Page images
PDF
EPUB

«

d'agrément et d'esprit. Mais il insiste, non sans raison, sur le Mirabeau de 1789. Il montre l'enfant de la Provence acclamé par les Provençaux qui retrouvent en lui une nature essentiellement méridionale, véhémente, passionnée, et, tout en notant ces emportements et ces traits de caractère qui trahissent l'origine, il marque finement les retours de bon sens, les éclairs de raison, tout ce qui fait du révolutionnaire un modérateur et un sage. Signalons surtout les pages consacrées aux relations de Mirabeau avec la cour et à sa grande évolution politique ; << la raison, d'accord avec l'intérêt, l'emporta sur la passion, et l'homme d'État, averti et effrayé par les événements, essaya de calmer les orages que le tribun du peuple avait contribué à déchaîner » (p. 228). M. M. n'est peut-être pas assez sévère envers ce Lafayette que Mirabeau nommait Gilles César; mais il analyse fort bien l'état d'âme de Mirabeau, se faisant payer par le roi pour exprimer son opinion personnelle sur les affaires publiques : « De tous les marchés qu'il avait conclus, c'est encore le plus honnête » (p. 252). Il résume parfaitement les mémoires ou notes que Mirabeau adressait à la cour 1 et toute cette correspondance où << l'on sent le frémissement intérieur d'un homme qui aspire à gouverner, mais qui s'épuise en objurgations désespérées pour faire passer quelque chose de son énergie dans des âmes inertes » (p. 308), et il nous amène à conclure avec lui que le tribun en arrivait, pour sauver la royauté et réduire l'anarchie, à rétablir un pouvoir absolu. Le tableau des derniers instants de Mirabeau et un jugement sur l'homme, le politique et l'orateur terminent cet attachant volume. M.M.ne cache pas l'immoralité, la vénalité, la duplicité de l'homme : « vivre aux dépens d'une femme, d'un banquier, d'un ministre, écrire des libelles contre son père au profit d'une mère dont il connaît les torts et la honte, présider la Société des Jacobins, y couvrir de fleurs les Lameth, et en même temps les dénoncer à la cour, être à la fois le chef le plus ardent du parti populaire et le conseiller salarié de la reine, voilà des actes qui ne lui coûtent à accomplir ni un scrupule ni un remords. Machiavel aurait reconnu en lui une âme italienne avec des profondeurs insondables de corruption et d'astuce » (p. 331-332). Mais le critique ne manque pas de faire la part du siècle, de la race, de la famille, et il montre que l'hérédité qui déprave Mirabeau par certains côtés, le relève par d'autres. Il apprécie la valeur de l'œuvre qui nous reste. Il avait retracé déjà (p. 162-167) l'étendue et la variété des connaissances de son héros et la supériorité que lui donnait sur ses collègues une vie pleine d'aventures et de labeur; il juge, cette fois, l'œuvre oratoire et tout en notant, pas assez fortement peut-être, le ton emphatique, tout en appréciant, avec trop d'indulgence, selon nous, et trop brièvement, les procédés de style, et en oubliant ce qu'il y a de pénible et d'un peu filandreux dans les discours de Mirabeau, il admire l'abon

1. M. M. fait, à ce propos, des réflexions très justes sur la publication de Bacourt.

dance des vues, la vigueur et le relief de la pensée, cette langue qui vise tantôt à l'ampleur, tantôt à la concision. L'étude de M. M. mérite donc d'être lue et consultée après tant de travaux sur le même sujet 1; l'œuvre de M. Charles de Loménie lui a servi de base, et M. Mézières ne change rien au fond des choses; mais il a réussi à être vrai, il a compris et fait comprendre le génie extraordinaire de Mirabeau, et, comme il dit, «< mêlé depuis bien des années déjà à la politique active, ayant l'expérience des assemblées, il était en mesure de démêler quelques mobiles cachés des actions humaines, quelques ressorts des événements qui auraient pu échapper à la sagacité des historiens spéculatifs ».

A. CHUQUET.

597. Etude sur Alexandre Vinet, critique littéraire, par Louis MoLINES, docteur ès lettres, pasteur de l'Eglise réformée; Paris, Fischbacher, I vol. in-8 de vi-490 pages,

C'est une thèse de doctorat que cette étude sur Alexandre Vinet, et la thèse a été soutenue devant la Faculté des lettres de Montpellier. On voit qu'elle a été faite avec beaucoup de soin, et sans doute elle pourra servir à mieux faire connaître la tournure d'esprit du célèbre critique, ainsi que le caractère particulier de son talent.

