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table; mais il eft inégal. Ses premières comédies font sèches, languiffantes, & ne laiffoient pas espérer qu'il dût enfuite aller fi loin; comme fes dernières font qu'on s'étonne qu'il ait pu tomber de fi haut. Dans quelques-unes de fes meilleures pièces, il y a des fautes inexcufables contre les moeurs, un style de déclamateur qui arrête l'action & la fait languir, des négligences dans les vers & dans l'expreffion, qu'on ne peut comprendre en un fi grand homme. Ce qu'il y a eu en lui de plus éminent, c'eft l'efprit, qu'il avoit fublime, auquel il a été redevable de certains vers, les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de fo

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théâtre qu'il a quelquefois hafardée contre les règles des anciens, & enfin de fes dénouemens; car il ne s'eft pas toujours affujetti au goût des Grecs & à leur grande fimplicité il a aimé au contraire à charger la fcène d'événemens dont il eft prefque toujours forti avec fuccès; admirable fur-tout par l'extrême variété & le peu de rapport qui fe trouve pour le deffin, entre un fi grand nombre de poëmes qu'il a compofés. Il femble qu'il y ait plus de reffemblance dans ceux de Racine, & qu'ils tendent un peu plus à une même chose; mais il eft égal, foutenu; toujours le même par-tout, foit pour le defin & la conduite de fes pièces, qui font

juftes, régulières prifes dans le bon fens & dans la nature, foit pour la verfification, qui eft correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieufe; exact imitateur des anciens, dont il a fuivi fcrupuleufement la netteté & la fimplicité de l'action; à qui le grand & le merveilleux n'ont pas même manqué, ainfi qu'à Corneille ni le touchant, ni le pathétique. Quelle plus grande tendreffe que celle qui eft répandue dans tout le Cid, dans Polieude, & dans les Horaces? Quelle grandeur ne fe remarque point en Mithridate, en Porus & en Burrhus ? Ces paffions encore favorites des anciens, que les tragiques aimoient à exci

ter fur les théâtres, & qu'on nomme la terreur & la pitié, ont été connues de ces deux poëtes. Orefte dans Andromaque de Racine, & Phèdre du même auteur, comme l'Edipe & les Horaces de Corneille, en font la preuve. Si cependant il eft permis de faire entr'eux quelque comparaifon, & de les marquer l'un & l'autre par ce qu'ils ont de plus propre & par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages, peut-être qu'on pourroit parler ainfi Corneille nous affujettit à fes caractères & à fes idées, Racine fe conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devoient être, celui-ci les peint tels qu'ils font. Il y a plus dans le

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premier de ce que l'on admire, & de ce que l'on doit même imiter:

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y a plus dans le fecond de ce que l'on reconnoît dans les autres, ou de ce que l'on éprouve dans foi-même. L'un élève, étonne, maîtrise, inftruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plus noble & de plus impérieux dans la raison, eft manié par le premier; & par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteur & de plus délicat dans la paffion. Ce font dans celui-là des maximes, des règles & des préceptes; & dans celui-ci du goût & des fentimens. L'on eft plus occupé aux pièces de Corneille : l'on est plus ébranlé & plus attendri à celles de

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