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HÉGÉSIPPE MOREAU

La Voulzie

1

(1810-1838)

S'il est un nom bien doux fait pour la poésie,
Oh! dites, n'est-ce pas le nom de la Voulzie ?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles? Non ;
Mais, avec un murmure aussi doux que son nom,
Un tout petit ruisseau coulant visible à peine;
Un géant altéré le boirait d'une haleine ;
Le nain vert Obéron, jouant au bord des flots,
Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.
Mais j'aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres,
Et, dans son lit de fleurs, ses bonds et ses murmures.
Enfant, j'ai bien souvent, à l'ombre des buissons,
Dans le langage humain traduit ses vagues sons ;
Pauvre écolier rêveur et qu'on disait sauvage,
Quand j'émiettais mon pain à l'oiseau du rivage,
L'onde semblait me dire : « Espère ! aux mauvais jours
Dieu te rendra ton pain. » Dieu me le doit toujours 2!
C'était mon Égérie, et l'oracle prospère

A toutes mes douleurs jetait ce mot : « Espère !
Espère et chante, enfant, dont le berceau trembla.
Plus de frayeurs : Camille et ta mère sont là.

Moi, j'aurai pour tes chants de longs échos.» Chimère !
Le fossoyeur m'a pris et Camille et ma mère.
J'avais bien des amis ici-bas, quand j'y vins,
Bluet éclos parmi les roses de Provins.

3

Du sommeil de la mort, du sommeil que j'envie,
Presque tous maintenant dorment; et, dans la vie,
Le chemin, dont l'épine insulte à mes lambeaux,
Comme une voie antique est bordé de tombeaux.
Dans le pays des sourds j'ai promené ma lyre 3 ;
J'ai chanté sans échos, et, pris d'un noir délire,
J'ai brisé mon luth, puis, de l'ivoire sacré
J'ai jeté les débris au vent... et j'ai pleuré !
Pourtant, je te pardonne, ô ma Voulzie ! et même,
Triste, j'ai tant besoin d'un confident qui m'aime,

Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant
De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent,
Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage,
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs,
Et causer d'avenir avec tes flots menteurs.

LE MYOSOTIS.

(1793-1843)

CASIMIR DELAVIGNE

La Mort de Jeanne d'Arc

Silence au camp ! La vierge est prisonnière !
Par un injuste arrêt Bedfort croit la flétrir ;
Jeune encore, elle touche à son heure dernière.
Silence au camp ! La vierge va périr...

Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image,
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents;
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,
Elle s'avançait à pas lents.

Tranquille, elle y monta ; quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,

Les bourreaux en suspens, la flamme déjà préte,
Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête,
Et se prit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée !

Ta jeunesse va se flétrir

Dans sa fleur trop tôt moissonnée !

Adieu, beau ciel, il faut mourir.

Ainsi qu'une source affaiblie,

Près du lieu même où naît son cours,
Meurt en prodiguant ses secours
Au berger qui passe et l'oublie,

Ainsi, dans l'âge des amours,
Finit ta chaste destinée,

Et tu péris abandonnée

Par ceux dont tu sauvas les jours.

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,
Le temple 1, le hameau, les champs de Vaucouleurs,
Et ta chaumière et tes campagnes,

Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle ?
N'osez-vous entreprendre une cause si belle ?
Quoi! vous restez muets! aucun ne sort des rangs !
Aucun pour la sauver ne descend dans la lice !
Puisqu'un forfait si noir les trouve indifférents,
Tonnez, confondez l'injustice,

Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais;
Éteignez sous leurs flots les feux du sacrifice,
Ou guidez au lieu du supplice,

A défaut de tonnerre, un chevalier français.

Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance...
Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé.
A travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encore menaçante,

Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante,
Anglais son bras est désarmé.

La flamme l'environne, et sa voix expirante

Murmure encore : « O France ! ô mon roi bien-aimé ! »...

Ah ! qu'une page si funeste

De ce règne victorieux,

Pour n'en pas obscurcir le reste,

S'efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux.
Qu'un monument s'élève aux lieux de ta naissance,
O toi, qui des vainqueurs renversas les projets !
La France y portera son deuil et ses regrets,

Sa tardive reconnaissance;

Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès;

Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance !

Que sur l'airain funèbre on grave des combats,
Des étendards anglais fuyant devant tes pas,

Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes
Venez, jeunes beautés ; venez, braves soldats;
Semez sur son tombeau les lauriers et les roses !
Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois,
Cueille un rameau sacré, l'y dépose et s'écrie :
« A celle qui sauva le trône et la patrie,

« Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits ! »

(1806-1850)

FÉLIX ARVERS

Sonnet

Ma vie a son secret, mon âme a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir; aussi j'ai dû le taire
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et pourtant solitaire,

Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre

Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.

A l'austére devoir pieusement fidèle,

Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle:

« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.

MES HEURES PERDUES.

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