CHRONIQUE

FRANCE. Nous recevons de notre collaborateur, M. Haussoullier, la note suivante. « M. KENYON a achevé le déchiffrement des fragments détachés du manuscrit d'Hérodas, dont il est parlé à la p. vi de l'Introduction de l'édition publiée par le Musée Britannique. Ces fragments paraîtront en décembre dans la Classical Review et dans notre Revue de Philologie. Les savants français sauront gré à M. Kenyon de cette attention délicate. D'ailleurs tous ceux qui se sont occupés de l'A0ŋvaiwv Todirsiz savent avec quelle bonne grâce M. Kenyon répond à leurs questions. Les nouveaux fragments sont très peu considérables: il ne reste souvent qu'un ou deux mots des 113 lignes qu'ils nous font connaître. Nous y retrouvons pourtant le titre d'une nouvelle pièce d'Hérodas, le nom d'un de ses prédécesseurs, un nouveau proverbe et quelques mots rares. >>

[ocr errors]

La librairie Delagrave commence la publication d'une suite de petits volumes sur les arts de l'ameublement. Ces volumes, rédigés par M. Henri HAVARD dont l'on sait la compétence, seront au nombre de douze. Ils contiendront chacun, en 160 pages environ, un exposé de la technique de l'art auquel ils sont consacrés, et un résumé de son histoire, le tout agrémenté par une centaine d'illustrations. Trois volumes ont déjà paru : la Menuiserie, l'Orfévrerie, la Décoration. Trois autres paraîtront dans les premiers jours de l'année prochaine : la Serrurerie, la Tapisserie et l'Horlogerie.

1. P. vII, il eut fallu citer le travail de M. Francis Decrue sur les idées politiques de Mirabeau.

416

REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETRRES

Séance du 20 novembre 1891.

M. le prince Auguste d'Arenberg, président du Comité de l'Afrique française, demande par lettre à l'Académie d'examiner si, à l'aide des ressources mises à sa disposition par le legs de M. Benoit Garnier, elle ne pourrait venir en aide au Comité pour l'exploration du bassin du Tchad.

M. Maspero présente, au nom d'un membre de la Mission archéologique française du Caire, M. P.-Hippolyte Boussac, architecte, une série de dessins en couleurs qui reproduisent l'architecture et les peintures d'un tombeau thébain de la XVIIIe dynastie, le tombeau d'Anna, grand dignitaire des rois Thoutmosis Ier, Thoutmosis II, de la reine Hatshopsitou et de son neveu Thoutmosis III. Ce tombeau est un chefd'œuvre de l'art funéraire égyptien, un modèle de la sépulture des riches particuliers égyptiens au début des grandes dynasties thébaines Il comprend un portique à piliers, ouvrant sur la plaine, d'où l'âme du mort pouvait contempler quand il lui plaisait la ville où son corps avait vécu. Outre la chambre funéraire, il contenait une galerie de statues du mort et de sa famille, et des peintures d'un pinceau délicat, d'une couleur vive et gaie on y voit des scènes de pêche, de chasse et d'agriculture, le jardin du mort, avec ses plantes rares et ses lacs d'eau vive, de longues processions de serviteurs apportant des offrandes et accomplissant des sacrifices. Le tombeau était la maison du mort, où son âme vivait, où on la nourrissait par des offrandes périodiques; ce qu'on y voyait peint sur les murs avait pour objet de lui assurer à perpétuité la jouissance des biens nécessaires à la vie. En regardant sur les murs la figure des pains, de la viande et des liqueurs qu'il désirait, il s'en donnait la réalité immédiate, et l'ombre des objets représentés était une nourriture suffisante à son ombre. «M. Boussac, ajoute M. Maspero, a copié d'autres tombeaux de même époque, que j'aurai, je l'espère, l'honneur de présenter à l'Académie l'an prochain. La publication des sépultures thebaines est une des tâches que j'ai imposées, avec l'approbation de M. Charmes, à l'activité des membres de notre Mission française. Nous avons déjà livré au public celles que M. Virey avait copiées outre M. Boussac. MM Bouriant, Bénédite, Amélineau et moi-même ont travaillé et travaillent encore à cette œuvre. J'espère qu'une trentaine d'années seront assez pour épuiser la nécropole thebaine. C'est sans préjudice de l'inventaire général des monuments que nous avons entrepris: l'Edfou de M. de Rochemonteix est sous presse, ainsi que le Médinet-Habou de M. Bouriant et le Louxor de M. Gayet. MM. Bénédite et Baillet ont copié en entier le temple de Philæ, et ce n'est pas tout; malheureusement nous ne pouvons publier aussi vite que nous copions, et il faudra des années avant que nous puissions donner au public tout ce que les membres de la Mission ont recueilli au cours de leurs laborieuses campagnes.

