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1664. de sa direction et les attaques de ses ennemis, rien enfin ne lui fit oublier qu'il est des malheureux à secourir. Sa vigilante bienfaisance assura l'existence de plus d'un infortuné, et c'est à un de ces actes de sa générosité générosité que l'art dramatique doit un homme qui, sans ses secours et sans ses leçons, n'eût probablement jamais été à même de faire valoir les dons heureux que la nature lui avait prodigués. Nous voulons parler du comédien Baron, qui depuis s'est justement acquis au théâtre une réputation non moins brillante et plus durable que celle que ses exploits amoureux lui ont assurée dans la chronique du temps.

Un organiste de Troyes, nommé Raisin, cherchant les moyens de gagner un peu d'argent et de soutenir sa nombreuse famille, fit faire un clavecin plus grand que les clavecins ordinaires, qui paraissait aller tout seul. Il jouait l'air que Raisin indiquait, et s'arrêtait dès qu'il le lui ordonnait. Tout Paris courut voir cette merveille, et Louis XIV, lui-même, curieux de connaître ce prodige dont il avait tant de fois entendu parler, le fit venir à Saint-Germain. La Reine assista à ces exercices, mais cette machine étonnante lui causa une surprise mêlée d'effroi. Le Roi, pour détruire cette impression, ordonna qu'on l'ouvrît sur-le-champ, et l'on en vit sortir un jeune enfant, fils de Raisin, qui commençait à se trouver

fort mal de la privation d'air, et de la longueur 1664. du concert.

Raisin essaya d'attirer la foule par d'autres divertissemens; mais ses représentations avaient perdu leur principal attrait; elles cessèrent bientôt d'être suivies. Il eut recours aux bontés de Louis XIV, auquel il exposa tout le tort que lui causait la divulgation de son secret. Le Roi, touché de sa position, lui permit d'établir à Paris une troupe d'enfans' (21).

Le jeune Baron y fut enrôlé à peu près à l'époque où cette troupe commençait à fixer l'attention de la capitale (22). Raisin étant mort, sa veuve, à laquelle ses moyens ne permettaient pas de soutenir cette entreprise, s'adressa à Molière, qui consentit à lui prêter pour quelques représentations la salle du Palais-Royal. C'est là qu'il vit le jeune Baron. Juste appréciateur de ses heureuses dispositions, il le prit avec lui, et apporta à son éducation les soins du père le plus tendre. Non content de lui donner lui-même les leçons de cet art dans lequel Baron excella depuis, il chercha encore à former son jeune cœur à la vertu, par une sage direction et par de bons exemples. Un jour son élève le prévint qu'un comédien nommé Mondorge, que Molière avait connu en province, se trouvant

1. Grimarest, p. 81 et suiv.

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1664. sans ressource, hors d'état de rejoindre sa troupe, venait implorer sa bienfaisance. Molière demanda à Baron ce qu'il fallait lui donner. << Quatre » pistoles. Donnez-lui quatre pistoles pour >> moi; mais en voilà vingt autres que je lui don» nerai pour vous; car je veux qu'il sache que c'est » à vous qu'il a l'obligation du service que je lui »rends. » Il lui fit également remettre un trèsbel habit de théâtre. Mais ce qui rehaussa probablement encore le prix de ces dons aux yeux du pauvre Mondorge, ce fut le bon accueil qu'il reçut de son ancien camarade1(23). Voltaire, M. Petitot et d'autres biographes de Molière, en omettant dans le récit de cette bonne action cette dernière particularité, lui ont gratuitement prêté l'inabordable fierté d'un grand seigneur qui charge ses gens de distribuer ses aumônes et fait faire antichambre à ses amis.

La pratique de la charité était habituelle chez lui. Un jour il montait en fiacre avec le musicien Charpentier pour revenir de la campagne à Paris. Au moment où le cocher fouettait les chevaux, Molière jeta une pièce de monnaie à un pauvre qui lui demandait l'aumône. Bientôt après il s'aperçut que le mendiant suivait en courant la voiture et fai

1. Grimarest, p. 94 et suiv.-Ibidem, p. 120 et suiv. — Mémoires sur la vie et les ouvrages de Molière, p. lix.

sait tous ses efforts pour la rejoindre. Il ordonna au 1664. cocher d'arrêter. « Monsieur, lui dit le pauvre, >> vous n'aviez probablement pas dessein de me >> donner un louis d'or. Je viens vous le rendre. Tiens, mon ami, dit Molière, en voilà un >> autre. » Puis il s'écria : « Où la vertu va-t-elle se nicher1! » Le trait peint son cœur, l'exclamation son génie.

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Nous l'avons déjà vu acquitter par le Mariage forcé une partie de la dette que les bienfaits du Roi lui avaient fait contracter. C'est encore dans ce but qu'il composa la Princesse d'Élide; mais si elle diminua ses obligations, elle ne contribua point à augmenter sa gloire. Écrite en peu de jours et versifiée seulement en partie, cette pièce concourut à l'éclat d'une journée des fêtes données à Versailles au mois de mai 1664 par le Roi à la Reine et à la Reine-mère, selon l'histoire, à mademoiselle de la Vallière, selon la chronique, fêtes auxquelles Louis sut imprimer, comme à la plupart de ses faiblesses, le cachet de sa grandeur. « Quoique cette comédie ne soit pas une >> des meilleures de Molière, a dit l'historien du » Siècle de Louis XIV, elle fut un des plus agréa>> bles ornemens de ces jeux, par une infinité d'allégories fines sur les mœurs du temps, et

1. Carpenteriana.-Voltaire, Vie de Molière, 1739, p. 27.

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1664. » par des à-propos qui font l'agrément de ces » fêtes, mais qui sont perdus pour la postérité.... » Molière y mit en scène un fou de cour. Ces mi» sérables étaient encore fort à la mode. C'était » un reste de barbarie, qui a duré plus long-temps » en Allemagne qu'ailleurs. Le besoin des amu» semens, l'impuissance de s'en procurer d'agréa»bles et d'honnêtes dans les temps d'ignorance » et de mauvais goût, avaient fait imaginer ce triste plaisir qui dégrade l'esprit humain. Le fou qui » était alors auprès de Louis XIV avait appar>> tenu au prince de Condé : il s'appelait l'Angeli. » Le comte de Grammont disait que de tous les »> fous qui avaient suivi monsieur le Prince, il n'y » avait que l'Angeli qui eût fait fortune. Ce bouf»>fon ne manquait pas d'esprit. C'est lui qui dit qu'il n'allait pas au sermon parce qu'il n'aimait » pas le brailler et qu'il n'entendait pas le rai» sonner. » Le rôle de Moron, le seul peut-être qui ait empêché cette pièce de porter atteinte à la réputation de notre auteur, n'a plus d'autre mérite à nos yeux que celui de la gaieté. Il nous est devenu impossible de constater le degré de vérité de ce caractère; s'il est encore des fous à la cour, ce n'est plus du moins un emploi ni un titre.

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Ces divertissemens vraiment royaux, connus sous le nom de Plaisirs de l'Ile enchantée, dont les mémoires du temps tracent les tableaux les plus bril

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