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1668.

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Le dieu amoureux demande pardon à sa pré»tendue femme de ses emportemens, obtient »sa grace et les faveurs de la belle, féconde son » sein' et reste le maître de la maison. Le mari, » repentant et toujours amoureux de sa femme, >> revient se jeter à ses pieds. Il trouve un autre >> lui-même établi chez lui; il est traité par cet » autre d'imposteur et de sorcier. Cela forme un >»> procès........ L'affaire se plaide devant le parlement » de Bénarės. Le président était un brachmane, qui devina tout d'un coup que l'un des deux >> maîtres de la maison était une dupe et que » l'autre était un dieu. »

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Ici nous sommes forcé d'abandonner le traducteur, dont les expressions pourraient paraître à beaucoup de lecteurs un peu trop naturelles. Il serait maladroit et impardonnable à nous d'encourir le reproche d'indécence, en parlant d'une pièce où l'auteur a su vaincre tant de difficultés pour respecter les convenances. Nous nous bornerons donc à dire que le tribunal, connaissant le mari de la belle en litige pour le plus robuste de tout le pays, ordonna, par une mesure assez semblable à celle de l'ancien congrès, qu'elle accorderait successive

1. Nous croyons devoir changer quelques-unes des expressions du récit de Voltaire.

ment ses faveurs aux deux prétendans, et que 1668. celui qui donnerait le plus de preuves d'amour et de vigueur serait présumé être fondé dans sa demande. Le véritable époux atteignit, au grand étonnement de ce singulier jury, le nombre des travaux d'Hercule. Déjà les assistans, persuadés de l'inutilité des efforts de son rival, voulaient que, sans plus attendre, on prononçât en sa faveur; mais, le tribunal en ayant ordonné autrement, quelle fut la surprise de l'assemblée, lorsqu'elle vit le nouvel athlète se montrer digne d'être, seul, l'époux des cinquante filles de Danaus! On allait lui adjuger le prix, quand le président s'écria : « Le premier est un héros; mais >> il n'a pas dépassé les forces de la nature hu» maine : le second ne peut-être qu'un dieu qui » s'est moqué de nous. » Le dieu avoua tout, et s'en retourna au ciel en riant'.

Presque tous les théâtres de l'Europe ont eu leur Amphitryon. Au siècle dernier, on en représentait un à Vienne, dans lequel le dieu, en lorgnant Alcmène au travers d'un nuage, en devenait amoureux et revêtait la forme de son mari. Mais il profitait beaucoup plus de son déguisement pour faire des dettes au nom de celui qu'il remplaçait, que pour user de ses droits conju

1. Voltaire, Fragmens historiques sur l'Inde, édit. de Lequien, t. XXV, p. 500.

1668. gaux'. Camoens a donné aussi, sous ce titre, une imitation de Plaute, très-pâle et très-indigne de l'auteur des Lusiades; mais tel était l'attrait de ce sujet, que ces imitations, toutes faibles qu'elles étaient, ont obtenu des succès de vogue dans les lieux qui les virent naître : l'original, on le pense bien, n'avait pas reçu un accueil moins éclatant à Rome; car, quelques siècles encore après la mort du poète latin, on le représentait aux fêtes de Jupiter. Les Romains avaient pensé que ce drame convenait mieux à cette solennité que le tableau en action de quelque haut fait de ce maître du monde. En effet, si nous jugeons des dieux par les mortels, ils devaient être plus fiers de se voir érigés en hommes à bonnes fortunes qu'en héros.

Si tout Paris était allé rire des malheurs d'Amphitryon, peu de réjouissances avaient signalé à la cour le carnaval de 1668. La conquête de la Franche-Comté avait tenu éloignés de Versailles le Roi et tous les jeunes seigneurs. Mais le glorieux traité d'Aix-la-Chapelle étant venu mettre fin à ces débats sanglans et rendre les vainqueurs aux douceurs de la paix, Louis XIV voulut qu'une fête brillante servît à célébrer les succès de ses armes, et à réparer le temps perdu pour

1. Lettres de Lady Montagu, lettre huitième.

les plaisirs. Le talent de Molière fut de nouveau 1668. mis à contribution pour ajouter au charme de cette journée. Empressé de plaire au monarque, de qui dépendait le sort du Tartuffe, il saisit ses admirables pinceaux et traça le plaisant tableau de George Dandin. Le 18 juillet', jour de la fête, cette charmante comédie obtint les suffrages des courtisans, qui virent leur décision confirmée par la ville, le 9 novembre suivant, époque où, dégagée de ses intermèdes, elle fut soumise au jugement des habitués du théâtre du Palais-Royal.

Cette pièce, une de celles auxquelles on est convenu de donner le nom de farces, fronde un ridicule qui, pour être aujourd'hui plus rare que du temps de Molière, n'en existe pas moins, et sera probablement durable encore, puisqu'il repose sur l'un des grands mobiles du cœur humain, la vanité, Toutefois les idées qu'une génération nouvelle a adoptées nous donnent lieu d'espérer que, dans un siècle où le lustre d'un homme ne réside plus guère qu'en lui-même, l'alliance avec les Sotenvilles deviendra de jour en jour moins attrayante pour les Georges Dandins.

Le but de Molière était louable parce qu'il

. Relation de la fête de Versailles, du 18 juillet, par Félibien; et non le 15, comme l'ont dit presque tous les éditeurs de Molière.

1668. était utile; les moyens qu'il a employés pour l'atteindre ont été jugés blâmables, parce qu'ils sont, dit-on, dangereux. Riccoboni, le premier écrivain un peu renommé qui se soit élevé contre l'immoralité de cette pièce, la range parmi celles qui ne peuvent être admises sur un théâtre où les moeurs sont respectées. Cette opinion a été adoptée avec chaleur par un de nos plus célèbres auteurs, qui a dit, dans une de ses trop fréquentes et trop violentes déblatérations contre Molière « Voyez comment, pour multiplier ses » plaisanteries, cet homme trouble tout l'ordre » de la société; avec quel scandale il renverse >> tous les rapports les plus sacrés sur lesquels » elle est fondée; comment il tourne en dérision > les respectables droits des pères sur leurs en» fans, des maris sur leurs femmes, des maîtres » sur leurs serviteurs! Il fait rire, il est vrai, et » n'en devient que plus coupable, en forçant par >> un charme invincible les sages mêmes de se » prêter à des railleries qui devraient attirer leur » indignation. J'entends dire qu'il attaque les >>vices mais je voudrais bien que l'on comparât >> ceux qu'il attaque avec ceux qu'il favorise.... » Quel est le plus criminel d'un paysan assez fou » pour épouser une demoiselle, ou d'une femme qui cherche à déshonorer son époux? Que pen>> ser d'une pièce où le parterre applaudit à l'in

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