:

M Georges Perrot communique, au nom de la Mission archéologique française du nord de l'Afrique, des photographies des salles du Musée Alaoui, au Bardo près Tunis. On sait que la création de ce Musée est due au Service beylical des antiquités et des arts, organisé par cette Mission, sous la direction de M. René de la Bianchère.

M. Amédée Hauvette, maître de conférences à la Faculté des lettres de Paris, fait une lecture sur les fouilles récentes pratiquées dans le tumulus de Marathon par le gouvernement grec. Ce tumulus, considéré, depuis le commencement de ce siècle, comme la sépulture des combattants de Marathon, des compagnons de Miltiade, avait été fouillé sans succès en 1884 par Schliemann, qui voulait y voir un cénotaphe préhistorique. Les dernières fouilles confirment l'opinion traditionnelle, car on y a trouvé, en même temps que des ossements, des vases du vie siècle avant notre érc, ou du commencement du ve. Ouvrages présentés : - par M. de Barthélemy: THEDENAT (H.), Apollo Vindonnus; par M. Barbier de Meynard: HARLEZ (C. DE), les Religions de la Chine; M. Siméon Luce: 1° ALLAIN (l'abbé), l'Euvre scolaire de la Révolution (17891802), études critiques et documents inédits; 2o RISTELHUBER (Paul), Strasbourg et Bologne, recherches biographiques et littéraires sur les étudiants alsaciens immatriculés à l'Université de Bologne de 1289 à 1562:- par M. Gaston Paris: 1o Extraits des chroniqueurs français, publiés par MM. Gaston PARIS et A. JEANROY; 2o PLOIX (Ch.), le Surnaturel dans les contes populaires; 3o CERTEUX (A.), !es Calendriers à emblèmes hieroglyphiques; - par M. Delisle : ROBERT (Ulysse), les Signes d'infamie au moyen âge, 2e édition.

Julien HAVET.

Le Propriétaire-Gérant: ERNEST LEROUX.

Le Puy, imprimerie de Marchessou fils, boulevard Saint-Laurent, 23.

· par

D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 49

7 décembre

1891

599.

Sommaire: 598. D'ARBOIS de Jubainville, Les noms gaulois chez César. PAIS, Les Cimbres et la bataille d'Aix. 600. NENCINI, Térence et ses sources. 601-602. G. PARIS. Extraits de la chanson de Roland; G. PARIS et Jeanroy, Extraits des chroniqueurs français. 603-604. SACHSSE, La Justice de l'Inquisition; Bernard Gui et les Faux Frères. - 605. FUNK. Histoire de l'Eglise, traduite par HEMMER, 1. — 606. JADART, Bibliographie de saint Remi. 607. STRZYGOWSKY, L'Evangéliaire d'Etschmiadzin. 6o8. SOLERTI, La cour de Ferrare. 609. DELISLE, Les Mémoires de Pierre Mangon. 610. MOSTRATOS, La pédagogie d'Helvétius. 611. PETERSEN, Faust et Brand, Hamlet. 612, FAGUET, Politiques et moralistes du xx siècle. 613. Billing, Chronique colmarienne, p. p. WALTZ. 614. DRUMMOND, L'Afrique. - 615. KLUGE, Dictionnaire étymologique de la langue allemande, 5 édit., 1. Chronique. Académie des inscriptions.

[ocr errors]

598.

Les noms gaulois chez César et Hirtius, de bello gallico, par H. d'ARBOIS DE JUBAINVILLE, avec la collaboration de E. ERNAULT et G. DOTTIN. Première série : les composés dont rix est le dernier terme. Paris, 1891. xv-259 pages in-12.

M. d'Arbois de Jubainville raconte dans sa préface comment ce livre est formé de notes recueillies en vue d'un dictionnaire gaulois. M. Alfred Holder a, sur ces entrefaites, commencé la publication d'un travail du même genre. Donnant l'exemple d'un désintéressement rare, M. d'A. de J. a renoncé à son premier dessein et utilise aujourd'hui quelquesuns de ses matériaux à refaire l'ouvrage vieilli de Glück,Die bei C. Iulius Caesar vorkommenden keltischen Namen. Dans ce nouveau livre, les lecteurs de l'Origine de la propriété foncière retrouveront la même érudition puisée aux sources, la même abondance de rapprochements, le même flot tranquille de récits historiques et légendaires. Les anecdotes que conte si bien M. d'A. de J. sont si amusantes qu'on oublie facilement de lui reprocher ces digressions.

