum vitio, tam sociale natura (1). Le Fils de Dieu voulant s'opposer à cette humeur discordante, et ramener les hommes à cette unité que la nature leur demande, vient aujourd'hui lier les esprits par les nœuds d'une charité indissoluble; et il ordonne que l'alliance, par laquelle il nous unit en lui-même, soit si sainte, si ferme, si inviolable, qu'elle ne puisse être ébranlée par aucune injure. «< Aimez, dit-il, vos ennemis, faites du » bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux » qui vous persécutent et vous calomnient ». Une vérité si importante mérite bien, Messieurs, d'être méditée; [et pour le faire avec fruit, invoquons] l'Esprit de paix [par l'intercession de Marie, ] qui a porté en ses entrailles [ celui ] qui a terminé toutes les querelles, et tué toutes les inimitiés en sa personne (2). Ave.

LA charité fraternelle est une dette par laquelle nous nous sommes redevables les uns aux autres; et non-seulement c'est une dette, mais je ne crains point de vous assurer que c'est la seule dette des chrétiens, selon ce que dit l'apôtre saint Paul: Nemini quidquam debeatis, nisi ut invicem diligatis (3). « Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer col.

(1) S. Aug. de Civ. Dei, lib. x11, cap. xxvii. n. 1, tom. VII, 325.(2) Ephes. 11. 14, 15, 16. — (3) Rom. x111. 8.

» mutuellement ». Comme l'Evangile que je dois traiter m'oblige à vous parler de cette dette, pour ne point perdre le temps inutilement, dans une matière si importante, je remarquerai d'abord trois conditions admirables de cette dette sacrée, que je trouve distinctement dans les paroles de mon texte, et qui feront le partage de ce discours. Premièrement, Messieurs, cette dette a cela de propre, que quelque soin que nous prenions de la bien payer, nous ne pouvons jamais en être quittes. Et cette obligation va si loin, que celui-là même à qui nous devons ne peut pas nous en décharger, tant elle est privilégiée et indispensable. Secondement, Messieurs, ce n'est pas assez de payer fidèlement cette dette aux autres; mais il y a encore obligation d'en exiger autant d'eux. Vous devez la charité, et on vous la doit et telle est la nature de cette dette, que vous devez non-seulement la recevoir quand on vous la paie, mais encore l'exiger quand on la refuse et c'est la seconde condition de cette dette mystérieuse. Enfin la troisième et la dernière, c'est qu'il ne suffit pas de l'exiger simplement : si l'on ne veut pas la donner de bonne grâce, il faut en quelque sorte l'extorquer par force, et pour cela demander main forte à la puissance supérieure.

Retenez, s'il vous plaît, Messieurs, les trois obligations de cette dette de charité, et remarquez-les clairement dans les paroles de mon texte.

Je vous ai dit avant toutes choses que nous ne pouvons jamais en être quittes, quand même ceux à qui nous devons voudroient bien nous la remettre. Voyez-le dans notre Evangile. Ah! vos ennemis

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vous en quittent; ils n'ont que faire, disent-ils, de votre amitié et néanmoins, dit le Fils de Dieu, je veux que vous les aimiez : Diligite inimicos vestros: « Aimez vos ennemis ». Secondement j'ai dit que non content de payer toujours cette dette, vous la deviez encore exiger des autres, et qu'il y a obligation de le faire. Ah! vos ennemis vous la refusent, exigez-la par vos bienfaits, vos services, vos bons offices; pressez-les en leur faisant du bien : Benefacite his qui oderunt vos : « Faites du bien à ceux qui vous haïssent ». Enfin j'ai dit en troisième lieu, Messieurs, que s'ils persistent toujours dans cet injuste refus, il faut, pour ainsi dire, les y contraindre par les formes, c'est-à-dire avoir recours à la puissance supérieure. Ah! vos ennemis opiniâtres sont insensibles à vos bienfaits, ils résistent à toutes ces douces contraintes que vous tâchez d'exercer sur eux pour les obliger à vous aimer; allez à la puissance suprême, donnez votre requête à celui qui seul est capable de fléchir les cœurs, qu'il vous fasse faire justice: Orate pro persequentibus vos : « Priez » pour ceux qui vous persécutent ». Voilà les trois obligations de la charité fraternelle, que je me propose de vous expliquer avec le secours de la grâce.

PREMIER POINT.

DANS l'obligation de payer cette dette mystérieuse de la charité fraternelle, je trouve deux erreurs très-considérables, qu'il est nécessaire que nous combattions par la doctrine de l'Evangile. La première est celle des Juifs, qui vouloient bien avouer qu'ils devoient de l'amour à leurs prochains, mais

qui ne pouvoient demeurer d'accord qu'ils dussent rien à leurs ennemis, au contraire qui se croyoient bien autorisés à leur rendre le mal pour le mal et la haine pour la haine : Dictum est : Diliges proximum tuum, et odio habebis inimicum tuum (1): « Il a été » dit: Vous aimerez votre prochain, et vous haïrez » votre ennemi ». La seconde est celle de quelques chrétiens, qui, ayant appris de l'Evangile l'obligation indispensable d'avoir de l'amour pour leurs ennemis, croient s'être acquittés de ce devoir quand ils leur ont donné une fois ou deux quelques marques de charité, et se lassent après de continuer ce devoir si saint et si généreux et nécessaire de la fraternité chrétienne. Contre ces deux erreurs différentes j'entreprends de prouver en premier lieu, Messieurs, que nous devons de l'amour à nos ennemis, encore qu'ils en manquent pour nous: secondement, que ce n'est pas assez de leur en donner une fois, mais que nous sommes obligés, dans toutes les occasions qui se rencontrent, de leur réitérer des marques d'une dilection persévérante.

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Pour ce qui regarde l'obligation de la charité fraternelle, je dis, ou plutôt c'est Jésus-Christ, Messieurs, c'est l'Evangile qui le dit, qu'aucun des chrétiens n'en est excepté, non pas même nos ennemis; parce qu'ils sont tous nos prochains. Et pour établir solidement cette vérité évangélique, proposons en peu de paroles les raisons que l'on y pourroit opposer. Voici donc ce que pensent les hommes charnels qui se flattent dans leurs passions et dans leurs haines injustes. Nous confessons, disent-ils, (1) Matt. v. 43.

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