Un reproche qui pourrait paraître plus grave d'abord, porterait sur l'omission complète des questions de critique de textes. Si par hasard M. d'A. de J. cite les mss., on voit bien qu'il n'a pas d'opinion personnelle et qu'il s'en fie à autrui. Dans l'état actuel de la critique de César, les philologues ne peuvent que se louer de l'attitude prise par M. d'Arbois. de Jubainville. L'auteur leur apporte, en effet, un témoignage indépendant qui devient ainsi un élément distinct d'information. Pour comprendre cette appréciation, il n'est pas inutile de refaire brièvement l'historique de la question.

C'est Nipperdey qui a fondé la critique scientifique de César en publiant son édition de 1847. Il a reconnu deux familles de mss. du

Nouvelle série, XXXII.

49

de bello gallico qu'il a qualifiées respectivement de classe des lacunosi, réputée la meilleure (B. N. 5763, x° siècle, en est un représentant) et de classe des integri ou interpolati (B. N. 5764, x1° siècle, par exemple). Il fallait donc attacher une importance capitale à la première (a) et rejeter très loin au second plan les leçons de la seconde (ẞ). On suivit si complètement ce système qu'on en vint, comme M. A. Holder dans son édition critique, à ne donner les leçons de ẞ que très incomplètement et fort inexactement. Il faudrait donc de nouvelles collations pour trancher définitivement la question. On a pensé cependant pouvoir, dès maintenant, arriver à une conclusion différente de celle de Nipperdey. C'est ce qu'ont prouvé simultanément trois articles de la Zeitschrift für Gymnasialschulwesen de Berlin, publiés en 1885 par MM. R. Schneider et Meusel (t. XXXIX) et en 1886 (t. XL) par M. Meusel, enfin et surtout le Lexicon Caesarianum que fait paraître ce dernier depuis 1884, instrument de travail indispensable à quiconque s'occupe de César et véritable édition critique mise par ordre alphabétique des mots du texte. M. Schneider a établi que la famille ẞ était déjà constituée en 418, puisque Orose se servait d'un ms. de cette famille. De plus, il a montré, ainsi que M. Meusel, que cette classe donne en bien des cas la vraie leçon, altérée dans a et rétablie quelquefois par simple conjecture. Désormais la conduite des éditeurs doit être éclectique et l'on ne peut attacher plus d'importance à a qu'à ß.

-

Un des points sur lesquels on s'est le plus appuyé pour réhabiliter B a été l'orthographe des noms propres. Voici quelques exemples. Atrebatibus & (cf. VIII), Atrebatis a (II, 16, 2); Aulerci ẞ et Orose, VI, 8, 18; Aulurci a (III, 17, 3); — Caemani ẞ et Orose, VI, 7, 14; Paemani a (II, 4, 10); - Coriosolites, aß, sauf Curiosolites a dans III, 7, 4; Cotuatus, aß, et non Gutruatus dans VII, 3, 1 (dans VIII, 38, 5, le mot est une glose, et VIII, 38, 3, est très incertain); Deuiciacus, aß, et non Diuitiacus (il y a des divergences isolées, mais c'est très probablement l'orthographe de l'archétype); - Diablintes, Bet Orose, VI, 8,8, ßet Diablintres a; - Domnacus, ß (Hirtius) et Orose; Dumnacus a; — Metiosedum ß, et quatre fois a; Mellodunum a deux fois, deux autres fois les mss. a sont divisés; - Sotiates, ẞ et Or. VI, 18, 19; Sontiates, a; — Tribocos, ẞ et Or. VI, 7,7; Triboces a (I, 51, 2; IV, 10, 3: Tribucorum a, mais le mot manque dans 3); - Veromandui a (II, 16 2), Viromandui ß dans II, 16, 2 et tous les manuscrits dans II, 23, 4. ces différentes formes, le livre de M. d'A. de J., sur des considérations d'onomastique comparée, tranche le débat en faveur de Atrebatibus (p. 192, cf. p. 159); Coriosolites (pp. 194-195); Deuiciacus, si la première partie du mot est identique au premier élément de * Deuodurus (p. 205); Dumnacus, pour Dubnacus (p. 54); Tribocos (p. 222 et ss.); Viromandui (pp. 134-135). Il résulte de cette liste, si courte qu'elle soit, un enseignement général, c'est la valeur incontestable des leçons de ẞ qui ont le plus souvent confirmées par les déductions de M. d'Arbois de

De

« PreviousContinue »